Global Disability Justice 

R  e  s  o  u  r  c  e  s    t  o    h  e  l  p    r  e  a  c  h    s  u  r  v  i  v  o  r  s     

Le danger des idéologies suprémacistes IV

Photo: « Personne n’était sans-abris sur ce continent avant 1492« [1]
Source:  Red Sleeves ACA (Anti Colonial Action), New Mexico.

Au cours des 500 dernières années, la domination blanche mondiale n’a pas été reconnue comme un système politique. Charles Mills a mentionné la manière dont les innombrables génocides des peuples Autochtones et colonisés ont été rayés de l’histoire officielle, tandis que d’autres – notamment celui des Juifs d’Europe pour des raisons d’expédition et de conquêtes Européennes – ont été élevés à un statut hiérarchique. Gurminder K. Bhambra veut que nous comprenions à la fois la manière dont la race, en tant que processus structurel, a organisé le monde moderne et l’impact que cela a eu sur nos façons de connaître le monde.

Nous devons nous battre contre le statu quo dans lequel «les Blancs citent les Blancs dans un circuit fermé de l’autorité épistémique qui reproduit les délires blancs» (Mills, White Ignorance, p. 34).

[1] Les Autochtones de L’Ile de la Tortue, ou « Amérindiens », ont connu le pire génocide sur leur propre sol : plus de 90 millions de morts. le projet The Killing Times publié par The Guardian documente les massacres de peuples Autochtones, basé sur les recherches de Lyndall Ryan. Le numéro du magazine Funambulist édité par Zoé Samudzi, se penche sur les génocides coloniaux et les politiques de l’oubli (Decolonize Genocide). (source : www.alanalentin.net #understandingRace)

Un glossaire s’inspirant du cadre pratique de la justice des personnes handicapées est disponible sur Global Disability Justice. Les mots en gras dans ce texte ont une définition plus détaillée dans ce glossaire. Vous êtes peut être parfaitement intégréEs dans un environnement social de type colonial, l’ethnocentrisme vous va comme un gant, et en plus, vous détestez l’anglais, alors il faut installer la traduction automatique pour aller lire des critiques de l’eurocentrisme des plus dévastatrices. D’autres épisodes peuvent être lus ([I, II et III) et il y en aura bien sûre encore d’autres jusqu’à ce que nous déracinions toutes ces idéologies suprémacistes…

Ce texte établit une distinction entre le mot « handicap » – qui fait référence aux barrières sociales qui empêchent l’accès des personnes avec des déficiences – et le mot « déficience » en tant que limitation du corps-esprit, comme l’a proposé Alison Kafer. La position des personnes handicapées criminalisées ne peut pas être expliquée par la seule référence aux hiérarchies de capacités. Le mot « débilité » indique que la subordination des personnes avec des déficiences est plus profonde et plus compliquée que d’être imputable à un « pur » handicap. La débilité est un processus de positionnement des populations dans un état permanent de précarité par le biais du handicap – de privation et de violences systémiques, « d’usure lente des populations », selon Jasbir Puar et Linda Steele. La pitié (au mieux), et le dégoût (au pire) et le mépris qu’évoque le handicap évoque est directement lié à l’approche médicale occidentale qui ne comprend pas le handicap en termes de questions politiques de pouvoir et d’oppression.

Le contrôle et la violence liés au handicap ne sont pas parallèles et distincts du contrôle et de la violence des colons. Au contraire, le système juridique dans son ensemble est fondé sur la légitimation du sujet blanc, apte, colonisé et de la nation (Linda Steele).

La brochure de cet article est disponible ici.

 

Le travail analytique présenté dans ces articles s’efforce de mettre en valeur le travail effectué dans les espaces universitaires et communautaires Noirs et Autochtones, et reconnaît l’importance de parler de race et de handicap ensemble plutôt que séparément, afin d’honorer, de comprendre et de représenter pleinement les expériences de ces personnes vivant à ces intersections, pour une discussion plus détaillée et une reconnaissance des personnes handicapées de couleur qui sont engagées dans ce travail depuis des années (Harriet Tubman Collective ; 2018) [2]. Des personnes pour qui le lien entre la race, le handicap, les violences d’État et l’incarcération est une évidence. Le capacitisme/validisme est intrinsèquement un projet raciste et anti-noir (Nirmala Erevelles).

[2] Harriet Trubman Collective et des collectifs de personnes handicapées Noires et Sourdes sont des bâtisseurs communautaires, des militants, des rêveurs, des amoureux qui luttent pour l’inclusion radicale et la libération collective : Patricia Berne, Kylie Brooks, Carter néal, Patrick Cokley, Candace Coleman, Dustin Gibson, Timotheus Gordon, Jr., Keri Gray, Christopher DeAngelo Huff, Cyree Jarelle Johnson, Lorrell D. Kilpatrick, Carolyn Lazard, Talila A. Lewis, Leroy F. Moore, Jr., Vilissa Thompson, Alexis Toliver, Heather Watkins.

Afin de porter une attention critique aux différents racismes en tant que formes de violence des État-nations et en tant que formes de violence mondiale institutionnalisée – et parce que le racisme et le validisme/capacitisme sont mutuellement inclusifs – le démantèlement de tous les racismes nécessite une compréhension profonde du handicap, une sensibilisation sur TOUS [3] les handicaps et des oppressions fondées sur le handicap (le sanisme, en particulier) (Talila A. Lewis). La suprématie des personnes valides et sanistes est co-constitutive de la suprématie blanche. Ensemble, ils créent des lieux inaccessibles et racisés (Leroy Moore).

[3] De nombreux handicaps sont invisibles et beaucoup ne révèlent pas leur handicap en raison de la forte stigmatisation sociale (Reinholz et Ridgway, 2021). Il est important de ne pas supposer une « expérience handicapée » unique, mais de respecter et de centrer les voix authentiques des personnes handicapées. Le handicap est un phénomène complexe et les personnes handicapées sont des individus aux identités multiples plutôt que des membres d’un groupe « homogène ».

De nombreux abolitionnistes reconnaissent que l’incarcération et la décarcération sont une question d’eugénisme et de justice des personnes handicapées. La suprématie blanche et le capitalisme racial sont au cœur de la compréhension théorique de l’abolition des prisons… Mais dans leur ensemble, les récits autour de l’incarcération accordent très peu d’attention au rôle de l’eugénisme, quand ils n’en sont pas totalement absents ou même complètement complices, comme nous le révèle/montre tristement cette pandémie. Pourtant, ces politiques ont façonné de manière critique le système d’emprisonnement mondial actuel. La longue traîne de l’eugénisme – dont les pratiques ont commencé bien avant l’invention/la théorisation du processus par Francis Galton [4]– explique encore les politiques d’incarcération du XXIe siècle. Le désir des politiques de gauche/radicales d’ancrer une politique de libération dans des conditions économiques est aussi un refus de lutter contre la suprématie blanche (Liat Ben-Moshe ; Decarcerating Disability).

Nous savons que les personnes handicapées instruites sont un affront au complexe carcéral et à la pensée punitive de droite normalisée, si et seulement si leurs droits était pleinement respectés dans les espaces de justice sociale ou anticarcéraux. Centrer le handicap et la différence mentale peut donc conduire à une compréhension plus complexe de l’incarcération et de la décarcération. Ce regard politique sur le handicap en tant qu’expérience vécue, mais surtout en tant qu’analyse à partir de laquelle examiner, peut servir d’une certaine manière à inculper notre système criminel actuel de (in)justice (Liat Ben-Moshe).

Afin de défendre efficacement cette population d’individus, l’inclusion radicale et l’intersectionnalité exigent que les abolitionnistes examinent leur propre complicité dans leurs comportements capacitistes/validistes et veillent à inclure ces personnes touchées dans l’élaboration de stratégies et de politiques de changements transformateurs. Cela signifie de résister de manière stratégique aux discours et aux idéologies capacitistes omniprésents qui présentent ces personnes comme méritant une attention uniquement lorsque les conséquences débilitantes des traumatismes ou les dommages physiques ou psychologiques deviennent apparents et diagnosticables… quand ils ne servent pas aussi à l’exclusion et à la justification d’un blâme supplémentaire.

Cela implique également de ne pas perpétuer le capacitisme/validisme dans le travail de la justice environnementale. Le déni et la peur du handicap en tant que différence n’ont pas leur place dans une Justice Environnementale Intersectionnelle. (Catherine Jampell)

Faire un travail d’inclusion radical et intersectionnel, signifie ne laisser personne « de côté ».

L’omission du handicap en tant que catégorie critique dans les discussions sur l’intersectionnalité (voir épisode III) a, au niveau local et global, des conséquences désastreuses et mortelles pour les personnes handicapées de couleur prises dans les interstices violents de multiples expériences intersectionnelles. Il est même assez urgent de s’emparer d’une compréhension des demandes intersectionnelles de celles et ceux qui sont à la marge de la marge (Sud et Nord global) – soumis.Es ou exclu.Es par le capital – qui constituent un important potentiel de solidarité, et qui nécessite d’imaginer un autre niveau d’empathie qui sont par définition l’une des plus grande menace pour le capital.

Le problème est que la grande majorité des mouvements de justice sociale est incapable de nommer ou reconnaître le capacitisme/validisme, et ignore à quel point il est ordinaire et mortel (T. Lewis). [5] L’aspect le plus déconcertant réside dans l’exclusion et la délégitimation des voix militantes, en particulier celles qui sont les plus impactées et politisées. Ce sont celles qui connaissent le mieux ces systèmes et qui peuvent vivre des crises, et qui sont aussi abandonnées par ces espaces de « justice sociale ». Des personnes qui sont aussi trop souvent abandonnées dans leur lutte – une lutte de survie épuisante et parfois mortelle – contre la suprématie blanche. On dénonce le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie… mais on oublie systématiquement le rôle important que joue le capacitisme/validisme dans l’effacement permanent et la mort de nombreuses personnes.

[5Pour comprendre ce qu’est le capacitisme/validisme et comment il se croise avec d’autres systèmes, et la façon la plus simple d’encourager les gens à le conceptualiser est de le penser en termes de type de classement et de catégorisation des corps et des esprits comme étant soit normatifs et désirables, soit déviants et jetables. Ce classement et la catégorisation du corps et de l’esprit (les corps et les esprits ne sont pas séparés, mais connectés) est un processus qui est intrinsèquement raciste, un processus anti-noir et un processus intrinsèquement capitaliste. La manière de déterminer qui a de la valeur et qui est jetable est basé sur des conceptions capitalistes de la productivité/propriété, de sorte qu’un corps-esprit capable de produire est un corps-esprit qui a de la valeur pour l’Etat quand les autres sont jetables. L’exploitation de ce système de capacitisme déshumanise systématiquement les handicapés, les fous et les neurodivergents. Talila Lewis affirme que lorsque les NoirEs comprendrons aussi que le capacitisme/validisme est une forme pure d’anti-noirceur, alors nous serons tous-tEs libres.

Nous naviguons constamment dans des paysages invalidants où le capacitisme est soutenu (Ian Goodley).

L’histoire n’est pas le passé. C’est le présent. Nous portons notre histoire avec nous. Nous sommes notre histoire. Si nous prétendons le contraire, nous sommes littéralement des criminels […] La grande force de l’histoire vient du fait que nous sommes inconsciemment contrôlés par elle de nombreuses manières. — James Baldwin

La science occidentale découvre seulement maintenant ce que les traditions Autochtones ont toujours su : l’histoire n’est pas terminée. Elle change et impacte le corps individuel et la culture collective, puis se transmet d’une génération à l’autre. C’est ce que nous entendons par traumatisme collectif, générationnel ou historique (Susan Raffo). Si un récit reconnaît des mauvais traitements ou des désavantages contemporains envers les peuples Autochtones, il parle généralement de l’héritage de la colonisation plutôt que de sa présence continue. Il peut blâmer les victimes ou identifier le racisme comme une cause possible du désavantage, sans reconnaître que le racisme en tant qu’idéologie et pratique a été inventé et raffiné lors de la colonisation (Moana Jackson ; Imagining Decolonisation).

En comprenant ce passé et comment il peut permettre de comprendre le présent, nous pouvons peut-être imaginer un avenir différent, en adoptant un paradigme de soins libéré de ces impulsions eugénistes. Il est crucial que nous considérions les leçons de la pandémie de COVID-19 et que nous prenions conscience que ces valeurs eugénistes profondément ancrées surdéterminent qui est traité avec soin, qui a droit a des soins et à la dignité et qui est jetable, qui est éliminéE comme un déchêt et traitéE avec violence. Ces pratiques sont directement influencés par le passé eugéniste… et visent à maintenir les « archives vivantes » de l’histoire de l’eugénisme. Pour comprendre ce passé, nous devons enquêter sur les histoires qui ne nous ont pas été enseignées ou racontées, parce que ces histoires ont été cachées pour une bonne raison.

Le capitalisme, pour sa survie, doit à la fois s’assurer du maintien de ces inégalités en comptant sur notre manque d’empathie, sur notre individualisme, sur l’optimisation de l’invisibilisation et de l’abandon extractif organisé [6] des populations « excédentaires » les plus impactées. Rappelons nous sans cesse que l’égalité des droits est inimaginable dans ce projet de suprématie blanche qui est la colonisation française.

[6La précarité de la population excédentaire est due à ce que Ruth Wilson Gilmore appelle « l’abandon organisé », la manipulation délibérée et la dépossession disproportionnée des ressources des communautés Noires, Brunes, Autochtones, handicapées et pauvres, les rendant plus vulnérables aux problèmes de santé. Pour véritablement défier le capitalisme et visibiliser ces dichotomies coloniales, il est nécessaire que nos projets politiques se recentrent sur les populations « excédentaires » ou « jetables ». La vulnérabilité des personnes excédentaires est construite par les opérations de l’État capitaliste et la précarité de cette même population est due à ce que Ruth Wilson Gilmore appelle « l’abandon organisé ».

L’histoire est « une arme vivante » (Diane di Prima) [7]

[7L’ignorance des Blancs crée une « amnésie collective » qui est le fondement des systèmes éducatifs dans les sociétés à dominante blanche, mais aussi des musées, des monuments et des cérémonies nationales. C’est à travers ces institutions qu’un oubli collectif est mis en œuvre et qu’une mémoire se façonne sur les fondements de l’ignorance structurelle. La blancheur fonctionne comme un site qui est censé posséder des « connaissances absolues » sur celles et ceux qui sont considérés comme « autres ». Cette « connaissance » sert de site de ce que Charles Mills a inventé comme l’épistémologie de l’ignorance. Selon ce concept, les Blancs sont délibérément ignorants. En d’autres termes, ils décident d’éviter les informations qui montrent que leurs croyances sont en fait fausses. C’est comme s’ils signaient collectivement un contrat social pour éviter la connaissance, en particulier lorsqu’il s’agit de questions liées à la race.

La grande majorité des espaces censés travailler à la justice sociale ignorent l’histoire du handicap, ignorent le lien entre le handicap et les processus de colonisation, que la décolonisation du handicap nécessite une conscience aigüe de ces processus, quand beaucoup ne veulent même pas savoir/entendre que nous n’y sommes pas/n’y avons pas été impactéEs de la même manière [8]. Ils ne comprennent pas le lien entre la ségrégation historique, l’exclusion persistante, l’incarcération actuelle et l’inégalité de l’accès aux soins. La discrimination systémique contre les personnes handicapées est si courante qu’elle est invisible, ce qui signifie que les expériences de violences envers ces personnes ne sont même pas considérées comme un inconvénient. Elles ne sont pas comprises et ne sont tout simplement pas pris en compte du tout. (Tonette S. Rocco) La discrimination est invisible pour l’agresseur mais douloureusement ressentie par la victime (Freeman, 1995). Le groupe dominant reproduit la discrimination et la ségrégation à travers des structures culturelles et politiques qui soutiennent l’exploitation matérielle et la marginalisation physique des personnes handicapées (Gleeson, 1999).

[8cette incapacité à comparer deux choses simples est un pure produit de la suprématie blanche (et ses privilèges).

La suprématie blanche et la suprématie des castes fonctionnent toutes deux par l’effacement des voix des parias, même lorsque ces derniers sont transformés en objet d’interventions (tokenisme [9]). La suprématie blanche (et ses privilèges) collaborent avec la blancheur pour perpétuer l’oppression des castes (CARE). Le succès de la domination coloniale a toujours dépendu de la complicité d’une classe intermédiaire de coloniséEs. IElles constituent un pilier central de l’ordre colonial. IElles sont les serviteurs des maîtres coloniaux, et pour cela, il n’y a pas de pardon. (Jairo_I_Funez) 

[9La décolonisation signifie démanteler les systèmes d’oppression, et non ajouter des personnes de couleur comme décor. Le tokenisme donne à celles et ceux qui sont au pouvoir l’apparence d’être non-racistes et même des champions de la diversité parce qu’ils recrutent et utilisent la POC (People Of Color) comme des accessoires racialisés.

Chacun des théoriciens de la Disability Justice démontre pourquoi les discussions sur la suprématie blanche et l’oppression des personnes handicapées doivent être simultanées – il est impossible de détruire la suprématie blanche sans faire progresser de manière significative la justice des personnes handicapées, et vice et versa – car ces systèmes se renforcent et s’imbriquent les uns dans les autres.

« La vérité sur les agressions sexuelles, le viol, le patriarcat, les abus de pouvoir… est que nous vivons dans une société qui les a longtemps normalisés. L’une des substances toxiques est la suprématie, si omniprésente qu’elle a longtemps été invisible pour celles et ceux qui en bénéficient et peut encore paraître souhaitable à celles et ceux qui en souffrent le plus. Nous pouvons connaître une suprématie en raison de la race, de la citoyenneté, du sexe, de la classe sociale, de la capacité, de l’âge, de l’accès, de la renommée ou d’autres domaines dans lesquels nous nous sentons justifiés de causer du tort sans conséquences » (Adrienne Maree Brown ; We Will Not Cancel Us), sans aucun remord ni la moindre responsabilisation. Pouvons nous démolir ces systèmes – de suprématie – sans davantage nous détruire les uns les autres ?

L’abolition est enracinée dans les soins collectifs et les valeurs d’entraide radicales.

« La plupart des gens que je connais viennent dans des espaces militants avec l’envie de guérir, mais nos mouvements sont souvent plus remplis de capacitisme/validisme et d’épuisement professionnel que de guérison. Nous travaillons, travaillons et travaillons encore à partir d’un état de crise. La guérison est considérée comme non pertinente et réservée aux personnes qui ont de l’argent […] Nos mouvements sont tellement saturés d’épuisement professionnel, avec peu ou pas de place pour le deuil, la colère, le traumatisme, la spiritualité, le handicap, le vieillissement, la parentalité ou la maladie, que beaucoup de gens les quittent quand ils vieillissent, ont des enfants, tombent malades ou deviennent plus handicapés, ou ne peuvent tout simplement plus assister à douze réunions par semaine […] Le validisme, la pauvreté et le racisme signifient que beaucoup d’entre nous sont effectivement de mauvaise humeur. Les différences psychiques et la neurodivergence signifient également que nous pouvons être brusques, dépriméEs ou « difficiles à gérer » par les locataires d’un monde capable/valide. » (Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha)

Il est urgent d’établir des parallèles entre l’oppression à laquelle sont confrontés les Palestiniens et tant d’autres peuples Autochtones, et l’injustice systémique à laquelle sont confrontées les communautés marginalisées du monde entier (Sud et Nord global) pour mettre en lumière les racines communes de la violence, de la déshumanisation, de l’occupation et de la dépossession… par un examen des traumatismes, tant individuels que collectifs, qui perpétuent les cycles de conflits et comment la guérison de ces blessures fait partie intégrante de la réalisation d’une véritable libération collective. Pour emprunter une expression de Cheryl Harris (Whiteness as cursed property) [10] :

« la blancheur et la propriété partagent un principe commun – un noyau conceptuel – celui du droit d’exclure ».

[10Cheryl Harris (La blancheur comme une maudite propriété), théoricienne critique de la race et juriste, soutient que dans un système capitaliste racial, la blancheur et la propriété partagent plusieurs prémisses fondamentales ; le premier étant le droit d’exclure (Harris, 1993). Tout comme les droits de propriété, la blancheur s’accompagne de nombreux avantages intangibles, tant privés que publics, qui sont ratifiés par la loi et jugés légitimes par les régimes de pouvoir en place. Comme l’explique Harris (1993, p. 1714) : « Après l’abolition de la ségrégation légalisée, la blancheur en tant que propriété a évolué vers une forme plus moderne grâce à la ratification par la loi des attentes bien établies du privilège relatif des Blancs comme base légitime et naturelle. »

C’est ce pouvoir destructeur de la justice punitive qui se déchaîne dans nos mouvements qui rend difficile la détection des racines des préjudices. Il est urgent d’éclairer, de visibiliser et de comprendre cette machine à punir et comment le mécanisme de contrôle social nous a vendu la punition comme seule justice. Nous sommes entouréEs de mensonges, d’hypocrisie, d’arrogance, d’orgueil, de coercition, de manipulation… et beaucoup ne peuvent plus imaginer autre chose. La colonisation européenne a laissé des traces sur tous les aspects de nos vies, dans les comportements, les attitudes, les abus […] La suprématie blanche est la manifestation de cette empreinte. La décolonisation consiste à supprimer cette empreinte (Lopez, 2020, p. 85).

Le projet du démantèlement de la suprématie blanche nous demande d’imaginer de nouveaux avenirs, pas seulement de vivre dans ce présent. Les expériences de colonisation, d’esclavage et de ségrégation sont cruciales pour la compréhension de l’abolition des prisons.

En tant qu’abolitionnistes, nous devons comprendre que notre travail doit être radical et doit littéralement se concentrer sur les racines profondes. Il est essentiel que nous prêtions attention à cet héritage de plus de 500 ans de violence et de préjudices. [11]

[11] L’abolition nous demande de relier l’esclavage transatlantique à l’emprisonnement actuel et notre système judiciaire actuel. La tâche consistant à s’attaquer aux préjudices à la racine, en dehors des mécanismes de l’État. Les prisons sont arrivées en Afrique pour saper la justice africaine traditionnelle, pour réprimer la lutte pour l’indépendance, faciliter l’exploitation économique et consolider la suprématie blanche. Les perspectives décoloniales exigent que nous rejetions les prisons, en comprenant leur rôle dans « la continuité et la reproduction des mécanismes coloniaux de punition » et le contrôle social.

En tant qu’abolitionnistes, nous ne pouvons pas nous concentrer sur les choses les plus faciles, mais sur la complexité des personnes qui sont les plus impactées et effacées en nous demandant constamment pourquoi ces personnes ne peuvent pas avoir accès à tous les espaces ? Quand nous abandonnons les personnes qui sont en crise, des personnes que nous aimions, ne renonçons-nous pas à notre propre humanité ? Quelles limites faut-il fixer pour nous préserver et continuer à vivre tout en nous opposant à cet abandon ? Peut-on construire une société non carcérale quand les mentalités ou les pratiques punitives et ségrégationnistes sont normalisées ? Pouvons-nous fixer des limites qui n’exigent pas la disparition d’autres survivantEs ? Comment pourrions-nous centrer les plus touchéEs par les systèmes d’oppression et transférer le pouvoir à ces communautés ?

Le problème dominant de la colonialité – qui est rarement abordé dans les espaces de justice social – réside dans cette valorisation et la dévalorisation des vies différentes. La normalisation toujours croissante de l’élimination humaine et de la violence contre les gênantEs, les improductif-vEs, les jetables ou les indésirables – ces personnes que l’on fait disparaître et dont les problèmes nous mettent souvent mal à l’aise – ne peut être combattue avec cette politique du statu quo. Nous ne pouvons plus non plus ignorer comment les tragédies Noires, Brunes, Autochtones et handicapées ont été normalisées dans l’imagination mondiale, nous y sommes désensibiliséEs.

Décoloniser, c’est affronter, défier et rejeter ce statu quo du confort colonial.

Pour commencer à imaginer un monde libéré de cette philosophie eugéniste du capitalisme, celles et ceux qui se mobilisent pour la justice sociale/climatique/sanitaire doivent comprendre la manière dont l’économie politique a évolué au cours du siècle dernier pour maximiser son exploitation des populations excédentaires/jetables – en pathologisant d’une main tout en générant du capital de l’autre (Modéle monétaire du handicap ; Marta Russell). La santé est utilisée par le capital pour diviser les populations, et ce n’est qu’en brisant ces binaires profondément ancrés dans la sociologie et le modèle biomédical occidental que l’abolition du capitalisme sera possible.

Pour emprunter à la pensée féministe Noire – ramener les marges vers le centre – une formulation des populations excédentaires considérées comme « jetables », « indignes », « inférieures » et « autres », repose sur une logique intrinsèquement capitaliste dont il faut urgemment se débarrasser. La seule façon de stimuler une véritable libération est d’assurer une abondance de soins abolitionnistes aux plus vulnérables, à celles et ceux qui se trouvent aux marges les plus extrêmes.

Nous pouvons mesurer les valeurs de toute société en considérant comment elle traite les personnes les plus marginalisées.

Il est essentiel pour les milieux progressistes de comprendre ce processus d’abandon extractif non seulement comme un processus à la fois national de l’État, tourné vers sa propre population, mais aussi tourné vers l’extérieur pour cibler les populations internationales, considérées elles aussi comme excédentaires. Les autorités cherchent à normaliser la ligne entre citoyenneté et exclusion, entre population excédentaire et productive [12], tout en séparant le surplus incurable du surplus curable afin de le récupérer pour son armée industrielle. Une base et une justification légales d’exclusion, d’extermination et d’élimination se sont développées, aux 19e et 20e, pour justifier l’abandon de ces populations excédentaires. (Health communism) [13]

[12L’idée selon laquelle un citoyen doit être « productif » est un mythe capacitiste qui définit les personnes handicapées comme « improductives » (Baynton, 2001)

[13Celles et ceux qui se trouvent au bas de l’échelle de la productivité économique ont été médicalisés et pathologisés pour justifier le manque de soutiens sociaux universellement disponibles. Le capitalisme a défini la « santé » elle-même comme la capacité à se soumettre au travail. (Healt Communism)

Pour véritablement défier le capitalisme, il est nécessaire que nos projets politiques aient et maintiennent ces personnes « jetables » au centre en permanance, que le capitalisme ne sera vaincu que par un mouvement qui se recentre sur ces populations et résiste aux idéologies eugénistes du « jetable » perpétuées par le capital pour fonctionner (Adler-Bolton and Vierkant).

Peut-on sincèrement considérer un pays comme la France en bonne santé mentale quand il est le dernier pays d’Europe à maintenir un modèle bio médical discriminatoire envers les personnes handicapées, qui plus est quand ce sont les personnes les plus vulnérable ? [14] La décadence de la civilisation occidentale prédite par Aimé Césaire en 1955 est sur le point de frapper la génération actuelle. Où sont les mouvements de gauche pour montrer leur solidarité avec une communauté qui en a le plus besoin ?

[14Le capacitisme/validisme est lié au modèle médical du handicap, en se concentrant sur ce qui ne va pas chez ces personnes et sur la manière de les traiter (Reinholz et Ridgway, 2021 ; Gin et al., 2022). Le capacitisme adhère au « modèle médical » selon lequel les personnes/femmes sont définies par leur handicap et où l’accent est mis sur l’écart de l’individu par rapport à la « norme », plutôt que de reconnaître l’individualité et les ensembles d’expériences spécifiques de chacun. Le problème du modèle médical et de son homogénéité est le manque de reconnaissance de l’individualité de chaque personne et la façon dont on nous encourage à définir les gens en fonction de leur handicap plutôt que de voir la personne en premier lieu.

En raison de sa vulnérabilité, l’exploitation du handicap se produit souvent (Satriana et al., 2021). Cette domination est constamment reproduite par les groupes dominants pour renforcer la normalité de cette domination.

Les spécialistes du handicap (Charlton, 1998 ; Gleeson, 1999 ; Linton, 1998) expliquent l’oppression en utilisant les cinq visages de l’oppression de Young (1990), qui sont l’exploitation (qui se produit dans le processus de travail), la marginalisation (l’incapacité ou la réticence du système à intégrer ce groupe dans la vie politique, économique et culturelle), l’impuissance (manque d’autorité sur sa propre vie), l’impérialisme culturel (avilissement du groupe par les valeurs majoritaires) et la violence (attaques aléatoires ou organisées contre les membres d’un groupe).

Il faut comprendre le lien entre ce modèle médical discriminatoire et l’eugénisme. On ne peut pas continuer à parler de décarcération sans questionner cet eugénisme et la politique d’exclusion qui continue de façonner notre société moderne. L’eugénisme était véritablement mondial – et a fait partie intégrante de la modernité mondiale – et si toute l’étendue de son impact ne sera probablement jamais connue, elle coupe certainement profondément et largement dans la texture de notre monde moderne. Il est donc impératif de s’engager dans l’héritage de cet eugénisme.

Si des individu étaient socialement « inadaptés », il était approprié qu’ils soient « harcelés », considérés comme « pathologiques », « criminels », « asociaux », « étrangers » et « non désirés » (Carlson ; 2001).

La façon dont nous sommes perçus détermine la façon dont nous sommes traités en général, la façon dont nous sommes traitéEs (médicalement/santé) et surveilléEs (Talila Lewis ; 2018).

Une transformation et un déracinement collectif de l’eugénisme sont nécessaires. L’anti-eugénisme est un terme intersectionnel désignant à la fois l’antiracisme, l’anti-capacitisme, l’anti-sexisme, l’anti-homophobie, la décolonisation, l’anti-âgisme et l’anti-capitalisme. Les idéologies eugénistes ont déjà un impact sur la façon dont nous nous orientons vers la lutte contre le changement climatique (HHP) [15].

[15Le Projet d’histoires de guérison abolitionniste (HHP) est un projet qui comprend que jusqu’à ce que nous déracinions ces idéologies suprémacistes, elles continueront à changer de forme afin que le capacitisme demeure. Le problème ne vient pas des nombreuses façons différentes dont la vie se présente, mais de l’hypothèse selon laquelle toute vie doit se conformer à une norme particulière pour avoir de la valeur. Les épidémies ou pandémies sont des moments où nous voyons les systèmes que nous avons créés et ceux que nous avons négligés, et soulignent comment nous ne savons pas prendre soin les unEs des autres. MICTimeLine est une chronologie qui montre comment ces modèles ont existé depuis la colonisation et cette histoire de la COVID-19 est la continuation même de ce qui a commencé il y a plus de cinq cents ans.

Si les questions de corps et d’esprits capables, en forme, disciplinés, travailleurs et productifs – qui étaient une composante vitale à la fois de l’entreprise des colons blancs et de l’État-nation colonial – ont toujours mis le handicap et l’indigénéité à sa porte, le fait que le handicap ait été effectivement oublié dans de nombreuses analyses « postcoloniales » démontre la résilience de cette réticence à affronter cette même fragilité corporelle et son pouvoir continu de subordination. Le colonialisme « a repositionné le handicap comme une condition remplie de significations et de messages autour des notions de corps colonisés idéaux » construisant la normativité (Grech, 2015, p.10).

Si les visions impériales d’une bonne société ont abouti à l’expulsion active de celles et ceux qu’elles ne voulaient pas vers un espace lointain de l’empire (Cooper, 2013 – Soldatic ; dans Disability and colonialism), l’absence systématique du démantèlement de ces idéologies suprémacistes blanches et une inquiétante incompréhension intergénérationnelle du colonialisme en tant que cause profonde de la crise climatique font que le travail le plus visible sur la justice climatique est encore largement dominé par une perspective blanche, de classe moyenne et valide. Il en va de même pour les litiges liés au climat (systemic justice). L’absence de reconnaissance de ces causes profondes historiques de la crise climatique actuelle a paralysé notre capacité d’assurer une adaptation équitable au changement climatique pour les communautés les plus vulnérables et celles qui sont les plus marginalisées. [16]

[16La justice environnementale se doit de répond à une iniquité fondamentale : les préjudices environnementaux ne sont pas également réparti. La violence structurelle et environnementale entraîne un handicap généralisé parmi les communautés Brunes, Noires et pauvres. La justice environnementale doit reconnaître la façon dont les perturbations climatiques exacerbent les schémas d’égalité structurelle préexistants et intensifie les effets du racisme, du classisme, du colonialisme et de l’inégalité entre les sexes. Les féministes françaises ont été les premières à inventer le terme d’écoféminisme, reliant les questions d’oppression de genre au phénomène de domination des hommes sur la nature. Mais le terme décrit essentiellement « un nouveau nom pour une sagesse ancienne ». L’écoféminisme imite et recycle la sagesse africaine ancienne […] Les théories écoféministes s’inspirent beaucoup des ontologies et des épistémologies Autochtones africaines, dont les principes fondamentaux recoupent ceux de la politique verte. (Sylvia Tamale ; Decolonization & Afro-feminism)

La grande majorité du travail climatique en Europe n’a pas encore pris de perspective intersectionnelle (Systemic Justice).

Les catastrophes surviennent lorsque des aléas frappent des communautés vulnérables qui ne disposent pas des ressources, des infrastructures ou des capacités nécessaires pour y faire face. Pour paraphraser : lorsqu’un aléa rencontre une vulnérabilité et qu’il dépasse la capacité de réponse d’une communauté, c’est ainsi que se produisent les catastrophes (Abolition And The State II).

Le mouvement climatique doit agir en solidarité avec les causes abolitionnistes. Les organisateurs de la justice des personnes handicapées rêvent beaucoup plus grand et résistent à cette culture du jetable. L’imagination d’un autre avenir ne se produira pas si nous jetons les gens au besoin en suivant les édits de la classe dirigeante dans ce maintien de ces normes du capitalisme.

Les luttes pour la justice climatique n’ont pas commencé ici, dans ce monde blanc, mais bien longtemps avant – même si elles n’étaient souvent pas formulées comme telles. Ce sont particulièrement les luttes anticoloniales – de celles et ceux qu’on appelai des « sauvages », des « barbares », des « inciviliséEs » des pays du Sud Global – qui existent depuis plus de 500 ans, qui ont combattu au prix de leur vie le système à l’origine de la crise climatique. Si nous comprenons que la pensée coloniale est à l’origine de la catastrophe climatique, cela signifie que se libérer de la pensée coloniale est une lutte pour le climat. (bundjugend)

O’Brien et ses collègues soutiennent que l’eugénisme historique reste pertinent pour toutes les politiques et tous les programmes sociaux puisqu’il a pour effet de limiter la « capacité de réciprocité » (2009, p. 153).

Ces textes appellent à réfléchir sur tous ces processus historiques persistants qui bloquent l’interdépendance, la relationnalité, la réciprocité, l’appartenance, la parenté… et à réfléchir sur la solidarité envers celles et ceux que nous nous étions jurés de protéger, mais que nous blâmons, enfermons et punissons. En mettant l’accent sur les soins personnels et le bien-être individuels tout en sapant le renforcement du pouvoir collectif et le travail de lecture et d’analyse de ces corps-esprits, et du travail de guérison et de soins requis pour ces corps-esprits, l’État et sa myriade d’institutions se sont positionnés pour remplacer nos traditions culturelles de soins collectifs et de guérison, pour nous garder distrait de ce vrai travail essentiel que nous devons faire. Ces soins individualisés nous maintiennent dans le même cycle de violence, pour éviter d’éclairer et de comprendre les causes profondes de l’oppression et les racines de la violence.

Pendant des siècles, le colonialisme a violemment refait le monde pour l’adapter à la philosophie mondiale émergente de la suprématie blanche. Un jour, nous devrons tous-tEs faire face au lien entre ce colonialisme et le changement climatique. (tanya tagaq).

Tout est question de vérité, de réconciliation et de guérison (Tom Dearhouse) .

1 – Positionnalité [retour sommaire]

Vous pouvez être mal à l’aise avec de nombreux mouvements de gauche parce qu’ils refusent de reconnaître le capacitisme et la lutte des personnes handicapées dans leur mouvement, où la violence systémique est largement normalisée [17]. L’incapacité à nommer cet agenda colonial, sur la manière dont il a fonctionné et la manière dont il contribue à favoriser l’expansion coloniale, ne sert qu’à maintenir le système intact et les structures hégémoniques de la blancheur qui construisent ces relations extractives, en perpétuant les inégalités de santé existantes. Ces inégalités en matière de santé sont le reflet d’inégalités structurelles plus larges et globales, en relation avec ces inégalités de communication. Nous avons aussi souvent du mal à assister à des événements auxquels nous ne sommes peut-être même pas les bienvenuEs parce que nous sommes trop franc-hEs. Fanon a dit que « la décolonisation est toujours un mouvement violent » quand bien même la décolonisation et la décolonialité s’avèrent très utiles pour comprendre les séquelles de ce colonialisme et prendre plus au sérieux cette nécessité de s’engager dans des formes de praxis beaucoup plus radicales. La résolution des conflits, en tant que travail de guérison individuel et collectif est d’une importance cruciale pour nos mouvements, mais à l’ère des catastrophes, elle devient beaucoup plus importante que jamais.

[17Le capacitisme est une forme d’oppression structurelle. Cela signifie qu’elle est souvent invisible, en particulier pour les personnes qui n’en sont pas victimes. Le capacitisme/validisme affecte tout, des attitudes culturelles comme la honte, la stigmatisation et la peur, les obstacles institutionnels, la participation à la vie quotidienne… Le capacitisme systémique est aussi très présent dans des espaces qui sont censés être sûrs et progressistes. « Moins vous pensez à votre oppression, plus votre tolérance à son égard grandit. » – Assata Shakur. Pour les personnes qui ont survécu à la violence systémique, un paradigme occidental de la psychiatrie à lui seul peut naturaliser davantage l’oppression en pathologisant la détresse au niveau individuel. C’est pourquoi Martin-Baró (1989) définit la santé mentale comme communautaire, relationnelle, historique et liée à la justice sociale. (DGS)

L’objectif est d’amener les gens à se mobiliser et à imaginer plus qu’à construire quelque chose de nouveau, et pour y parvenir, nous devons les amener à discuter des torts qui ont été causés envers nos communautés, pour les rendre visibles et intelligibles, et sur la manière dont nous pouvons nous entraider pour contrecarrer les forces qui nous nuisent lorsque nous nous retrouvons sans les outils dont nous avons besoin en cas de crise. Faire prendre conscience aux gens qu’une atrocité est conforme à la nature coloniale de leur pays ou comprendre les liens entre les torts historiques et la dynamique persistante qu’ils ont créée au fil du temps est une tâche bien plus difficile que de laisser libre cours à ses émotions ou à la vengeance.

Cette épistémologie raciale est encore justifiée par le déni de l’histoire qui faisait partie d’un déni de l’être humain (colonialité de l’être), et en fait d’un déni du savoir (colonialité du savoir).

La déclaration de positionnalité – en tant qu’agent de la colonialité – est une coutume dans les milieux décoloniaux. Elle est devenue une pratique réflexive de plus en plus encouragée dans les relations internationales et d’autres disciplines, une confession des privilèges qui consiste à évaluer et révéler sa complicité dans cette dynamique de pouvoir inégale et la production de connaissances.

La France est toujours le dernier pays d’Europe à être condamné par l’ONU [18] pour son incapacité à intégrer les personnes handicapées dans son tissu social, et préfère les envoyer dans les prisons, dans la rue ou d’autres institutions. Comment faire pour que les milieux qui se prétendent progressiste ou radicaux puissent aussi mettre en lumière cette exclusion sociale afin qu’ils ne se rendent plus complices des protocoles ou pratiques individuels ou institutionnels qui soutiennent la suprématie blanche et l’état carcéral ?

[18Ce modèle social du handicap (basé sur les droits de l’homme) n’a toujours pas été intégré dans la législation française, ni dans la réglementation nationale, pas plus qu’il n’en n’est devenu partie intégrante de la conscience politique et professionnelle de ce milieu, alors que tous les autres pays européens ont transité vers ce modèle. Ce modèle social nécessite de « responsabiliser les français.Es », les héritiers du marketing des « Lumières », avec la cognition nocive, l’arrogance civilisationnelle persistante et pathologique qui va avec, un pays souffrant d’illuminations occidentales… Bon courage à vous !

Je suis survivant de deux traumatismes crâniens graves, survivant de la psychiatrie, survivant des milieux « progressistes ». Parce que comme ce texte l’explique, l’oppression, la suprématie blanche et la violence sont tellement normalisées dans les esprits que personne ne vous comprend et ne prend le temps de comprendre la complexité de vos traumatismes. Parce que le travail abolitionniste est totalement incomplet si ces handicaps ne sont pas présents dans ces milieux, et ne réussiront pas sans nous. Les personnes les mieux placées pour identifier ces biais sont celles qui en font l’expérience de manière directe. Parce que ma communauté (cérébro-léséEs) est fortement exclue socialement et fortement présente dans la rue (50%), dans les prisons (33%),.. ceci est une modeste contribution pour amplifier les appels à ne laisser personne de côté.
Comme le dit « TL« , « Nous demandons en outre qu’il soit mis fin à la stigmatisation des personnes handicapées par celles et ceux qui prétendent se battre pour nous. »

Grâce à nos guérisons personnelles, nous avons appris à faire la différence entre une situation inconfortable, une situation potentiellement dangereuse ou véritablement mortelle. Nous ne pouvons pas non plus nous détourner du lien entre ce système de santé défaillant et néfaste envers nos communautés qui perpétue l’eugénisme et les stratégies carcérales, l’incarcération massive des communautés Noires, Brunes et Autochtones, la détention et l’expulsion des communautés de migrants – un système enraciné dans les idéologies suprémacistes blanches valides et les systèmes de colonisation, d’esclavage, de contrôle de la population et d’eugénisme.

Un cadre abolitionniste considère les prisons, la police, l’éducation standardisée, les « soins de santé », et d’autres systèmes en tant que moyens interconnectés d’oppression et d’exploitation. Nous ne pouvons pas nous détourner des liens entre les cycles de violence familiale/interpersonnelles, la dépression, le suicide dans nos communautés, la consommation de substances et cet esclavage, ces génocides industriels, ces guerre, la colonisation, et l’incarcération globale.

Afin de comprendre globalement la répression politique et spirituelle, nous devons examiner de près la criminalisation de la résistance et de la protestation pour transformer les traumatismes et la manière dont nous réagissons et nous comportons. Pour celles et ceux qui comprennent que notre lutte pour résister aux prisons, aux guerres sans fin, à l’esclavage, à la colonisation… reste indissociable de la transformation de nos traumatismes, et que nous serons toujours surveilléEs ou dépendantEs de l’État pour notre propre guérison pour nous empêcher de créer des infrastructures de soins qui remplaceront ces infrastructures du capitalisme.

Mais pour transcender les multiples crises épistémiques et systémiques qui hantent ce XXIe siècle, la justice épistémique sera indispensable pour se libérer de cette colonialité (S. N. Gatsheni), de ces traditions néolibérales, et réfléchir à la question ontologique fondatrice des cultures colonisées dont l’humanité a été remise en question, sur la façon dont cela a eu un impact sur leurs connaissances, leurs histoires, leurs cultures et leurs santés. Il ne peut y avoir de bonne science sociale qui ignore plus de 50 % de la population qui est de sexe féminin, mais on ne peut pas non plus abandonner 15 % de la population mondiale sans éveiller une conscience critique sur l’injustice épistémique, l’inégalité, le pouvoir, les privilèges et l’oppression tels qu’ils se produisent dans de nombreux mouvements. Ce n’est qu’en tombant amoureux-sEs des stratégies de survie de chacun et chacune et des perspectives épistémiques décoloniales que nous pourrons ébranler les fondements de la pensée dominante, en appelant à une abondance de soins radicaux pour se débarrasser de ces siècles d’idéologies d’austérité, de sujétion et d’extraction.

Notre mémoire collective est constamment blanchie et notre coopération avec le maintien du capitalisme mondial nécessitant la mort en masse est largement sollicitée, parce que le capitalisme a toujours besoin d’une classe de personnes jetables de plus en plus croissant pour se maintenir. Il existe des exemples de résistance dans le Sud Global sur ce dont les gens sont capables lorsqu’ils réalisent que les puissants les considèrent comme des vies jetables, des populations excédentaires ou écrasées au nom de leur (non)productivité.

Ce projet (Global Disability justice) tient à rendre hommage aux peuples des Premières Nations, aux peuples Autochtones du monde entier – en les reconnaissant comme les premiers chercheurs et créateurs de connaissances au monde. Ces communautés sont des experts post-apocalyptiques et peuvent mieux imaginer des mondes au-delà de nos réalités actuelles… mais pour imaginer, beaucoup d’entre eux ont d’abord dû survivre aux nombreux génocides.

Le savoir qui nous a porté auparavant et qui nous a plongé dans les problèmes actuels ne peut pas être le même savoir qui nous permettra de sortir de cette crise et d’imaginer un autre avenir (Gatsheni). C’est pourquoi la recherche sur le savoir Autochtone et en fait sur le savoir et les épistémologies du Sud global sont devenue urgents et nécessaires.

Nous devons remettre en question la psychologie dans la manière dont elle considère le traumatisme comme une expérience individuelle non seulement anhistorique, mais aussi séparée de l’expérience sociale (modèle biomédical). Sans cet examen collectif de ces traumatismes, nous passons à côté de beaucoup de choses, de l’histoire, de la société et de la politique. Nous avons été traumatiséEs et socialiséEs pour nous éloigner de cette indispensable et nécessaire interdépendance, de notre capacité à nous soigner et à nous entraider.

En utilisant des preuves historiques pour insister sur le fait que la détention actuelle relève également de l’eugénisme, en tant qu’abolitionnistes, vous pourrez, dans ce texte, reconnaître plus facilement les liens entre carcéralité et eugénisme qui renforcent les coalitions entre les mouvements pour l’abolition carcérale, la justice reproductive et la justice des personnes handicapées. Si l’un des moyens par lesquels l’eugénisme opère est la détention, alors l’abolition carcérale doit inclure une analyse explicite de la manière dont les désirs eugénistes de contrôler la reproduction continuent de motiver l’enfermement global. Ce fonctionnement de l’incarcération, i.e. le confinement en institution et l’élimination des groupes subalternes, se positionne comme la réalisation de l’imagination coloniale de l’hégémonie suprémaciste blanche et où la réduction au silence et l’effacement des groupes subalternes sont soutenus par les hégémonies de « l’expertise » (Joseph, 2015, p. 194).

bell hooks nous disait qu’ « au moment où nous choisissons d’aimer, nous commençons à avancer vers la liberté, à agir de manière à nous libérer et à libérer les autres ». Dans cet optique de nous recentrer aussi sur l’Afrique, BlackHouse Kollective [19] nous demande de réfléchir et de méditer sur le pouvoir transformateur de l’amour Noir dans notre lutte collective pour une véritable libération : « nous croyons que l’amour des noirs est plus qu’un simple sentiment – c’est un outil révolutionnaire, une force qui nous aide à nous organiser, à nous unir et à guérir alors que nous travaillons vers la vraie liberté ! »

[19BlackHouse Kollective (BHK) n’est pas une université ni même une pluri-versité, mais, pour paraphraser une expression de l’enseignant, philosophe et ancien de Soweto, Sibusiso « Général » Nxumalo, un vortex de possibilités décoloniales. BHK est un site de décolonialité combative, dont certaines des activités décoloniales transdisciplinaires ont émergé dans le cadre du projet de décolonisation de l’université. L’UNISA a fourni un soutien crucial à certaines des activités décoloniales transdisciplinaires qui ont émergé de la BHK. Impossible de parler de décolonialité sans citer ce collectif décolonial, un foyer idéologique pour la pensée radicale Noire.

2 – Rappels importants [retour sommaire]

• Le capacitisme/validisme, associé à la suprématie blanche, soutenu par le capitalisme et souligné par l’hétéropatriarcat, a rendu invalide la grande majorité du monde (Sins Invalid, 2015).

• Les idées construites de normalité, d’intelligence et d’excellence sont profondément enracinées dans l’anti-noirceur, l’eugénisme et le capitalisme. L’oppression des personnes handicapées est liée au « projet colonial massif d’expansion de l’Europe occidentale » (Paty Berne, Sins Invalid, 2016, p. 18).

• Le capacitisme est un système de pouvoir fondamental qui « prépare le terrain » pour de nombreux autres systèmes, structures et pratiques de domination, tels que l’eugénisme, le racisme scientifique, le meurtre et l’esclavage. (Mia Mingus)

• Les interprétations dominantes du handicap promouvant l’oppression des personnes handicapées sont historiquement liées à la suprématie blanche, au colonialisme de peuplement, au capitalisme et à l’hétéropatriarcat (Hedva, 2016 ; Mingus, 2011a ; Sins Invalid, 2016).

• Pour survivre, la suprématie blanche dépend du capacitisme/validisme, du racisme, du sexisme, du classisme et d’autres formes d’oppression. Chacune de ces oppressions est profondément enracinée dans le capacitisme/validisme. (Talila Lewis)

• Bien qu’apparemment nouvelle pour une grande partie du public, l’importance croissante des revendications abolitionnistes a été rendue possible grâce à des décennies d’organisation et d’élaboration de stratégies à la base, en particulier par des groupes de justice dirigés par des noirs, des queers, des Autochtones et des personnes handicapées, qui ont jeté les bases d’un débat public et d’un engagement envers les idées et les pratiques abolitionnistes (Davis, Dent, Meiners et Richie 2022 ; Russell et Stewart 2001 ; Critical Resistance 2008 ; Abolitionist Futures 2019 ; The Red Nation 2021). Pourtant, l’histoire de cette organisation – et l’héritage important de la pensée abolitionniste qui a façonné le moment actuel – sont souvent moins connus.

• La décolonisation du 20e siècle, lors de la transition de l’empire aux États-nations modernes après 1945, s’est transformé en une colonialité mondiale invisible se cachant dans des systèmes, des institutions et des structures et se reproduisant constamment dans la psyché/l’esprit des sujets modernes, poussant Ngugi wa Thiong’o à appeler à la décolonisation des esprits.

• Le monde moderne a été inventé sur un modèle transcendantal de pouvoir (colonialité) construit et introduit avec ses binaires, ses dichotomies et ses hiérarchies/hétérarchies à travers ce que Ricardo Sanin-Restrepo a appelé le « cryptage du pouvoir », qui se transforme en connaissance de contrôle, de domination et d’exploitation, produisant une pyramide sociale invisible avec les blancs inventés au sommet, ceux condamnés comme noirs poussés en bas et ceux désignés comme Autochtones exposés aux génocides.

• Comprendre la différence entre être « anticolonial » et être « décolonial ». Être décolonial exige un amour décolonial pour celles et ceux qui ont été oppriméEs. Un amour radical qui soit ouvert à leur volonté de vivre et de lutter pour leur libération, qui nécessite de se poser constamment les questions : « Est-ce la décolonisation ? Est-ce la transformation ? Est-ce l’inclusion sociale ? Est-ce de l’africanisation ? Est-ce de l’indigénisation ? » (Sabelo Ndlovu Gatsheni)

• Immanuel Wallerstein a appelé les « épistémologiques fondamentales réouvertes » – qui réclament une meilleure compréhension au-delà du positivisme, de l’universalisme et du scientisme antérieurs – celles qui nous permettent non seulement d’apprécier l’épuisement du savoir eurocentrique dominant, mais aussi de reconnaître les « incertitudes actuelles du savoir » (Sabelo Ndlovu Gatsheni).

• Il est très difficile de nommer et de faire comprendre le présent colonial. Cette idée de sauveur blanc ou de paternalisme (voir épisode III) est extrêmement importante pour l’agenda impérialiste. L’un des plus grands mythes de la modernité occidentale, du développement capitaliste et de l’eurocentrisme est la conviction que l’enfer colonial imposé aux autres est la voie vers la civilisation. (Jairo I Funez)

• Le colonialisme, le capitalisme et le changement climatique sont liés de manière structurelle – et non simplement contingente. Le colonialisme ne prépare pas simplement le terrain aux impulsions expansionnistes du capitalisme dans la quête de marchés pour ses produits, l’extraction coloniale fait toujours partie intégrante de cette expansion. L’expansion coloniale européenne, à partir du XVe siècle, a été caractérisée par une exploitation systématique des ressources, souvent accompagnée de l’élimination des peuples Autochtones et de leurs sociétés (Guha, 1989 ; Galeano, 1997 ; Tharoor, 2016 ; Gilio-Whitaker, 2019 ).

• Les discours universitaire néolibéraux se sont efforcés de « réintégrer les personnes handicapées dans le monde » en s’appuyant sur le modèle social, mais ce n’est que récemment, vers 2014 – appuyé par des slogans comme « Decolonize, Not diversify » ou « Decolonize or DEI (Diversity, Equity, Inclusivity) » – que le domaine a pris un tournant décolonial critique bien nécessaire.

3 – L’eugénisme: un outil pour éradiquer les différences [retour sommaire]

Nos différentes notions de monstruosité affectent à la fois nos notions de punition et de ce qui devrait être contrôlé.
— Richard Tithecott, Des Hommes et des Monstres.

Dans Menace To The Future, Jess Whatcott nous rappelle que « la ségrégation des personnes handicapées a été décrite par les eugénistes au début du XXe siècle comme une stratégie d’amélioration et de contrôle de la reproduction humaine. Il n’est donc pas étonnant que les abolitionnistes soutiennent aujourd’hui que l’incarcération est un eugénisme et une forme d’injustice reproductive. La ségrégation à des fins eugénistes était l’enfermement à long terme dans des institutions étatiques de catégories de personnes dont l’hérédité était considérée comme menaçante pour le corps politique. Les principaux sites proposés pour la ségrégation eugéniste étaient les institutions pour l’enfermement des handicapés, y compris les hôpitaux psychiatriques, les foyers pour débiles mentaux et les colonies pour épileptiques. Les institutions utilisées pour la punition et la réhabilitation, telles que les fermes industrielles et les prisons, étaient également indiquées comme sites de ségrégation. Les eugénistes soutenaient que la ségrégation des classes dites débiles, malades mentales et criminelles n’était que partiellement efficace étant donné qu’il n’y avait pas assez d’institutions pour contenir tous ceux dont la reproduction constituait une menace. »

L’histoire des stérilisations de populations racisées, parrainés par l’Etat (U$A), est l’une des raisons pour lesquelles les féministes de couleur ont théorisé la justice reproductive.

L’institutionnalisation faisait et fait encore partie de l’éventail des stratégies utilisées pour faire respecter les idéologies capacitistes enracinées dans l’eugénisme qui traitent la sexualité, la reproduction et la parentalité handicapées comme indésirables. l’institutionnalisation à moyen et long terme, loin d’être uniquement injuste est une forme d’injustice reproductive ayant aussi ses racines dans l’eugénisme. Liat Ben-Moshe soutient que toute analyse du complexe carcéral est incomplète sans inclure les institutions d’emprisonnement pour personnes handicapées qui font partie de ce que Michel Foucault a appelé « l’archipel carcéral ». Ben-Moshe à appelé à examiner comment la pathologisation et la criminalisation ont été utilisées simultanément pour développer l’état carcéral, les institutions faisant partie de la logique carcérale de l’État.

Il faut surtout retenir que tous ces discours autour de la ségrégation eugéniste ont renforcé les visions et les idéologies suprémacistes blanches de la désirabilité et de l’appartenance nationale. Ces discours eugéniste et raciste ont surtout jeté les bases de l’emprisonnement de masse de populations Noires, Latines, Autochtones, Insulaires du Pacifique et de certaines populations asiatiques dans des prisons actuelles, sur le plan reproductif, sans négliger les façons matérielles dont les politiques eugénistes carcérales ont également handicapé les populations. Sans oublier le racisme environnemental qui a toujours eu un impact disproportionné sur les communautés pauvres et racialisées, cumulé aux traumatismes du racisme, du classisme et du sexisme. Les récits sur l’eugénisme qui mettent l’accent sur le genre et la race sans parler du handicap reproduisent les distinctions binaires entre les personnes de couleur et les personnes handicapées.

Nous devons réfléchir sur le rôle que la philosophie eugéniste (capacitisme scientifique) dans la structuration de l’enfermement passé et présent, pour comprendre comment les logiques de contrôle et d’enfermement sont devenues ancrées dans le fonctionnement des États modernes, sur la manière dont le confinement étatique fonctionne pour contrôler la reproduction et les chances de survie de groupes de personnes jugées biologiquement indésirables.

Il est facile de rejeter l’eugénisme et d’en parler comme une relique d’une époque révolue, mais l’association persistante de la race et du handicap dans l’objectif d’un affaiblissement nécessite que nous examinions comment les pratiques eugénistes continuent de reconstituer les hiérarchies sociales dans les contextes contemporains via la mise en œuvre d’une idéologie hégémonique du handicap (modèle médical discriminatoire auquel la France est accro) qui a de réels effets matériels sur les personnes situées aux carrefours des différences.

Il est essentiel pour nous de démystifier ces modèles de criminalisation que sont le racisme scientifique et l’eugénisme. En ne parvenant pas à reconnaître ces schémas quotidiens de violence d’État dans le maintien de la suprématie blanche, nous risquons encore de croire que notre expérience actuelle est nouvelle (Marius Turda). Le capacitisme et l’eugénisme historiques et modernes devraient être ouvertement discutés, y compris leur intersection avec le racisme (Dessent et al., 2022 ; Reese, 2023).

Cette structure éliminatoire de ce que la théoricienne du handicap féministe Rosemary Garland-Thomson a appelé la « logique eugéniste » persiste dans les pratiques contemporaines régissant le choix reproductif, l’inclusion/exclusion sociale, la participation démocratique et leur relation au handicap. L’hypothèse selon laquelle il serait préférable que le handicap n’existe tout simplement pas, qui sous-tend cette « logique eugéniste », est profondément ancrée dans la pensée et les pratiques sociales contemporaines, suffisamment profonde pour passer pour du bon sens, jusqu’aux pratiques actuelles de réduction au silence et sur l’idée même d’éradiquer complètement le handicap.

Nous avons vu une partie de la laideur que la peur et l’incertitude peuvent générer lorsque les mouvements pro-contamination, anti-masques et anti-vaccins, sont devenus de plus en plus répandus et agressifs, cédant finalement le terrain de la crise aux réactionnaires et à « l’eugénisme chic » qui sorganise avec ténacité ces temps-ci. L’impact de la COVID-19 a été disproportionné et dévastateur sur les communautés jugées les plus jetables (Noires, Autochtones, handicapées) par le capitalisme et le complexe carcéral.

L’eugénisme est devenu une philosophie dominante dans le monde à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, entraînant l’oppression d’innombrables personnes handicapées. Les arguments fondés sur le handicap sont souvent utilisés pour justifier la discrimination raciale. Les personnes d’ascendance africaine et les peuples Autochtones étaient classés comme moins capables intellectuellement, voire comme n’étant pas pleinement humaines (Annamma et al., 2013). Le handicap lui-même a également été compris à travers une catégorisation pseudo-scientifique. « Idiot », « crétin » et « imbécile » étaient des termes cliniques pour décrire les personnes ayant une déficience intellectuelle pendant une grande partie des 19e et 20e siècles (Illustrations ci-dessous) (Thomson, 2010 ; Rutherford, 2022). Tout comme les peuples colonisés ont été exclus de la création de connaissances (Quijano, 2000), les personnes handicapées ont été exclues de la recherche autrement qu’en tant que participants aux études, et les voix et perspectives des personnes handicapées font défaut dans les communautés éducatives et scientifiques (Ashby, 2011).

Les théories décoloniales remettent en question cet héritage historique et actuel du colonialisme et de l’exploitation par les Européens blancs valides (Mendoza, 2020). Une véritable décolonisation nécessite également de prendre en compte le handicap et son intersection avec la race (illustrations : LSE)

Nazi propaganda against disabled people

Propagande nazi contre les personnes handicapées qui coûtent chers à l’état.

Examples of historical ableism and scientific racism. A: Image describing levels of “mental defectives” from (MacMurchy, 1913).

Exemples de capacitisme et racisme scientifique historique. A: Image décrivant les niveaux de “déficients mentaux” (MacMurchy, 1913).

Grades of Intelligence » de (Wells, 1868) illustre le lien entre stéréotypes raciaux et intelligence présumée.

La logique eugéniste établit des critères pour déterminer quels corps sont consommables et lesquels doivent être protégés, quels sont les corps qui peuvent bénéficier de soins et quels sont ceux qui ne peuvent pas en bénéficier, quels sont les corps-esprits qui sont vilipendés en raison de leurs vulnérabilités et lesquels peuvent être en sécurité.

Le capacitisme est enraciné dans la suprématie blanche et l’eugénisme, et nous dit que certains corps ont de la valeur et que d’autres sont jetables. L’eugénisme est un mouvement capacitiste et raciste qui considère les personnes handicapées, ou celles présentant des caractéristiques non européennes et certains comportements, comme génétiquement inférieures et donc considérées comme « socialement inférieures » et indésirables. Cela a conduit certains partisans de l’eugénisme à affirmer que les personnes handicapées devraient être séparées du reste de la société dans des « colonies de déficients mentaux » pour empêcher la reproduction d’une race « sous-normale ».

En centrant les communautés les plus touchées par l’eugénisme, nous travaillerons à la construction de solutions qui transforment les fondements eugénistes de la dépossession, de l’esclavage, du capitalisme racial et de la suprématie blanche. Ces valeurs eugénistes éclairent/sont éclairées par le colonialisme de peuplement, le patriarcat et le capacitisme/validisme. Les eugénistes ont considéré à la fois la race et le handicap comme des signes de « dégénérescence », lisant souvent la dégénérescence « raciale » comme un handicap physique (Bashford & Levine, 2010) (Disability and colonialism)

Les discussion sur l’incarcération négligent aussi largement l’histoire oubliée de l’institutionnalisation massive et à long terme des personnes handicapées, une ségrégation motivée par une application continue de l’eugénisme et une discrimination persistante, qui constitue une partie importante de l’histoire de l’emprisonnement, une partie qui a façonné les contours clés du système correctionnel actuel.

La ségrégation et la détention ont toujours servi à contrôler celles et ceux qui se trouvent en marge : les pauvres, les minorités et les personnes handicapés. Ces attitudes eugénistes se sont combinées pour créer les politiques qui ont conduit aux systèmes actuels de détention punitive. Tant que nous nous ne comprenons pas cette longue histoire persistante de l’institutionnalisation forcée des malades mentaux, des handicapés cognitifs et physiques et des « socialement indésirables », nous resterons mal équipés pour résoudre le problème de l’incarcération (Marta Russell).

Ce n’est qu’en explorant pleinement ce récit oublié de la détention et de l’isolement à long terme que nous seront en mesure de comprendre, diagnostiquer et résoudre la crise mondiale de l’incarcération.

Le capitalisme a mis en place une dynamique de production qui a dévalorisé les corps moins/non exploitables, moins productifs, et le darwinisme social a théorisé leur caractère jetable, la justification de leur élimination. Les mythes du capacitisme et les messages qui disent que tout ce que nous avons à faire est de travailler « plus dur » et « plus intelligemment » sont des messages qui imposent, construisent et renforcent des hiérarchies oppressives, qui définissent, sous le capitalisme, la valeur comme dépendant de la productivité d’une personne, et qui ne reconnaissent pas le pouvoir de la diversité humaine dans nos besoins et nos capacités. Pour ne pas perpétuer cet héritage de l’eugénisme, l’inclusion radicale est la pratique consistant à honorer nos besoins variés et nos différents et chercher à voir et à honorer nos handicaps et capacités uniques et les intersections de nos nombreuses identités.

Au début du 20e siècle, des lois sur la stérilisation étaient en vigueur dans la majeure partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Ces lois s’adressaient en grande partie à des individus présentant des différences intellectuelles et psychiatriques et reflétaient les conceptions eugénistes de l’époque. Ne pas s’engager de manière critique face à des histoires difficiles peut avoir de graves conséquences pour les personnes vivant parmi nous avec un esprit et/ou un corps non conformistes.

Nirmala Erevelles, Andrea Minear (Unspeakable offenses) nous rappellent comment au début du XXe siècle, les lois Jim Crow et l’eugénisme ont constitué les deux principaux mécanismes qui ont patrouillé les frontières de la société afin d’identifier les individus et les communautés considérés comme une menace pour l’ordre social normatif au sein d’un système capitaliste naissant.

La guérison des blessures profondes causées par un siècle d’eugénisme nécessite une reconnaissance publique des torts causés par le passé et de celles et ceux qui continuent d’être maltraités aujourd’hui. Les histoires de ces femmes et de ces hommes qui ont été lésés par l’eugénisme doivent être racontées et leurs vies honorées. Le bilan personnel et collectif avec l’héritage de l’eugénisme reste un sujet sensible et émotionnel pour de nombreuses personnes, notamment parce que pendant si longtemps l’eugénisme a renforcé et amplifié les pratiques discriminatoires fondées sur la race, la classe, le sexe, le handicap et l’âge. Éduquer sur l’eugénisme, s’y intéresser et le condamner publiquement sont autant d’éléments essentiels dans ces efforts pour comprendre ce passé caché et ténébreux, tout en œuvrant pour une société plus juste et plus équitable pour tous-tEs. Nous ne pouvons éliminer les racines mondiales de l’eugénisme qu’en prenant personnellement et collectivement en compte les torts qu’il inflige à celles est ceux qui en sont les plus impactées (Marius Turda), quand ce sont aussi les plus vulnérables.

En appelant à favoriser un monde d’inclusion et d’empathie, Diane Umuhoza Rudakenga nous explique qu’en nous reconnaissant et en nous célébrant pleinement, nous ouvrons la voie à un monde où la diversité n’est pas seulement acceptée mais chérie, nous nous engageons à créer des environnements où chaque voix est entendue, chaque identité est honorée et chaque individu s’épanouit.

Pour les environnementalistes, abolitionniste, antifascistes… soucieux de la faible présence ou l’absence totale de personnes marginalisées/handicapées dans les espaces de justice sociale, un petit résumé du livre de Jasbir Puar explique la nécessité d’inverser la méthode d’organisation pour les enraciner vers une solidarité avec des communautés subalternes dans une politique de « mise du corps en danger », avec ces corps devenus vulnérables et les transformer en armes dans la résistance active aux structures néocoloniales et capitalistes.

Son travail est incroyablement utile pour réfléchir aux impacts affaiblissants et persistant du capitalisme néolibéral-capacitiste. Ses travaux récents (The Right to Maim, 2017) sur l’affaiblissement illustrent l’incapacité des corps non seulement à se sortir de la pauvreté, mais aussi l’incapacité des corps à répondre à l’impératif néolibéral exigé par les idéologies cruellement optimistes du capitalisme avancé en période d’austérité (Puar 2009, 2010, 2011, 2012). Ce texte est devenu une référence pour de nombreux chercheurs contemporains en Critical Disability Studies.

4 – Race, Indigénéité, Handicap, état-nation et colonisation. [retour sommaire]

Je pense qu’au moins au début, j’avais compris que l’État-nation et le colonialisme étaient interchangeables. J’ai toujours compris l’État-nation comme cette structure imposée aux peuples Autochtones, l’architecture qui a permis la dépossession, l’extraction, le capitalisme racial, l’hétéropatriarcat, toutes ces choses… Qu’est-ce qu’un État-nation sans frontière ?
— Leanne Betasamosake Simpson

Le rôle central du handicap dans la création de l’État-nation colonial des colons blancs reste peu exploré ou totalement absent, alors qu’il peut élucider les sites clés du pouvoir biopolitique au sein du colonialisme (Soldatic ; Disability and Colonialism). De même, Lennard Davis souligne que « notre construction du monde ’normal’ repose sur une répression radicale du handicap » car « sans le corps monstrueux pour délimiter les frontières du générique… et sans le pathologique pour donner forme au normal, les taxonomies de la valeur corporelle qui sous-tendent les arrangements politiques, sociaux et économiques s’effondreraient » (Garland-Thomson, 20). Il en a été de même pour l’orientalisme qui a servi comme justification de la domination occidentale (Edward Saïd) [20]. John Gilroy et Smith-Merry (2019), définissent l’intersection du capacitisme et du racisme comme une pratique de la science et de l’hégémonie occidentales, une forme de capacitisme racial, « racial-ableism », dans lequel l’hégémonie de la race opère simultanément avec l’hégémonie du fonctionnement normatif.

[20La théorie anticoloniale met l’accent sur la colonialité comme un processus historique et continu et un ensemble de relations sociales de pouvoir, au centre de l’opération de construction de la différence pour la fonction de l’hégémonie coloniale (Simmons et Dei, 2012). Une réflexion déshistoricisée sur le capacitisme et le « traitement » de la « différence » produit ensuite une action – ou plutôt une inaction – qui ne remet pas en question les processus, les projets et les systèmes historiques qui créent et perpétuent l’oppression. Cette approche crée un espace d’analyse de la relation réciproque entre la construction de l’Autre (la logique de l’orientalisme) et la suppression de l’Autre. Pour que l’Autre soit confiné et retiré du « public », il doit être construit comme inférieur en juxtaposition à un non-Autre (Said, 1993).

Ces expériences de capacitisme racial contribuent à une mauvaise santé mentale et à une mauvaise confiance en soi. Adams et Crowe (2020) expriment des préoccupations liées au langage et au bien-être qui se prolongent au-delà de l’individu qui en est directement impacté et s’étendent également, tel un cancer, aux communautés et aux sociétés.

Et pourtant, à quelques exceptions près, peu d’attention a été accordée à la ségrégation (institutionnalisation) et à la détention parallèles des personnes handicapées. Celles et ceux qui souhaitent démanteler l’État carcéral doivent comprendre l’histoire de sa création. L’incarcération de ces individus dans des institutions, ainsi que d’autres qui ne s’intégraient pas parfaitement au système politique, était considérée comme nécessaire pour soutenir l’émergence de nouveaux États-nations en Europe (Laura I Appleman).

La tendance à éclipser, ignorer ou nier le rôle du handicap nie la manière dont les idées de blancheur, de forme physique et de productivité, fondées sur la rationalité du capacitisme scientifique, ont imprégné l’imaginaire de l’État-nation colonial des colons blancs (Jakubowicz & Meekosha, 2002 ; Soldatic et Biyanwila, 2006 ; Soldatic, Meekosha et Somers, 2012) (Soldatic). L’une des implications de ces pratiques était de représenter les Européens comme des personnes valides/capables et les populations locales comme des malades, des affaiblis et des handicapés, une dynamique aggravée par le développement de la médecine coloniale qui prétendait utiliser la science occidentale pour « guérir » les « continents malades » d’Afrique et d’Asie (Vaughan, 1991) […] L’intégration du handicap dans l’analyse « postcoloniale » nous rappelle que la colonisation ne concernait pas seulement un corps « blanc » ou un corps « masculin », mais aussi un corps valide/capable. (Disability and colonialism)

Pour comprendre comment le capacitisme et le racisme sont interconnectés, comme Talila Lewis le souligne, les tropes utilisés pour distinguer les corps blancs prétendument supérieurs des corps de couleur prétendument inférieurs se sont appuyés sur des évaluations corporelles qui prenaient le corps masculin blanc capable/valide comme centre et « norme ». Les notions de handicap éclairent la façon dont les théories de la race ont été formées, et les théories de l’incarnation raciale et de l’infériorité (racisme) ont façonné la manière dont nous conceptualisons le handicap (Liat Ben-Moshe).

Pour approndir les liens entre le racisme anti-noir, le capacitisme et tous les racismes, lire les écrits de Liat Ben Moshe (Decarcerating Disability), Nirmala Erevelles, Talila Lewis, Subini Annamma et Karen Soldatic, entre autres..

les chercheurs de la CRT (Critical Race Theory) soutiennent aussi que « les races sont construites de manière relationnelle les unes contre les autres, plutôt que de manière isolée » (Haney Lopez, 168), de telle sorte que les privilèges dont jouissent les Blanc-hEs sont directement liés à la subordination des personnes de couleur (Harris).

5 – Aller au-delà du travail antiraciste [retour sommaire]

Tout notre mouvement est parti de la lutte contre les violences policières, et nous luttons toujours contre les violences policières. À bien des égards, la situation a empiré.
— Imani Keith Henry, MSW, MPA, TransJustice.

Contrairement à la vision relativement étroite du racisme en tant que préjugé individuel, les perspectives universitaires extérieures à la science psychologique hégémonique occidentale ont articulé une compréhension plus large du racisme qui relie les idées d’infériorité aux forces structurelles, qui reflètent et reproduisent les idéologies de la différence, de la domination et de l’assujettissement. Le racisme est plutôt « un mariage de politiques racistes et d’idées racistes qui produit et normalise les inégalités raciales » (Kendi, 2019, p. 18). Une psychologie décoloniale centrée sur l’Afrique met l’accent sur quatre points : la colonialité de la modernité, le racisme dans la structure des mondes quotidiens, la normativité blanche et le racisme du point zéro (N. Malherbe, K Ratele, S. Suffla).

Il faut dépasser le stade où l’on pense que l’on est pas raciste parce que l’on ne commet pas d’actes ouvertement racistes, ou parce qu’on a pas sa carte d’adhérent au RN, ni des stickers de bardella sur son frigo. Cette suprématie blanche ne mourra pas tant que les Blanc-hEs ne prendrons pas consciences qu’iElles sont blanc-hEs. L’antiracisme n’est pas qu’un problème noir avec lequel les blanc-hEs doivent sympathiser, mais un problème de blancheur qu’iElles doivent résoudre. Le discours antiraciste muselé par ce désir de maintenir un monde « daltonien » (nouveau racisme) nous demande d’identifier et de résoudre cette inaction, profondément enracinée dans un déni incessant et d’explorer ce que signifie faire un travail critique de justice sociale, à partir de multiples emplacements, des multiples oppressions, de marginalisations extrêmes et de silences. Le mouvement de la théorie critique de la race, aux « états unis », a travaillé à éloigner les dirigeants à prédominance blanche de l’idée selon laquelle le racisme ne concernait que les gens en cagoules blanches et les skinheads… des décennies à essayer de leur faire comprendre les bases mêmes du fonctionnement du racisme institutionnel/systémique/structurel/formel/informel et de la suprématie blanche.

Si nous faisons uniquement un travail antiraciste, nous sommes en réalité de connivence avec le paradigme colonial. Nous sommes inconscients de connivence avec une vision coloniale du monde, et acceptons les systèmes du colonisateur. Même si ce n’est pas notre intention, nous acceptons la réalité qu’ils nous ont donnée, et la manière dont ils nous ont étiquetés, catalogués, diagnostiqués. Si nous faisons uniquement un travail de lutte contre le racisme, nous recréons en réalité le cycle et le monde qu’ils ont construits. Nous devons être conscientEs que nous vivons sous un paradigme colonial. La décolonisation nous aide à faire un zoom arrière et voir que ce n’est pas ainsi que le monde a été conçu. Franz Fanon parle également de la décolonisation comme d’un changement complet de l’ordre des choses, et encore une fois, la décolonisation nous aide à être plus conscients de notre rôle dans cette réalité actuelle de la société moderne, et aussi de la manière dont nous pouvons commencer à y apparaître pour créer le le changement nécessaire à la guérison et à la libération collectives et à la création d’équilibre et d’harmonie. (Dr Rozales Meza)

Les implications des liens entre race et handicap sont importantes et encore largement inexplorées, comme il faut travailler davantage pour faire ressortir ces complexités sur les intersections entre la blancheur et le handicap.

Il sera peut être possible et préférable de dénoncer les fascistes sans partager des pensées sanistes faisant allusion à leur intellectualité ou à leur manque d’intellectualité. Le capacitisme n’est toujours pas acceptable lorsqu’il est dirigé contre des personnes horribles, car son utilisation ne leur fait pas de mal (elles s’en moquent), mais nourri le fascisme, nuit à tout le monde et plus directement à la communauté des personnes handicapées (Cathy Reay).

6 – Se recentrer sur le handicap comme une lentille critique et privilégiée pour analyser les temps actuels. [retour sommaire]

Le travail sur le capacitisme est un travail sur l’eugénisme, le contrôle de l’État et la suprématie. Le capacitisme agit comme un mécanisme et un produit du racisme anti-Noirs, de la misogynie et de la haine des pauvres.
— Transgender Law Center

Plutôt que de qualifier le handicap de tragédie, la position du handicap est à la fois un espoir, un lieu de violence sociale unique et une source de connaissances critiques et de résistance politique. Ce sont des « agents transformateurs » de plus en plus reconnues, mais ces voix sont très souvent étouffées dans les systèmes coloniaux.

Les mouvements environnementaux traditionnels dominants et très homogènes qui ont toujours exclu les expériences et les réalités des sujets colonisées, racialisées – un mouvement qui ne comprend pas les besoins des personnes racialisées, de la classe ouvrière pauvre, des personnes handicapées – manquent de perspectives plus larges de justice sociale critique nécessaire pour parvenir à la justice climatique et ne peuvent comprendre les conséquences néfastes des politiques. Ces mouvements ne savent pas écouter et apprendre de celles et ceux qui sont ciblées, et qui ont une expérience directe de ces abus.

Parce que, l’une des raisons pour lesquelles le capacitisme fonctionne est que les personnes handicapées « ne sont même pas présentes dans l’imagination d’un avenir soi-disant radical » (Qwo-Li Driskill).

Les modes d’être coloniaux dans des contextes WEIRD et l’imposition de l’ontologie occidentale impliquant des hiérarchies binaires ne sont pas naturellement supérieures ou neutres. Ce sont des formes modernes coloniales, intenables et non durables qui reflètent et reproduisent la violence du colonialisme. Le travail de décolonisation est très difficile, surtout lorsque cette normalisation du pouvoir et du contrôle des colonisateurs se reflète dans les systèmes de connaissances culturelles, dans les croyances et les pratiques quotidiennes.

Il y a une reconnaissance croissante des caractéristiques uniques du handicap (Kulick & Rydström, 2015). Même si ces personnes handicapées existent, les préoccupations liées au handicap sont rarement abordées dans le discours des mouvements sociaux (Friedman et Owen, 2017) (Indigenous Disability Studies). Le handicap et ses caractéristiques sont reconnus comme étant l’incarnation même de la perturbation de cette normativité blanche qui est, à son tour, le symbole d’un individualisme tenace, efficace et rentable au sein des sociétés capitalistes. Le travail d’analyse des corps noirs/handicapés/en marge n’est pas seulement un travail de récupération des conséquences de ces politiques libérales, mais un travail qui nécessite une volonté de déconstruire les systèmes qui maintiennent ces corps/esprits « précieux » dans des sphères séparées. Une analyse décoloniale fournit des ressources cruciales pour pouvoir imaginer des alternatives.

À l’instar des théoriciens du handicap tels que James Overboe, David Mitchell ou Sharon Snyder, imaginer « d’autres façons d’être au monde » est une composante essentielle de la culture du handicap. Depuis notre zone de non-être, l’imagination est néanmoins une condition préalable à notre libération. Gayatri Chakravorty Spivak a suggéré la nécessité d’une « critique persistante de ce que l’on ne peut pas ne pas vouloir » en remettant en question les discours dominants de la suprématie blanche, de l’hétéro-patriarcat qui nous entourent et qui dominent notre imagination (Danius, Jonsson et Spivak, 1993 : 20). Les études critiques sur le handicap sont confrontées à un dilemme similaire : comment serait-il possible de désirer autre chose que ce que tout le monde dit que nous ne pouvons pas ne pas vouloir ? (Dinesh Wadiwel)

Grace Kyungwon Hong, Lisa Duggan, Roderick Ferguson et d’autres ont démontré que l’ascension du libéralisme, en tant que politique et épistémologie, est liée à l’incorporation de la différence minoritaire (Decracerating Disability, Liat Ben-Moshe).

L’incorporation de ces discours sur le déficit contribuent à « entretenir » la discrimination intersectionnelle en rejetant la responsabilité des carences ou des échecs sur les communautés, les familles et les individus. (Bindi Benett)

Tout comme les discussions sur le désavantage et la race nécessitent l’examen de l’avantage et de la blancheur, le handicap doit examiner la « capacité » en explorant l’impact des binaires hiérarchiques et des constructions occidentales de l’individualisme impliquant des discussions sur le handicap/capacité, ce qui conduit à un « paradoxe des binaires » qui continue de bloquer les discussions (Lavonna L. Lovern).

Parce qu’il existe une manière dominante de connaître « l’Autre » qui continue de justifier une sorte de contrôle colonial, placer le handicap en permanence au centre même de la critique culturelle et discursive est extrêmement important.

Les mythologies sur le handicap et la violence sexiste sont fortement ancrées chez les femmes vivant avec des handicaps ou des différences. Le discours sur le handicap propose des métaphores pour expliquer les problèmes humains des personnes non handicapées, même si la marginalisation des personnes handicapées continue de faire partie de l’imaginaire culturel de notre vie quotidienne. Quelle ironie particulièrement cruelle quand les personnes handicapées sont exclues des débats sur la discrimination alors que ces mêmes discriminations reposent si largement sur des métaphores handicapantes (Ian Goodley).

Pour renverser ces normes imposées, nous avons besoin d’une imagination et d’un niveau de solidarité que la plupart d’entre nous n’ont jamais connu. Cela signifie mettre la justice des personnes handicapées au centre de chaque discussion politique et l’intégrer à nos luttes. Pour que nous puissions lutter efficacement contre les racismes, vous devez comprendre l’importance et l’urgence de sensibiliser aux différents types de handicaps et de promouvoir notre inclusion au niveau communautaire en valorisant les groupes de défense et les initiatives communautaires dans la lutte contre la stigmatisation et la discrimination. L’inclusion sociale et radicale est entravée par ces attitudes négatives et les stéréotypes qui sont très répandus.

Pour maintenir ce système en place, n’allez pas imaginer qu’un changement épistémologique important pourrai se produire en y intégrant des perspectives intersectionnelles, pour comprendre que le changement climatique n’est pas compris comme un problème de gaz (ou de méga bassines, ou de désactivation du béton, ou de sauver Gaïa..) mais commence à être abordé comme un problème beaucoup plus profond de relations sociales (Islas, 2021) (CLACSO). Les personnes handicapées ont des modes de connaissance et d’être qui peuvent et doivent éclairer les fondements de tout projet de justice environnementale (DOPE21). Les politiques en matière de justice environnementale critiques qui visent à être « intersectionnelles » doivent inclure le handicap et le capacitisme et bénéficieront d’une catégorie d’analyse unique et de la considération spécifique du handicap.

Nous pouvons encore ralentir (Adrienne Maree Brown).

S’il y a bien une chose qui nécessite beaucoup plus de la lenteur, c’est la justice. Dans l’esprit du Combahee River Collective, pour mettre fin aux cycles de préjudices pour tout le monde il faut mettre fin aux cycles de préjudices envers les Noirs, les Marrons, les Autochtones… Il faut donc consacrer du temps pour comprendre la complexité de la survie des personnes en marge et de l’abolition.

Pour aller plus loin que les réformes réformistes qui prétendent résoudre les problèmes avec des solutions rapides, l’abolition est un projet inachevé, toujours un devenir collectif, une remise en question permanente, rester perpétuellement enseignable et construire un avenir capable de contrer ces pratiques eugénistes actuelles.

Ralentir une marche, une réunion, une manifestation afin que personne ne soit laissé pour compte, nous demande un niveau de respect les uns envers les autres et une prise de conscience qui sont en contradiction avec les normes de la société actuelle. Les personnes handicapés apprennent moins vite et ont de faibles capacités d’étude et ont besoin de beaucoup plus d’attention.

Cela implique de ralentir nos réactions collectives initiales de telle sorte que la violence ne se traduise pas par davantage de violence, mais par des conséquences alternatives et satisfaisantes qui aboutissent à une compréhension de la réduction des préjudices. Il est nécessaire, comme ce texte cherche à le faire, de sensibiliser sur cette impunité organisée et sur ces violences persistantes envers les plus marginalisées. La justice des personnes handicapées est un travail de préfiguration. Les puissants utilisent nos différences, toutes les barrières coloniales et votre esprit captif pour maintenir ces normes le plus longtemps possible.

Les cultures de domination dépendent de notre déconnexion (Susan Raffo).

Le capacitisme structurel et systémique fait partie de ces systèmes qui ont été mis en place pour piéger les personnes appartenant à des groupes particuliers, Autochtones, Noirs, homosexuels, queers, et la liste est très longue (Talila lewis).

Le centrage « par le bas » (ou non reformist reform) est un antidote aux pratiques hégémoniques de prétendue neutralité ou d’objectivité qui masquent la violence du regard hétéropatriarcal colonial. Ce type d’enracinement radical est une contre-pratique aux schémas selon lesquels certaines personnes sont des spectateurs perpétuels, tandis que d’autres sont toujours regardées (Cole, 2019 ; Tuck, 2009). Lorsque nous luttons contre les lignes qui cherchent à déshumaniser, à ségréguer et à dévaster nos vies, nous avons besoin d’une justice décoloniale qui centre le rejet concerté des arrangements de pouvoir oppressifs (par exemple, la colonialité, l’impérialisme et l’hétéropatriarcat) (Dutta and Atallah ; Perspectives on colonial violence « from below »).

La pratique de la responsabilité est devenue une pratique quotidienne pour prévenir les préjudices et construire des sociétés qui répondaient aux besoins des autres de manière à ce qu’il n’y ait pas besoin de police ni de prisons […] Dans la pensée Anishinaabe, les humains ont été placés en dernier dans le monde naturel, l’Homme se situe en bas de l’échelle sociale. Le cycle mondial de l’eau et la diversité des écosystèmes qui composent la planète fonctionnaient déjà et produisaient une richesse de vie. Notre travail n’était pas de créer le monde. Il était déjà là. Notre travail consistait à écouter, pour témoigner […] et voir comment nous pourrions nous intégrer dans les cycles mondiaux existants sans tout gâcher. (Leanne Betasamosake Simpson) […] Comment pouvons-nous commencer par nous recentrer sur le bien-être des personnes qui vivent actuellement aux carrefours des systèmes imbriqués que nous essayons de démolir ? (Andrea Ritchie) Une politique anti-autoritaire exige que nous soyons présents (Harsha Walia). (from Abolition & The State)

7 – L’inclusion radicale pour créer une dynamique inverse. [retour sommaire]

L’invisibilité coûte cher et la reconnaissance de cette invisibilisation, en revanche, peut inciter à l’action.
— Nirmala Erevelles ; 2011

Le slogan de l’inclusion mondiale « Rien sur nous sans nous » ne sera jamais possible sans l’inclusion des personnes handicapées. (Zoila Romualdo Pérez) [21]

[21] « Rien sur nous sans nous » est un slogan mondial en faveur des droits des personnes handicapées créé par des groupes sud-africains de défense des droits des personnes handicapées dans les années 1980.

Prof. Sabelo Ndlovu-Gatsheni (Unisa), a déclaré que la cause du problème de l’inclusion et de l’exclusion remonte à l’époque où l’humanité était initialement classée socialement et hiérarchiquement selon des critères raciaux. « Il s’agissait essentiellement de la colonisation de l’être ». « Le déni de l’humanité à d’autres personnes a été fait à des fins d’esclavage et de colonisation. La question de l’inclusion et de l’exclusion ne peut donc pas être dépolitisée. Celles et ceux à qui l’humanité a été refusée doivent d’abord bénéficier d’une restitution. » […] « Il existe donc un lien certain entre la question ontologique et la question épistémologique, lorsque l’on nie que quelqu’un est humain, on nie également qu’il ou elle possède des connaissances. »

En France, la domination du modèle individuel/médical/déficitaire encore fortement présent légitime l’exclusion et l’inaccessibilité du handicap en décrivant le problème comme émanant d’un corps ou d’un esprit qui n’est pas à la hauteur des normes de la vie moderne.

L’inclusion radicale est indispensable pour faire progresser la justice intersectionnelle.

Le handicap est une expérience humaine omniprésente et intersectionnelle. L’intersectionnalité est une pratique d’inclusion radicale qui centre les personnes marginalisées au sein des communautés opprimées (Garza, 2020 ; Ransby, 2018) et nécessite l’intégration de la guérison dans les mouvements de libération. Dès lors que ces mouvements deviennent accessibles et de plus en plus intolérants à l’égard du capacitisme, de nombreuses personnes s’impliquent dans le travail de changement parce que c’est ainsi qu’elles commencent à guérir. Elles considèrent que leur travail consiste à modifier les systèmes et les modèles qui leur causent du tort, à elles-mêmes et à leur entourage (Susan Raffo).

La liberté épistémique est fondamentale dans la lutte plus large pour la décolonisation car elle permet l’émergence de la conscience critique décoloniale nécessaire. (Sabelo Ndlovu Gatsheni ; Epistemic freedom in Africa)

Il faut localiser la source de l’oppression du handicap dans l’esprit biaisé d’individus libéraux, ignorants et insensibles. L’invisibilité des personnes handicapées dans l’espace public est liée au niveau d’ignorance (l’omission épistémique) de la société à l’égard de l’histoire des personnes handicapées. Pour s’attaquer aux pratiques et idées contemporaines d’exclusion, il faut reconnaître la nature répandue du capacitisme dans la société. CertainEs ont fait valoir que la révolution industrielle a considérablement amplifié les préjugés capacitistes (Rose, 2017). Dans un modèle capitaliste exigeant la productivité économique et de la rentabilité, les personnes handicapées sont devenues un coût pour l’État. Tout comme les personnes inférieures n’étaient pas censées survivre dans la nature, elles n’étaient pas censées survivre dans une société capitaliste et compétitive. Pour les magnats du XIXe siècle, le darwinisme social s’est avéré une merveilleuse justification pour laisser la population excédentaire mourir dans la pauvreté. Il n’est ni arbitraire ni irrationnel que les personnes handicapées aient été exclues de l’éducation, des transports et d’autres sphères sociales. Il est plutôt logique qu’un tel état de choses existe aussi longtemps que les personnes handicapées n’auront que peu de valeur en tant que travailleurs pour la classe capitaliste (Marta Russell).

Nous vivons actuellement une époque de politiques néolibérales intenses qui se traduisent par des contraintes budgétaires qui signifient surtout une privatisation accrue des peines et des soins de santé ; non pas le déclin de la ségrégation, mais son intensification par d’autres moyens. Les militantEs qui luttent contre l’incarcération et y résistent ne doivent pas seulement se méfier des politiques néolibérales, mais aussi de « l’installation progressive et dispersée d’un nouveau système de domination » (Deleuze 1992, 7).

Les structures et les mouvements sociaux ne parviennent pas à lutter contre ces injustices sociales de longue date et ces injustices environnementales lorsqu’ils sont intrinsèquement coloniaux et majoritairement blancs. Reiland Rabaka (2014) expliquait que la recherche critique occidentale ne sera jamais critique tant qu’elle ne sera pas « pleinement consciente de cette suprématie blanche ». Il ajoute que les théories critiques européennes et américano-européennes, en particulier dans la façon dont elles s’orientent pour aborder les « problèmes sociaux », le font d’une manière anhistorique qui continue de soutenir « l’apartheid épistémique » dans leurs analyses d’oppression (handicap, race, genre). L’eurocentrisme présente aussi des limites épistémologiques qui empêchent la « réflexion » sur la nature du problème exploré, comme ce problème colonial, et qui limite finalement la praxis abolitionniste. Cet eurocentrisme consiste à examiner les problèmes sociaux sans prêter attention aux histoires qui les créent et les entretiennent. S’appuyant sur Amilcar Cabral, Rabaka (2014) explique que ce n’est qu’en « éradiquant les problèmes sociaux » ou en « retournant à la source » via la reconnaissance et l’engagement dans l’histoire du colonialisme que l’on peut aborder les problèmes sociaux de manière critique.

Les efforts visant à accroître l’inclusion et la représentation – « inclure les voix marginales » – ne constituent pas une décolonisation. La décolonisation implique des actions pour transformer les productions de connaissances de manière à permettre une égalité radicale pour les idées et les peuples marginalisés pour permettre l’accès à toutes les ressources associées et vitales. Tout ce qui va en dehors de cela n’est pas décolonisateur.

La question de se recentrer sur les périphéries n’est pas un problème d’inclusion, mais un travail de démantèlement de la mentalité de la suprématie blanche, de la blancheur.

La décolonisation signifie démanteler les systèmes d’oppression, et non ajouter des personnes de couleur comme décor (tokenisme). L’inclusion doit être une question de centrage. C’est pourquoi nous avons besoin d’une compréhension radicale de l’inclusion et utiliser ces connaissances pour briser les hiérarchies coloniales qui limitent notre réflexion (George J. Sefa Dei, [open access]).

Une suprématie blanche diversifiée reste une suprématie blanche. La diversité des oppresseurs (tokenisme) n’est pas une libération.

L’inclusion sans pouvoir ni leadership est un acte symbolique. (leah lakshmi piepzna-samarasinha)

L’inclusion radicale nous demande d’aller au-delà de l’accès des personnes handicapées, à un modèle qui ré-éduque sur les questions de handicap et permet de remettre en question les récits et les pratiques capacitistes pour contester activement le capacitisme ancré, parallèlement aux approches antiracistes équivalentes.

Un des plus gros problèmes généré par l’institutionalisation et la ségrégation des personnes handicapées, est que cette société n’est pas équipée pour prendre soin/n’est plus capable de co-exister avec des personnes vulnérables. Des spécialistes critiques du handicap ont soutenu que le passé précapitaliste était peut-être plus favorable au handicap que même le passé le plus accessible d’aujourd’hui, avec des espaces pour personnes handicapées plus intégrés dans le tissu social que ne nous le permettent les imaginations dominantes (façonnées par une histoire de l’eugénisme et du capitalisme) (Leroy Moore, Antipode, [open access]).

En tant que projet abolitionnistes, les théories du changement radical sont très importantes parce que nous recherchons quelque chose de beaucoup plus profond que la réforme – qui se contente de rechercher des changements cosmétiques, de bricoler sur les bords – et qui préserve intrinsèquement la violence du capitalisme. Sans ce changement profond, nous nous concentrons uniquement sur des réformes et finissons par construire des ponts sur une blessure – pour permettre à celles et ceux qui ont accès au pont puissent le traverser en toute sécurité – alors que d’autres n’y ont toujours pas accès et continuent de souffrir parce que rien n’a changé, parce que rien n’est transformé en profondeur.

Les abolitionnistes des prisons considèrent le complexe carcéral-industriel comme un ensemble de relations institutionnelles et politiques qui s’étendent bien au-delà des murs de la prison proprement dite. L’abolition des prisons est donc, par essence, une critique plus large de la société (Davis, 2000). Le démantèlement des murs de la prison n’est donc pas un objectif qui éliminera le recours à la coercition et à la punition comme mécanisme de contrôle de l’État, selon certains abolitionnistes (Angela Davis, 2000 ; Sudbury, 2004 ; Liat Ben Moshe ; 2014). Les abolitionnistes soutiennent que l’abolition des prisons ne consiste pas seulement à détruire ces institutions, mais à construire de nouvelles relations qui sont équipées pour intervenir à la racine des formes institutionnelles et interpersonnelles de violence et de préjudice, en se concentrant spécifiquement sur la justice des personnes handicapées qui comprend que l’une des fonctions essentielles de l’État carcéral est de criminaliser et punir les corps et les esprits non conformes (Katie Tastrom). Les abolitionnistes doivent aussi le comprendre si nous voulons vraiment nous attaquer à l’État carcéral sous toutes ses formes, parce que le carcéral est partout (A. Davis), y compris dans les milieux anti carcéraux.

Il est plus facile pour celles et ceux qui sont au pouvoir d’ignorer l’état malade des sujets colonisés, de négliger la prévalence de la blessure coloniale persistente que de reconnaître leur propre complicité dans la création de cette souffrance (DGS, Carolyn Urena, [open access]) et de les accuser à tort de simuler des souffrances. L’abolition est un voyage tout au long de la vie pour remettre en question le statu quo du complexe carcéral industriel et l’utilisation des mécanismes carcéraux sous de nombreuses formes (Debbie Kilroy) souvent imperceptibles.

Si nous voulons envisager une société non carcérale et non ségrégationniste, nous devons chercher à changer la façon dont les personnes handicapées sont perçues et traitées et écouter leurs histoires d’oppression et de résistance comme moyens d’informer les politiques et les résolutions militantes sur de vastes problèmes sociaux, tels que l’incarcération (Lian Ben-Moshe).

Comme nous le rappelle Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha (Care Work), dans le modèle de déficience du handicap, il n’y a rien de bon dans le handicap, pas de compétences ni de génie. Nous ne sommes qu’une faute à guérir. Le seul bon infirme est celle ou celui qui est guériE, celle ou celui qui a cessé d’exister. La guérison, c’est l’élimination.

Une communauté diverse et inclusive qui centre les plus vulnérables aux dommages est essentielle pour envisager et adopter l’abolition. Les prisons sont un rouage fondamental de la machine coloniale et sa colonialité. Le handicap (défini au sens large, incluant la surdité, la neurodiversité, la folie) est essentiel pour comprendre le fonctionnement de la carcéralité (Liat Ben-Moshe).

S’engager pour une véritable accessibilité nécessite de tenir compte de l’effacement des personnes handicapées dans tous les mouvements sociaux passés et présents, et du contexte historique de rejet social récent de cette population, sans exonérer la responsabilité de l’État a générer une longue période d’absence de politiques publiques en faveur des personnes handicapées. Marta Russell dit qu’un·e travailleur·euse est « handicapé·e » quand iel n’assure pas à son employeur un certain taux de plus-value. Le concept de frontière de la classe excédentaire, la frontière qui sépare les populations handicapées et non-handicapées, permet donc de penser comment la définition du handicap (et d’exclusion) dépend du niveau de plus-value requise par la classe capitaliste.

On pense que le fait que les personnes handicapées sont invisibles et ignorées par la société dominante est sans rapport avec le fonctionnement de la société. Cette analyse a tenté d’expliquer que les « chômeurs » ont été délibérément exclus de la population active en raison de cette économie capitaliste dont l’exclusion a été dictée par des calculs économiques. Deborah Stone écrit que « le concept de handicap était essentiel au développement d’une main-d’œuvre exploitable au début du capitalisme et reste indispensable en tant qu’instrument de l’État pour contrôler l’offre de travail. »

L’attribution de maladies ou de handicaps à des groupes opprimés a une très longue histoire. Pourtant, même si nombreux sont ceux qui ont souligné l’injustice de telles attributions, rares sont celles ou ceux qui se sont demandés pourquoi elles constituent des outils si puissants pour lutter contre les inégalités et ce que cela nous apprend sur les attitudes historiques à l’égard du handicap. Le déni réflexif du handicap parmi celles et ceux qui recherchent l’égalité suggère une reconnaissance tacite dans l’ensemble du spectre politique que lorsque le handicap est présent, l’inégalité est effectivement plus facilement justifiée. Cela explique peut-être dans une large mesure pourquoi la discrimination à l’égard des personnes handicapées est si persistante et pourquoi la lutte pour les droits des personnes handicapées est si difficile. Il y a la pauvreté, un manque d’amour pour la diversité, mais il y a aussi une suprématie blanche qui fait que les Blanc-hEs… pensent qu’iElles sont meilleurs que tout le monde. Il y a donc un manque de volonté pour apporter des changements, pour créer des espaces diversifiés pour tous-tEs.

Lorsqu’il s’agit de l’inclusion des personnes handicapées, il faut tenir compte du contexte historique de rejet social de cette population, orchestré par un capacitisme structurel persistant et envisager un changement de perspective avec une autre forme de pensée.

Quand le système fonctionne pour certaines personnes et pas pour d’autres, cela s’appelle la colonisation (N. Maldonado Torres).

Les services aux personnes handicapées ne savent souvent pas que la colonialité, l’eugénisme, le modèle médical sous des outils discriminatoires, capacitistes et vous proposent des « soins » sans se soucier de l’origine de la violences qui sont ces systèmes auxquelles ces lieux sont complices. Ces personnes ignorent pour la plupart le sens de ces mots. Cette incapacité à nommer ces outils de discrimination et de violence ciblées explique le manque de diversité dans les mouvements de justice sociale, et la normalisation de la discrimination envers notre communauté. Ce sont souvent des personnes qui ignorent la signification du mot « eugénisme » et qui assument que seules les bonnes intentions sufffisent. C’est comme si les milieux antiracistes ignoraient l’existence du racisme scientifique.

Si les personnes handicapées sont la plus grande minorité du monde, composée d’environ 15 % de la population mondiale (plus d’un milliard de personnes, 1 personne/6), alors pourquoi n’en parlons-nous pas davantage ? Cela pourrait-il être dû à la violence du capacitisme ? Un manque sévère de connaissances et de sensibilisation sur cette oppression ?

Les personnes Autochtones sourdes, handicapées, malades (DDIP, Deaf Disability Indigenous People) sont en première ligne de la crise climatique. Nous sommes souvent oubliéEs par celles et ceux qui occupent des postes de pouvoir de HAUT en BAS (JenDeerinwater, [open access]).

Défaire les systèmes oppressifs qui sont l’héritage de la conquête coloniale des Amériques reste la tâche continue et inachevée de la décolonialité.

Déplacer l’équilibre des pouvoirs de la perspective eurocentrique vers celle des marginaliséEs et des oppriméEs, y compris les personnes handicapées, nécessite de visibiliser et d’exposer ces dessous en travaillant à récupérer et à réévaluer les revendications épistémologiques, en particulier en ce qui concerne les questions de l’être. Les blessures invisibles de la colonialité ne peuvent être guéries sans des changements radicaux dans la politique, dans les institutions médicales et dans les récits sur la pleine humanité des peuples opprimés.

Il n’est plus possible de laisser de côté les personnes handicapées dans les discussions sur l’inclusion et l’intersectionnalité dans les cercles progressistes. Comme l’a souligné Patty Berne, fondatrice de Sins Invalid, dans « Skin, Tooth, and Bone — The Basis of Our Movement Is People : A Disability Justice Primer » :

nous devons nous rappeler qu’« un cadre de justice des personnes handicapées comprend que tous les corps sont uniques et essentiels, que tous les corps ont des forces et des besoins qui doivent être satisfaits ». Dans notre quête des droits des personnes handicapées, nous ne devons jamais nous concentrer sur les personnes handicapées les plus privilégiées.

Les attitudes à l’égard du handicap ont commencé à changer, de sorte qu’il existe une reconnaissance croissante de l’importance de l’inclusion, du respect et du soutien des personnes handicapées, de leurs droits et de leur dignité (Twinerugaba Barlton).

Notre bien-être repose sur l’inclusion, la compassion et la convivialité. S’amuser est une approche communautaire de l’apprentissage, car nous apprenons tous d’une manière différente – et non d’une manière handicapée. Nous avons du respect pour tout le monde. C’est ce que nous sommes en tant que peuple (Elder Percy Ballot).

Lorsque nous regardons le monde sous l’angle de la diversité, en reconnaissant que personne n’est normal et que chacun a des besoins uniques, nous luttons pour une société d’inclusion et d’appartenance (Lexi Giizhigokwegiizhic).

Extraits de « Decarcerating Disability » de Liat Ben-Moshe :

Certains militants et théoriciens (« inclusionnistes radicaux ») conceptualisent l’inclusion non pas comme un lieu, mais comme un état d’esprit, une logique. Par conséquent, l’inclusion n’équivaut pas à une intégration dans le statu quo mais à un changement des structures, dans ce cas, du domaine de l’éducation, pour le bénéfice de tous. Le spectre de l’incarcération est inhérent, en tant que promesse ou menace, aux mécanismes d’inclusion libérale […] La nécessité de s’intégrer et d’être inclus, mais seulement en tant que sujet civilisé libéral sous les normes hétéropatriarcales de la classe moyenne des colons blancs. Les coûts d’une mauvaise intégration (et j’utilise ici délibérément des corrections) sont les menaces voilées et souvent les réalités de l’institutionnalisation ou du retour à la vie en communauté ségréguée (pour ceux qui ont été désinstitutionnalisés). Il y a toujours l’ombre des conséquences néfastes si l’on ne se conforme pas ou ne se plie pas – ce que j’ai appelé ailleurs l’institution à venir. Le spectre de l’incarcération est inhérent, en tant que promesse ou menace, aux mécanismes d’inclusion libérale […] Comme le suggère Campbell, « on nous refuse la capacité délibérative d’adopter une positionnalité résistive ». Par conséquent, l’inclusion, via l’assimilation, ne permet pas la production d’une culture et d’épistémologies du handicap. Parce que l’objectif est de réduire la stigmatisation et de s’assimiler (d’être comme ses pairs non handicapés sujets universels), ces théories sont déjà ancrées dans un discours racial, capacitiste et hétéronormatif spécifique […] le prix de l’inclusion du handicap doit être problématisé autant que son exclusion (Liat Ben-Moshe).

Extraits de « Disability and Capitalism » de Marta Russell :

Malgré la superstition religieuse à l’égard des personnes handicapées au Moyen Âge et les persécutions importantes à leur encontre, le processus de production rurale qui prédominait avant la révolution industrielle a permis à de nombreuses personnes handicapées d’apporter une véritable contribution à la vie économique quotidienne […] Avec l’avènement du capitalisme, les gens n’étaient plus liés à la terre, mais ils étaient obligés de trouver un travail qui leur permettrait de payer un salaire – ou de mourir de faim ; et à mesure que la production s’industrialisait, le corps des gens était de plus en plus apprécié pour leur capacité à fonctionner comme des machines. Les patrons pourraient pousser les travailleurs non handicapés à produire à des rythmes toujours plus rapides. […] À mesure que le travail devenait plus rationalisé, exigeant des mouvements mécaniques précis du corps, répétés plus rapidement, les personnes handicapées – les sourds, les aveugles, les handicapés mentaux et les personnes ayant des difficultés de mobilité – étaient considérées comme – et, sans aménagements de travail pour répondre à leurs déficiences, étaient moins « aptes » à accomplir les tâches exigées des ouvriers d’usine et étaient de plus en plus exclus de l’emploi rémunéré. En conséquence, les personnes handicapées sont devenues un problème social et une justification a émergé pour les exclure de la vie ordinaire. La catégorie de « personnes handicapées » était essentielle au développement d’une main-d’œuvre exploitable au début du capitalisme et reste aujourd’hui indispensable en tant qu’instrument de l’État pour contrôler l’offre de main-d’œuvre. En se concentrant sur la guérison des soi-disant anomalies et en séparant ceux qui ne pouvaient pas être guéris dans la catégorie administrative des « handicapés », la médecine a coopéré pour exclure les travailleurs les moins exploitables du marché du travail traditionnel. Ainsi, tout comme le capitalisme force les travailleurs à adhérer à la relation salariale, il contraint également avec force les travailleurs handicapés à en sortir […] Dans la mesure où une adaptation généralisée aux besoins des travailleurs handicapés transformerait nécessairement le lieu de travail et remettrait en question les attentes de taux de productivité toujours croissants, le mouvement pour les droits des personnes handicapées peut être considéré comme radicalement démocratique et contre-hégémonique par son potentiel et sa portée […] Étant donné que la base matérielle de l’accumulation capitaliste est l’extraction du surplus de travail de la main-d’œuvre, les propriétaires et les dirigeants des entreprises doivent nécessairement discriminer les travailleurs dont les déficiences ajoutent au coût de production […] Les travailleurs handicapés sont confrontés à une discrimination économique inhérente au système capitaliste (Extrait de Marta Russell, Disability And Capitalism)

8 – La Compréhension des différences d’un point de vue Autochtone [retour sommaire]

La philosophie Autochtone s’intéresse à « l’Homme intérieur » par opposition à la philosophie coloniale qui nous apprend souvent à voir les déficits ou les attributs négatifs, qui sont généralement extérieurs à la personne, comme les handicaps invisibles ou les problèmes de santé mentale, qui sont étiquetés avec une classification négative dans l’éducation occidentale (Chef Phil Jane JR).

Les binaires sont au centre de la pensée hégémonique occidentale. Ils ne sont pas seulement antérieures à la médecine moderne, mais enracinés dans la conquête coloniale des Amériques. Travailler dans un cadre décolonial encourage à repenser ces binaires qui constituent l’épine dorsale de la pensée hégémonique occidentale et qui fonctionnent comme des obstacles importants à la guérison de la blessure coloniale.

De nombreuses langues Autochtones de l’Île de la Tortue n’ont pas de mot décrivant le concept de « handicap » ; En fait, de nombreux peuples Autochtones du monde entier considèrent le handicap comme un cadeau du Créateur. Le dictionnaire d’étymologie en ligne (2023) indique que les origines du mot « handicap » remontent aux années 1640 et signifiaient « incapacité aux yeux de la loi ». Par conséquent, le terme handicap est sans doute un terme général fondé sur une construction coloniale qui ne correspond pas aux points de vue traditionnels de nombreux peuples Autochtones, car il vient d’une perspective axée sur le déficit (Roberts, 2022). (Kevin P. Morgan)

Il faut comprendre qu’il existe d’autres points de vue sur les différences physiques et cognitives au-delà du modèle colonial de déficit. En brisant les obstacles à l’apprentissage, nous pouvons permettre la guérison de celles et ceux qui ont été les plus touchéEs par la ségrégation, par la stigmatisation.. Les savoirs Autochtones acceptent les différences comme étant nécessaires pour promouvoir le bien-être individuel et communautaire, car les deux sont interdépendants. Souvent, la raison de la différence n’est considérée comme importante que dans la mesure où elle aide à trouver un équilibre avec la situation, et non comme un moyen d’inculquer la culpabilité. La relation entre le colonialisme et le capacitisme est omniprésente dans le tissu de leurs communautés et l’inclusion des relations Autochtones avec les personnes handicapées est un élément crucial et essentiel au démantèlement de cette relation.

Nous devons inclure autant de perspectives que possible pour respecter les autres : ce qu’ils partagent, qui ils sont, d’où ils viennent et comment leurs systèmes de connaissances et de croyances uniques peuvent avoir un impact. Respecter et reconnaître les personnes qui apprennent différemment au-delà de ce qui est visible afin qu’elles ne deviennent pas invisibles, c’est ce que signifie être humain (John T. Ward).

Leur sagesse ainsi que leur communauté établie antérieurement illustrent facilement comment la connaissance de l’interdépendance et de la réciprocité peut être bénéfique. Leur capacité à aider les autres à parler ouvertement et honnêtement de leurs expériences, de leurs défis et de leurs émotions a contribué au bien-être et à l’équilibre de nombreuses personnes.

À propos des Iroquois et de la société mi’kmaq précoloniale, Paul (2006) écrit :

En raison de la nature communautaire de la société et de l’abondance de la nourriture, la pauvreté parmi le peuple était pratiquement inconnue. Les biens matériels, autres que les vêtements et les articles ménagers, étaient partagés à parts égales. Ainsi, les personnes âgées, malades, infirmes et autrement défavorisées étaient protégées de la misère. (Disability Incarcerated)

Comprendre le bien-être n’est donc pas une question de surmonter ou d’éliminer les différences ; le bien-être implique l’équilibre, l’interdépendance et la réciprocité au sein de la communauté humaine et autre qu’humaine. De plus, comme les communautés Autochtones n’adhèrent pas à l’idée d’un être humain « fixe », « valide », « normal », « moyen » ou « idéal », tous les êtres ont et manquent de talents, ce qui permet de comprendre que l’on peut apprendre des domaines où l’on manque de talent et enseigner dans les domaines où il y a du talent. Alors que les talents et les situations changent constamment (phénoménologie), l’équilibre n’est pas une position atteinte et maintenue. C’est un voyage, pas une destination (Lavonna L. Lovern).

Les épistémologies Autochtones tendent à reconnaître que le concept d’égalité exige que toutes les voix soient également représentées et valorisées en tant que partenaires de dialogue. Les traditions Autochtones, Noires et Brunes valorisent les personnes malades et handicapées, non pas comme des infirmes magiques mais comme des personnes de différence dont le corps-esprit possède une intelligence précieuse (Lavonna L. Lovern).

Pour comprendre comment nous percevons les handicaps à partir de nos systèmes de croyance, il faut utiliser le dicton « n’abandonnez jamais ». C’est le message qui a été transmis tout le temps : ne jamais abandonner, même si les choses sont difficiles. Il y a toujours quelqu’un à qui parler, toujours quelqu’un à appeler et toujours quelqu’un qui prend soin de vous (Ainée Percy Ballot).

Les communautés Autochtones nous montrent comment les personnes handicapées jouent un rôle essentiel dans les communautés et des efforts sont déployés pour promouvoir leur inclusion et leur participation. Elles reconnaissent leurs talents, leurs compétences et leurs contributions uniques à la société.

Le handicap, dans cette vision du monde, est donc perçu comme une variation naturelle de la diversité humaine. Les personnes handicapées sont considérées comme porteuses d’une sagesse particulière et sont donc appréciées pour leur contribution unique à la communauté ( Rodolfo Andrés Jauregui Ojeda).

Les idéaux coloniaux de blancheur sont l’antithèse de la pratique traditionnelle d’inclusion des personnes handicapées (Rodney Adams, John Gilroy) et l’enracinement du binaire hiérarchique occidental va lui-même à l’encontre de l’inclusion et de la diversité. L’individualisme néolibéral est aussi un terrain fertile pour la reproduction de la violence coloniale continue et du handicap qui y est associé (Thomas Dirth). Garland Thomson (2011) note que le handicap est évoqué sans cesse afin de reproduire des discours qui contrastent avec la société normative et non handicapée.

Dans les communautés Autochtones Sourdes, nous évoquons rarement le terme « handicap » car il ne correspond pas à ce qu’ils sont. Le terme et le concept appartiennent à la recherche scientifique occidentale […] Il est bien connu que les médecins et spécialistes occidentaux ont tendance à considérer les personnes Sourdes Autochtones comme des « problèmes à résoudre » (Melanie Mc-Cody).

Il est essentiel de reconnaître les différences culturelles et d’intégrer l’humilité culturelle. Les sociétés Autochtones pratiquent depuis longtemps des modes de connaissance Autochtones, intégrant des stratégies d’apprentissage basées sur la culture, intergénérationnelles et appliquées qui ont aidé la prochaine génération à comprendre le sens de vivre pour tous les êtres vivants. Ces systèmes éducatifs qui ont aidé les enfants à apprendre tout le spectre de ce que signifie être humain et prendre soin les uns des autres ont été interrompus par les modèles éducatifs coloniaux (McCoy et al., 2020). Bien que la plupart des groupes tribaux aient vécu des expériences avec des handicaps, la plupart des langues ne contiennent pas de mots pour désigner divers handicaps. Aucune terminologie négative ou argot ne fait référence au handicap (Caldwell et al., 2005).

Si le monde occidental pouvait adopter une perspective Autochtone, dans laquelle on s’attend à ce que les individus aient des forces différentes et se concentrent sur ce qui les rend uniques, la société traiterait mieux les gens. Au lieu de vous fier à un modèle médical individuel pour définir les capacités d’une personne, utilisez simplement son esprit et ses dons. Plutôt que de chercher ce qui ne va pas, remarquez ce qui est exceptionnel. Abandonnez la façon de penser individualiste. Les cultures Autochtones se sont toujours concentrées sur ce qui est le mieux pour la communauté, la stratégie de survie la plus importante étant de travailler ensemble […] L’idée d’un cerveau « normal » ou « dominant » est un concept occidental qui a évolué à partir de l’ère victorienne […] Le monde occidental a du mal à accepter tous les types de diversité parce que les gens sont déterminés à inscrire leur esprit dans une norme impossible […] Tant qu’une vie est considérée comme plus importante qu’une autre, il n’y a ni amour, ni respect, ni humilité. (Lexi Giizhigokwegiizhic).

C’est la réciprocité impliquant un équilibre entre communauté et individu qui favorise le bien-être ainsi que l’égalité sociale et politique. (Lavonna Lovern)

Cependant, les modèles occidentaux d’individus, de soi et de communauté impliquant des désignations telles que « normal », « handicapé » et « valorisé » continuent d’embrasser des hiérarchies dualistes qui réduisent les personnes ayant des désignations de différence culturellement reconnues à la position d’« Autre » inférieur. En continuant à utiliser des modèles occidentaux qui structurent les dialogues sur le handicap selon des hiérarchies binaires compétitives et individualistes, les dialogues sur le handicap continuent de dévaloriser les capacités qu’un individu peut posséder et, au contraire, mettent l’accent sur les capacités qui lui manquent. (Lavonna L. Lovern) Les épistémologies Autochtones ont tendance à adopter l’interdépendance et la réciprocité combinées à l’esprit pour éclairer la compréhension de la différence (Denzin et al., 2008 ; Lovern et Locust, 2013).

Nous devons donc examiner les constructions Autochtones de différence axées sur l’interdépendance, la réciprocité et le bien-être, dépasser les barrières coloniales pour adopter leur savoir. Bien qu’il n’existe pas de conceptions essentialistes ou universelles concernant les approches Autochtones en matière de handicap, de bien-être ou de communauté, ces communautés uniques partagent des similitudes impliquant des différences qui offrent des opportunités de faire progresser les dialogues occidentaux et offrent des alternatives à la pensée binaire traditionnelle. (Lavonna L. Lovern)

Ce n’est qu’en étudiant l’impact du colonialisme sur les peuples Autochtones du monde entier que nous pourrons mieux comprendre comment il a miné les peuples et modifié les traditions culturelles et les systèmes de connaissances des peuples colonisés. Cela nous amène à voir comment la « connaissance du handicap » est passée d’une association positive avant le contact Européen à une connotation négative si souvent qualifiée de « déficit », de « handicap ». De nombreux peuples Autochtones incluent une conscience spirituelle qui inclut tout le monde, quelles que soient leurs capacités.

Au sein des communautés Yukpa, le handicap n’est pas considéré comme une limitation, mais uniquement comme une différence qui enrichit la communauté. Les personnes handicapées sont respectées pour leur lien avec le spirituel et se voient confier un rôle important dans les pratiques rituelles et de guérison (Rodolfo Andrés Jauregui Ojeda). Pour de nombreux peuples Autochtones, les relations sont considérées comme de nature réciproque et égalitaire, par opposition à la perspective eurocentrique où les humains se situent au sommet de la hiérarchie de tous les êtres vivants et sont capables de les subjuguer à leurs propres fins. Les différences entre de nombreux peuples Autochtones, bien que reconnues, sont respectées et valorisées et n’entraînent pas des relations fondées sur des inégalités ou des déséquilibres de pouvoir, mais plutôt sur le respect mutuel de ces différences, ou dons, et sur une compréhension mutuelle que nous sommes tous interdépendants et interconnectés (Kevin P.Morgan).

Le pronostic est entre les mains de celles et ceux qui sont prêts à ébranler les fondations vermoulues de cet édifice, un appel à un changement idéologique dans la façon dont nous réagissons aux différences entre nous. En d’autres termes, seule une réinvention radicale de la sphère sociale peut conduire à une véritable guérison. (DGS, Carolyn Urena)

De leur côté, les personnes Noires et Autochtones ne parlent pas du handicap de la même manière que les personnes blanches. Le handicap (tout comme l’interdépendance) est si précieux et essentiel aux expériences des personnes Noires et Autochtones, pour la guérison de leur communauté, qu’elles n’ont pas besoin de le nommer.

L’érudit Cherokee handicapé Qwo-Li Driskill a fait remarquer que chez les Cherokee pré-européens, il existe de nombreux mots pour désigner les personnes ayant différents types de corps, de maladies et ce qui est considéré comme des déficiences en occident ; aucun de ces mots n’est négatif et ne considère ces personnes malades ou handicapées comme défectueuses ou moins bonnes que les personnes au corps normatif.

9 – Créer des systèmes de soins abolitionnistes [retour sommaire]

La maladie est la seule forme de vie possible sous le capitalisme. En fait, le psychiatre – qui dépend de son salaire – est une personne malade comme chacunE d’entre nous. Les classes dirigeantes lui donnent simplement le pouvoir de « guérir » ou d’hospitaliser. La guérison – c’est une évidence – ne peut pas être comprise dans notre système comme l’élimination de la maladie : elle sert exclusivement à maintenir la capacité d’aller travailler là où l’on reste malade. – Sozialistisches Patientenkollektiv (SPK)

Ce sont les pratiques innovantes, intersectionnelles, réparatrices et transformatrices qui mettent l’accent sur la guérison, sur les stratégies communautaires, sur l’interdépendance entre la colonisation et l’oppression et de la santé mentale (Dr Jenn) qui nous sauveront.

La guérison signifie la capacité de transformer la société (Susan Raffo).

Le colonialisme est l’une des principales blessures de l’humanité. Son effet d’entraînement est vaste et profond et souvent invisible. Lorsqu’une blessure reste sans nom et sans soin, elle grandit et s’infecte tel un cancer, finissant par infecter tout ce qui l’entoure. Nous sommes confrontés à une crise de santé mentale mondiale. Les aides, les guérisseur-sEs, les professionnel-lEs de la santé mentale et cellEux qu’iElles servent souffrent et meurent. La vision eurocentrique dominante qui guide notre pratique ne parvient pas à raconter une histoire complète et précise des raisons pour lesquelles nous sommes malades et de la manière dont nous nous rétablissons […] se rétablir en solo est un conditionnement colonial (Dr Jennifer Mullan).

Il faut comprendre que sous le capitalisme racial, les « soins personnels » ne sont accessibles qu’aux individus privilégiés. Des communautés et des mouvements entiers se construisent en centrant celles et ceux qui ont les plus grands besoins, une compréhension qui est au cœur du féminisme intersectionnel et de la pratique de la justice de guérison (Healing Justice). De nombreux groupes travaillent avec le cadre de la justice de guérison, et nombre d’entre eux, comme le Kindred Collective [22], sont dirigés par des féministes intersectionnelles, des personnes queer, des personnes handicapées et des survivants de la violence qui considèrent la santé du corps/pensée/esprit comme étant étroitement liée à la communauté et à l’ environnement et qui refusent la praxis politique dominante qui relègue la santé et le bien-être aux marges, laissant derrière elles des personnes dont le corps et les besoins ne correspondent pas.

[22Le Kindred Southern Healing Justice Collective a défini le cadre de la Justice de Guérison (HJ) en 2005-2006 « pour que les mouvements s’attaquent aux préjudices et aux traumatismes collectifs » et pour « construire des réponses dirigées par la communauté et les survivants, enracinées dans les traditions de résilience du Sud pour soutenir notre bien-être émotionnel/physique/spirituel/psychique et environnemental. La justice de guérison naît de l’expérience vécue par ceux qui opèrent dans les interstices du travail du mouvement. Cela commence par une compréhension de la santé comme étant liée à l’oppression, y compris aux traumatismes historiques, et à la communauté.

Les guérisseur-sEs traditionnellEs rejettent ces notions binaires selon lesquelles la libération d’un groupe doit se faire aux dépens d’un autre, des pratiques ancrées dans l’histoire qui nous enseigne que la façon dont nous nous libérons tous-tEs consistent à centrer les efforts sur cellEux qui sont les plus touchéEs par les traumatismes et la violence. Les savoirs Autochtones acceptent les différences comme étant nécessaires pour promouvoir le bien-être individuel et communautaire, car les deux sont interdépendants. Leur travail repose sur la compréhension que la guérison nécessite une conscience critique des multiples systèmes d’oppression qui se croisent et de l’impact de notre société sur notre corps, notre esprit et nos communautés. Nous ne pouvons pas parler de « santé mentale », de « soins » ou de « guérison » sans nommer explicitement – ​​et travailler activement au démantèlement et à l’analyse structurelle de toutes ces oppressions – ​​du colonialisme et de l’impérialisme.

Nous devons chercher à dénaturaliser les conditions oppressives et à articuler les expériences et les connaissances réduites au silence par des récits officiellement sanctionnés (DARA Collective) et imaginer à quoi ressemblerait réellement une société centrée sur le soin collectif, la solidarité et la responsabilité envers les plus oppriméEs. Beaucoup sont satisfaits de ce statu quo colonial et ne s’en soucient même pas ou ne peuvent envisager de renoncer à leurs nombreux privilèges. Ce changement repose sur l’abandon de nos modes de vie qui détruisent les cultures Autochtones du monde entier.

Les personnes handicapées queer et trans de couleur (QTPoC) contribuent à l’abolition des prisons par le biais de formes de soins abolitionnistes, un travail reproductif souvent invisible et sous-évalué consistant à réimaginer et à mettre en œuvre des soins au-delà du jetable et des logiques carcérales de surveillance, de punition et d’abandon d’esprits corporels marqués historiquement comme criminels ou pathologiques. Un travail qui va au-delà de l’État colonial capacitiste, carcéral et colonisateur – et son système de santé colonial qui n’écoute pas les communautés elles-mêmes victimes du traumatisme – la préfiguration d’un monde où les prisons, les hôpitaux psychiatriques et autres centres de détention n’existent plus (voir No More Death, frontière américano-mexicaine).

Les soins abolitionnistes, souvent invisibilisés, sous-évalués consistant à ré-imaginer et à mettre en œuvre des soins au delà des logiques carcérales de surveillance, de punition, de criminalisation, d’abandon d’esprits et de corps supposés criminels ou pathologiques. No More Death construit des formes alternatives de reconnaissance et d’inclusion contre la logique de criminalisation et de production de vie « sans valeur » au nom de la protection des frontières (Alexia Arani, [open access]).

La justice de guérison se distingue des notions individualisées de bien-être et est indissociable de l’activisme. Elle nous demande de ne pas confondre les soins personnels et la justice de guérison, une stratégie ancrée dans le renforcement du pouvoir en transformant le traumatisme générationnel et qui refuse d’accepter un modèle homogène et unique de soins, en particulier un modèle médical occidental imprégné des idées suprémacistes blanches et capacitistes de « santé ».

Ce mouvement est né du génie des femmes handicapées Noires et Brunes, en réponse à tout ce qui manque aux espaces occidentaux/biomédicaux traditionnels et aux espaces blancs/cis/valides « alternatifs » en termes de compréhension de la façon dont le colonialisme, le capacitisme/validisme, le vol culturel et toute les formes de phobies affectent les systèmes de guérison (Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha).

La justice de guérison centre la résistance à l’oppression et la résilience comme des pratiques collectives essentielles au bien-être. Elle naît également des expériences de militantEs intersectionnels souffrant physiquement, mentalement et spirituellement du surmenage, du stress, des conflits et des abus au sein des mouvements sociaux. Les dynamiques sociales et émotionnelles négatives au sein des mouvements, combinées au manque de ressources, ont des conséquences néfastes sur la santé des militantEs, en particulier celles et ceux handicapés. La culture du surmenage et de l’absence de soins communautaires au sein des mouvements a un impact disproportionné sur les personnes handicapées, qui sont souvent exclues de ces mouvements, par le seul fait de vouloir lutter contre le capacitisme pour se maintenir en vie. Sans une attention consciente à la guérison du stress, de la maladie mentale, des traumatismes et des chagrins qui sont à l’origine des comportements agressifs, les militantEs peuvent facilement reproduire les dynamiques néfastes de pouvoir et d’agression qu’ils cherchent à changer.

Des mouvements qui ne sont pas orientés vers le soin ne servent à rien (Mia Mingus).

Nos mouvements sont en danger parce que nous ne savons pas comment gérer les conflits, nous avons perdu notre capacité à rendre des comptes. Nous pensons la guérison dans la punition. Nous pensons que cela apaisera nos peurs, nos angoisses et nous rendra plus en sécurité si nous pouvons identifier un ennemi, quelqu’un en dehors de nous qui est à blâmer, qui est coupable, qui est à l’origine du mal. Le jugement et la punition instantanés, sans aucun dialogue, sont des pratiques de pouvoir sur les autres.

C’est ce que font les personnes qui détiennent le pouvoir.

Au lieu de se demander si quelqu’unE devrait être jetéE, enferméE ou libéréE, pourquoi ne pas réfléchir à la raison pour laquelle nous résolvons les problèmes en répétant le type de comportement qui nous a causé le problème en premier lieu ? (Ruth Wilson Gilmore).

Nos victoire ne doivent pas se mesurer par la perte de quelqu’unE d’autre, mais par la rupture des cycles d’abus, de préjudices, d’agressions et d’oppressions systémiques dont beaucoupp n’ont pas conscience. La victoire se mesure non seulement par l’absence de schémas de préjudice, de méfiance et d’isolement, mais aussi par la présence d’une guérison et d’une interdépendance saine, sans ce désir constant de suprématie. Détruire une personne ne détruit pas tous les systèmes qui permettent à des personnes nuisibles de faire du mal. (Adrienne Maree Brown).

Il y a certainement un effort sérieux de sensibilisation à faire pour faire comprendre la façon dont les prisons s’adressent aux personnes qui ont le plus besoin de soutien en matière de santé mentale, en particulier celles qui ont des handicaps invisibles.

En fin de compte, une pratique de soins abolitionnistes souligne que nos destins sont liés et que notre libération est interconnectée. A ce titre, les campagnes de défense guidées par une éthique et une pratique du care peuvent être des stratégies puissantes pour nous conduire vers l’abolition.(Mariame Kaba)

Le système de santé occidental, qui met l’accent sur les déficits, n’a pas fait grand-chose pour intégrer les opinions et les expériences collectives des personnes handicapées, y compris celles souffrant de détresse mentale. Les domaines de la santé mentale ont été créés pour soutenir et justifier la déshumanisation des moins productifs au profit d’une société plus axée sur le profit (Decolonizing Therapy ; Jenn Mullan, p157). Les opinions des personnes non handicapées et des professionnels de la santé prédominent sur celles des personnes handicapées sur des questions affectant directement leur propre vie, leurs opinions capacitistes considèrent que les personnes en souffrance mentale sont désavantagées, ce qui conduit à la stigmatisation, à la discrimination et souvent à l’exclusion. Ceci est un exemple de capacitisme qui considère la détresse mentale comme quelque chose qui doit être « réparé » ou « effacé ». Ceci est contraire aux travaux plus récentes (mad studies) qui considèrent le handicap et la santé mentale comme une expression de diversité, de dignité et de force et confie la responsabilité à la société d’éliminer les obstacles invalidants qui créent cette souffrance mentale. Les professionnels de la santé publique et de la médecine sont trop profondément ancrés dans le statu quo en s’attachant à « dissimuler les conditions sociales et les fonctions sociales de la maladie ».

Health Communism explique pourquoi ce n’est qu’en brisant ces binaires profondément ancrés dans la sociologie que l’abolition du capitalisme sera possible.

La justice de guérison – qui inclue l’abolition, la réduction des préjudices, la justice transformatrice/environnementale/reproductive – n’est pas possible sans la justice des personnes handicapées au centre (Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha). [20]

Le mouvement de la Justice de guérison est particulier dans le sens où il cherche à construire des stratégies de pouvoir et de soins collectifs tout en tenant les institutions publiques et privées responsables de siècles d’expérimentation médicale en utilisant la science eugéniste pour contrôler les communautés. Les organisateurs et les praticiens de la justice de guérison considèrent la guérison comme essentielle à la libération et relient leur travail à divers mouvements axés sur la justice raciale, économique, de genre, sexuelle, mondiale, environnementale et la justice des personnes handicapées.

Notre culture assimile l’individualisme à l’indépendance et l’interdépendance à la faiblesse. Ce n’est pas le résultat qu’espèrent les puissants, mais nous devrons nous libérer des chaînes de cet individualisme et nous engager à construire une culture de soins radicaux, dans laquelle le bien-être et la survie de chacunE est le plus important. En plus de leur appareil de répression de masse, ils comptent sur notre manque de solidarité avec les plus impactéEs, notre cynisme, nos divisions et notre désespoir, pour nous empêcher d’imaginer et de cultiver une nouvelle façon de vivre les uns par rapport aux autres.

C’est parce qu’il y a du pouvoir dans l’empathie et la solidarité que les puissants ont en peur et veulent l’éliminer.

C’est ce culte de l’individualisme qui nous prive de cette énergie pour tout changer. La vision transformatrice de la justice de guérison est à la fois le fondement et le résultat des approches de justice de guérison en matière de changement social. La vision transformatrice relie le passé et le futur à travers des actions présentes qui recherchent une transformation radicale.

En plus de rendre les mouvements véritablement inclusifs, de promouvoir la guérison dans les espaces de mouvement et de soutenir les militants, la justice de guérison rend possible des visions créatives pour l’avenir. Piepzna-Samarasinha (2016) décrit les espaces de pratique de la justice de guérison comme « des lieux où la guérison modifie la façon dont nous imaginons l’organisation du mouvement ». Ces idées sur le potentiel des pratiques et des espaces de justice de guérison sont cohérentes avec les recherches sur la pleine conscience qui montrent l’importance du repos de l’esprit pour la créativité et la résilience (Immordino-Yang et al., 2012 ; Kwak et al., 2019 ; Henriksen et al. , 2020). S’organiser dans un cadre de justice de guérison soutient également la vision libératrice en mettant en œuvre l’attention et le soutien que les militantes féministes intersectionnelles souhaitent voir dans le monde (Irresistible, 2020).

Non seulement les conséquences générationnelles de la criminalisation sont partout mais l’État exploite notre chagrin et nos traumatismes intergénérationnels complexes et omniprésents qui perturbent notre sentiment de sécurité, d’appartenance et de valeur. L’État militarise nos réponses à la violence et aux traumatismes en nous blâmant pour nos souffrances tout en employant des stratégies carcérales pour remédier aux façons dont nous avons appris à survivre. (E. Woodland) Nous devons reconnaître que l’état exploite et utilise nos limites (nos traumatismes transgénérationnels, historiques,…).

Nous sommes tous-tEs malades sous le capitalisme. Ancrée dans la réalité contemporaine de la mort massive et du handicap, la biomédecine capitaliste nous arrache jusqu’à la dernière goutte de travail productif avant de nous jeter à la poubelle comme un tas de « population excédentaire »… La subordination des personnes handicapées contribue également à naturaliser cette exclusion sociale, de sorte que la discrimination à leur encontre n’est pas présumée suspecte mais rationnelle, car la valeur de la vie humaine est fondée sur la volonté ou la capacité de chacunE d’être productif dans le cadre de l’économie politique actuelle. Nous ne pouvons pas parler de handicap sans parler de pauvreté et d’impuissance, car le capacitisme produit une pauvreté extrême. Sous le capitalisme, pour être en bonne santé, il faut travailler, être productif et normatif, et c’est seulement à ce moment-là que l’on a droit à la santé que l’on peut acheter. (Health communism)

L’identification des structures qui perpétuent l’oppression est au cœur du projet décolonial, tout en s’engageant également dans le projet affirmatif consistant à promouvoir la réévaluation des connaissances subjectives et incarnées non reconnues. Les contributions théoriques de Fanon à l’étude de la santé et de la guérison sont donc essentielles à la construction d’un monde plus juste. Dans cette optique, qualifier la colonialité d’handicapante ne revient pas à dévaloriser les termes des études sur le handicap. Au contraire, reconnaître la manière dont les structures de pouvoir continuent d’imposer des idéaux déshumanisants à leurs sujets ouvre la voie à la construction d’une coalition entre les personnes non handicapées et les personnes handicapées, sans distinction de race, de sexe et de culture, ce qui est un objectif commun de la théorie décoloniale et du handicap. Comme le rappelle la prière finale de Fanon, le but ultime est de rester toujours en questionnement, jamais pleinement satisfait, et toujours attentif aux demandes et aux interrogations générées par le corps (DGS, Carolyn Urena).

Le risque est que nous continuions à tendre vers des conceptions non critiques de « l’accès » et de « l’inclusion », fondées sur les notions néolibérales de diversité et de multiculturalisme, qui ne parviennent pas à prendre en compte les connaissances incarnées ni à provoquer un changement radical. L’incarnation décoloniale offre une perspective globale sur l’injustice locale qui rend compte non seulement des conséquences historiques du colonialisme et de la colonialité, mais aussi de la souffrance très réelle et incarnée des sujets qui portent ces blessures. Adopter cette perspective invite au rejet de la pensée dualiste, en particulier des faux binaires santé/maladie, esprit/corps et corps/monde qui forment le cœur de la pensée hégémonique occidentale et qui servent à perpétuer les notions eurocentriques de santé et de guérison. Ce faisant, l’étude de l’incarnation décoloniale attire notre attention sur le corps stigmatisé et déshumanisé en tant que source importante de connaissances dévalorisées ou autrement négligées concernant à la fois la colonialité et ses effets, ainsi que les stratégies visant à la démanteler. (DGS, Carolyn Urena)

Adrienne Maree Brown relie la responsabilité communautaire à la justice de guérison, en soulignant l’importance d’une attention proactive au bien-être pour soutenir l’engagement à long terme envers l’organisation et le travail de responsabilité communautaire, qui est un travail incroyablement difficile qui nécessite de l’honnêteté et le désir de guérir.

10 – Handicap et justice sociale [retour sommaire]

Chaque frontière implique la violence de son maintien.
—  Ayesha Sissiqi
Les frontières de l’État-nation nous tuent à l’échelle mondiale. La frontière est une prison.
—  Harsha Walia

Lorsque les ressources deviennent limitées, nous sommes conditionnés à nous soucier de la majorité avant de penser aux minorités. La lutte pour que les minorités aient une représentation égale par rapport à la majorité est une bataille que nous ne connaissons que trop bien aujourd’hui. Dans ces grands groupes sociétaux, la diversité est considérée comme une anomalie (Lexi Giizhigokwe Nahwegiizhic ; La neurodiversité d’un point de vue Autochtone)

Il est irresponsable de ne pas inclure le plus grand groupe minoritaire au monde lorsque nous parlons d’un phénomène mondial comme le changement climatique (Michael Stein).

Il est aussi irresponsables de ne pas se recentrer sur le capacitisme dans tous les espaces de justice sociale et décoloniaux quand les métaphores du handicap on été non seulement utilisées pour asservir plus des trois quarts de la population mondiale, mais aussi pour amplifier la subordination des identités minoritaires jusqu’à la population générale. Le capacitisme et la catégorie du handicap ont également été déployés pour soutenir le sexisme, le racisme et la xénophobie (Ehrenreich et English 1973 ; Baynton 2001 ; Fjord 2007). Nous grandissons et apprenons mieux ensemble, mais le projet colonial veut nous diviser.

Nirmala Erevelles soutient que la construction de « l’autre » dégénéré n’était pas seulement une intervention idéologique visant à soutenir le colonialisme, mais dans le contexte du capitalisme transnational contemporain, l’« idéologie » du handicap est essentielle à l’entreprise capitaliste parce qu’elle est capable de réguler et de contrôler la répartition inégale du surplus en invoquant les différences biologiques comme cause « naturelle » de toutes les inégalités, justifiant ainsi avec succès l’inégalité sociale et économique qui maintient la hiérarchie de la société. . . Le handicap. . . est [donc] le principe organisateur qui fonde la construction des catégories de genre, de race, de classe et d’orientation sexuelle.

Une société n’est juste que lorsqu’elle permet à tous ses membres d’interagir les uns avec les autres en tant que pairs, et cela inclut nécessairement les personnes handicapées. (Disability and social justice Nancy Fraser). La justice sociale signifie « parité de participation » et cette réflexion est au cœur des campagnes et de la réflexion sur le handicap depuis au moins les années 1970 (UPIAS 1976). Charles W. Mills a cherché a montré de quelle manière l’ignorance radicale des blancs est précisément la condition de possibilité de la domination : si un groupe est privilégié, après tout, ce doit être par comparaison avec un autre groupe qui est désigné comme handicapé.

Un modèle radical du « handicap » nous permettrai de comprendre la manière dont les sociétés modernes structurent leurs relations sociales et comment les formes de (re)production sociale générent des processus d’inégalité et d’oppression. Les Autochtones comprennent que le handicap est le résultat d’obstacles à une participation égale à l’environnement social et physique (FPDN, 2019 ; The Oxford Handbook of Indigenous sociology).

L’objectif le plus important pour nous est de rendre superflus l’État, l’État colonial, l’État-nation. Et comment pouvez-vous le rendre redondant sans montrer qu’il n’est pas le centre de la justice, qu’il n’est pas le fournisseur de justice, qu’il n’est pas l’entité sacrée qui, d’une manière ou d’une autre, rendra réellement, réellement, sincèrement la justice ? Nous pouvons devenir les acteurs capables d’établir un sentiment de justice dans la communauté et dans la société. C’est ainsi que nous avons commencé par expérimenter, plutôt que dans le cadre de l’abolition ou de la justice transformatrice. (Abolition And the State)

Kimberley Crenshaw a souligné que les mouvements sociaux fondés sur une politique identitaire unique (par exemple le mouvement féministe, le mouvement Black Power, les LGBT et le mouvement pour les droits des personnes handicapées) ont historiquement confondu ou ignorent encore les différences intra-groupes, ce qui entraîne encore des tensions croissantes entre les groupes et les mouvements sociaux eux-mêmes.

Les féministes de couleur ont eu la tâche difficile de tenter de théoriser l’oppression sur les multiples fronts de la race, de la classe sociale, du genre, de la sexualité et du handicap. Une autre façon de considérer le paternalisme dans l’activisme féministe libéral est qu’elles demandent aux hommes de les sauver avant de construire une solidarité avec les survivants d’autres genres, races, classes, nationalités, handicaps, etc. (Wagatwe Wanjuki)

Tout comme les chercheurs ont examiné la racialisation du système judiciaire pénal (capitalisme racial), des recherches révolutionnaires sur l’histoire de l’eugénisme ont démontré que des catégories telles que « débile d’esprit » dans les documents historiques étaient des jugements spécifiquement sexistes et racialisés sur l’appartenance nationale et de nombreuses personnes qui seraient qualifiées aujourd’hui de valides et de mentalité « normale » ont été ciblées par cet eugénisme, visant à faire respecter les rôles patriarcaux de genre, notamment en limitant les relations sexuelles au mariage monogame, conjugal et non métisse.

Tout celà nous montre aussi comment la racialisation opère à travers la pathologisation et les pratiques de confinement des personnes handicapées.

Les principales penseuses des études sur le handicap féministe tels que Rosemarie Garland-Thomson et Susan Wendell montrent que les constructions sociales de genre et de handicap s’entremêlent. Comme le dit Simi Linton, l’étude du handicap est « un prisme à travers lequel on peut acquérir une compréhension plus large de la société et de l’expérience humaine » (1998, 118) […] En d’autres termes, comprendre comment le handicap fonctionne en tant que catégorie identitaire et concept culturel améliorera notre compréhension de ce que signifie être « humain », de nos relations les uns avec les autres et de l’expérience de l’incarnation (Rosamarie Garland thomson). Dans les trois grands débats sur la citoyenneté du XIXe siècle et du début du XXe siècle : le suffrage des femmes, la liberté afro-américaine et la restriction de l’immigration, le handicap a joué un rôle important. Les opposants à l’égalité pour les femmes ont cité leurs handicaps physiques, intellectuels et psychologiques supposés : fragilité physique, irrationalité et instabilité émotionnelle. Les partisans de l’inégalité raciale et de la restriction de l’immigration invoquent les handicaps supposés de races et de groupes ethniques particuliers. Ainsi, alors que les personnes handicapées sont l’un des groupes minoritaires qui se voient historiquement attribuer un statut inférieur, le handicap a fonctionné pour tous ces groupes comme justification de ce statut. (Le handicap et la justification de l’inégalité)

La libération se produit lorsque nous devenons tous-tEs libres. Pour résoudre des problèmes complexes, nous devons aussi tenir compte de la complexité des voix qui ont été invisiblisées. Lorsque les personnes handicapées seront libres, tout le monde sera libre.

« Si les femmes Noires étaient libres, cela signifierait que tout le monde devrait être libre, puisque notre liberté nécessiterait la destruction de tous les systèmes d’oppression. »
— Déclaration de Combahee River Collective

« J’ai libéré un millier d’esclaves. J’aurais pu en libérer un millier de plus si seulement ils avaient su qu’ils étaient des esclaves. »
— Harriet Tubman

« La suprématie blanche est le secret du règne de la bourgeoisie et de l’échec des mouvements ouvriers de libération. »
— W.E.B. Du Bois

La réalité est que dans les luttes pour les droits de l’homme, seule une minorité au sein même d’un groupe opprimé a l’énergie et la force de lutter pour mettre fin à l’oppression.

« Les empires européens, à travers des projets de vol massif de terres, comme condition de leur possibilité, se sont appuyés sur une infrastructure de prisons en constante expansion, sur le modèle des ports négriers d’Afrique de l’Ouest, dans laquelle le travail des condamnés jouait un rôle important pour ces économies. Cela fait partie du retranchement du continent sous contrôle européen dans ce qu’on a appelé la « ruée vers l’Afrique ». Cela a également, en même temps, détruit d’autres modes de gouvernance, des manières d’organiser la terre et créé des unités politiques distinctes pour une administration qui, une fois de plus, est finalement devenu un État-nation. Cette émergence n’a rien de naturel, où que ce soit, et elle est profondément liée à l’histoire du développement de l’expansion carcérale partout dans le monde. »
— Robyn Maynard

L’engagement dans l’histoire du colonialisme et dans la manière dont il fonctionne à l’heure actuelle, et dans la construction et la hiérarchisation de la différence en tant que précurseur de l’incarcération de masse, est souvent négligé dans les études eurocentriques sur le handicap. Il existe un manque de recherches qui s’intéressent simultanément à la « race » et au « handicap » tout en s’intéressant à la construction coloniale de la différence, c’est-à-dire l’altérité raciale et le handicap (Ware, Ruzsa et Dias, 2014). Il y a une omission – dans les études eurocentriques sur le handicap – du colonialisme de peuplement en tant que « structure fondamentale des États-nations ». Une réflexion anhistorique, eurocentrique et individuelle du capacitisme et de la défficience produit une action – ou plutôt une inaction – qui ne remet pas en question tous ces processus, projets et systèmes historiques qui créent et reproduisent cette même oppression.

Le Kiosk a traduit plusieurs anthologies telles que Indigenous Disability Studies, Disability Incarcerated, Disability and Colonialism – (Dis)encounters and anxious intersectionalities, Healing Justice Lineages, Care Work : Dreaming Disability Justice. Si des éditeurs ou des personnes sont intéressées pour une impression ou une diffusion, ou peut être un mécennat, voici mon contact :

Contacts du KIOSK – Global Disability Justice :

LE KIOSK : Radikal Book Store
Le mot radical, dans son sens originel signifie « aller à la racine de » ou « rechercher les causes profondes », un mot dont le sens est volontairement déformé par celles et ceux qu’il dérange. Les processus et stratégies centrés sur la démocratie radicale servent d’axes de changement social mondial. Nous devons dépasser le point de tenter des petits ajustements d’un système qui est essentiellement de nature extractive, qui extrait une plus-value des corps des travailleurs et utilise les autres corps comme décharge, et ne pas essayer de résoudre cette crise du changement climatique en s’appuyant sur les traditions colonisatrices et les solutions technologiques à but lucratif proposées par l’Occident et plongées dans cette idéologie de la blancheur.

Mail : danslesensdubois chez gmail.com

Réseaux sociaux : Le KIOSK

Site internet : Global Disability Justice

Les racistes les plus problématiques sont celles et ceux qui ne dénoncent pas la violence de la suprématie banche. Faire face à la crise climatique nécessite de démanteler cette suprématie blanche.

11 – Sources et lecture supplémentaires [retour sommaire]

1 – L’histoire de la criminologie est une histoire de suprématie blanche : Vivienne Saleh-Hanna a montré dans Abolish Criminology comment une abolition ancrée dans la neutralité de couleur (racisme daltonien, i.e. la doctrine française) ou de la suprématie blanche, car celles-ci sont interchangeables pour elle, est un échec pour la libération. Retour ligne automatique
Rod Earle en parle dans Tacler la blancheur comme un travail décolonial dans la criminologie contemporaine de The International Handbook on Decolonizing Justice.Retour ligne automatique
Debbie Kilroy, Tabitha Lean & Angela Y. Davis en parlent daussi dans ’L’abolition comme un Projet Décolonial’, dans le même livre. Retour ligne automatique
Si des personnes se demandent pourquoi je ne cite pas de ’criminologues blanc-hEs Universitaires’, citéEs abondament par le milieux anticarcéral français, je me suis déjà frotté avec certains d’entre eux-elles. Essayez de lire un de leurs derniers livres et d’en supporter la lecture jusqu’à la fin. Vous ne trouvez jamais le mot « race », et une seule fois le mot « eugénisme ». Face au carnage de l’eugénisme, ce n’est que dans le pays du racisme daltonien que celà passe comme une lettre à la poste. La suprématie blanche et le capitalisme racial sont au cœur de la compréhension théorique de l’abolition des prisons. La neutralité de couleur du monde universitaire est une complicité avec la suprématie blanche, avec la bourgeoisie. La complicité de la criminologie dans la débilitation des personnes handicapées fera l’objet du prochain épisode.

Ces textes ne travaillent pas à maintenir la blancheur (i.e. suprématie blanche) en bonne santé, parce que c’est le travail essentiel de la police.

Les Pdf et la lecture de certains livres qui ont servi à la rédaction de cet article sont sur Global Disability justice.

– Indigenous Disability Studies John Ward

Suite au premier rassemblement mondial sur les études Autochtones sur le handicap en Novembre 2023, en Australie, Indigenous Disability Studies de John Ward (Première publication en 2025), est le premier ouvrage du genre à relater et à « faire un pas en avant progressif en matière de diversité et d’inclusion en permettant une véritable réponse mondiale aux études Autochtones sur le handicap qui ouvrira la voie à une nouvelle ère pour ce domaine émergent. Cela donnera à la prochaine génération une place, une voix et une chance de partager ses propres points de vue afin qu’elle puisse remodeler la manière dont les études sur le handicap se dérouleront. Grâce à cette réponse mondiale, Routledge deviendra un leader en matière d’information sur les Autochtones et les personnes handicapées (J. Ward). » Retour ligne automatique
Ce livre passionnant aborde les voies à suivre pour avancer dans le processus de défiance vis à vis du modèle biomédical occidental de l’autorité coloniale tout en proposant une multitude de nouvelles approches sur la manière dont les handicaps sont mis en avant à partir des perspectives, des connaissances et des systèmes de croyances Autochtones.Retour ligne automatique
La traduction française proposée par Le KIOSK aux éditions Routledge, via l’autorisation de John Ward, est à l’étude. Une traduction du chapitre 9 sur la neurodiversité du point de vue Autochtone est proposée, voir ci-dessous.

2 – Des articles pour comprendre les expériences et des perspectives des personnes Autochtones vivant dans la périphérie mondiale, dont les voix ont longtemps été négligées.

– Visions du monde Autochtones sur la déficience et l’interdépendance relationnelle de Heather Norris

Extrait : La déficience est un phénomène universel, mais elle revêt des significations très différentes dans des sociétés aux structures culturelles, politiques et économiques différentes. Les conceptions Autochtones du monde sur la déficience sont fondées sur le respect de la profonde interdépendance de toute vie dans toute sa diversité et sa différence, liées entre elles dans une toile d’araignée de relations. À la suite de l’exposition d’Erevelles (2011) sur le handicap en tant que construction sociopolitique créée comme moyen de patrouiller les frontières de la citoyenneté à travers le contrôle et la manipulation de l’Autre construit au sein d’un État néocolonial, je montre comment, à partir du moment du contact européen, une vision eurocentrique du « handicap » comme un manque inhérent de capacité de production (et donc un écart par rapport aux normes normatives valorisées) a influencé la compréhension de la déficience et du handicap au sein des sociétés Autochtones d’Amérique du Nord. Cela a marginalisé les personnes handicapées et fait également partie d’un projet colonial plus vaste consistant à attribuer des valeurs négatives à toutes les formes de diversité et de différence, les qualifiant de déviations et essentiellement synonymes de « handicap ». Dans le même temps, les relations coloniales d’oppression et de domination sont responsables de conditions qui donnent lieu à la fois à des déficiences et à des handicaps. Je soutiens que le renouvellement et le recentrage de la vision Autochtone du monde sur la déficience et le handicap soutiendraient un changement transformationnel dans notre société grâce au pouvoir de l’interdépendance et des relations respectueuses. Lire la suite sur Global Disability Justice.

– L’histoire de la plaie du colonisateur de Healing History Project

Extrait : cette histoire est une chronologie du complexe médico-industriel qui se concentre sur plus de cinq cents ans de violence et de mépris déguisés en soins et dit la vérité sur la suprématie blanche, le capitalisme racial, le capacitisme, la transphobie, l’homophobie, la misogynie, et bien plus encore. Une conversation sur le rôle de la suprématie blanche et de la colonisation chrétienne, du racisme anti-Noirs et de la violence liée à la disparition des Autochtones dans le cadre de ce qui a façonné la structure actuelle des soins de santé. Cet article se concentre sur l’histoire de la blessure coloniale, les pratiques isolées et les systèmes de croyance qui se sont développés en Europe et étaient à l’origine de ce qui a été forcé sur l’île de la Tortue par la colonisation. Ce contexte est important pour comprendre comment nous sommes parvenus à cette situation difficile. Nous savons qu’à mesure que la médecine occidentale s’est développée, d’autres méthodes traditionnelles de guérison ont été définies comme primitives ou fausses afin de minimiser ou de couper leurs forces et leurs liens culturels. Les auteur-icEs ne voulent pas contribuer à l’invisibilité d’autres traditions de soins en racontant cette histoire mais garder un œil sur les histoires et les formes de soins qui existaient sur l’île de la Tortue, et dans le monde entier, avant la colonisation européenne, ainsi que celles qui ont continué à résister à leurs disparitions. Ce texte est important pour comprendre le passage du soin au contrôle, sur les compréhensions de la guérison, du corps et du capacitisme. Lire la suite sur Global Disability Justice.

– Incarnation décoloniale : Fanon, la rencontre clinique et la blessure coloniale de Carolyn Urena

Extrait : Les études sur le handicap et les sciences humaines médicales ont récemment attiré une attention croissante de la part des universitaires intéressés à remettre en question les compréhensions biologiques modernes de la santé et de la maladie qui déshumanisent et aliènent les personnes handicapées et celles qui sont malades. Même si ces discours peuvent beaucoup contribuer à la compréhension de la diversité humaine, y compris l’étude de la race et de l’origine ethnique, le risque de confondre maladie, handicap et formes historiques de discrimination systémique reste un sujet de préoccupation. Frantz Fanon, clinicien et philosophe noir martiniquais, attire notre attention sur l’importance de panser les blessures physiques, affectives et épistémologiques de la colonialité en s’occupant des relations sociales qui les produisent. Fanon expose les limites des épistémologies hégémoniques du corps, soulevant la question de savoir quels autres types de savoir sur la santé et la maladie sont également exclus par la colonialité du savoir. En théorisant la clinique comme un lieu important d’où la pensée révolutionnaire peut émerger, je propose un cadre décolonial pour comprendre comment une rencontre soutenue entre les études critiques sur la race et le handicap peut générer de nouvelles conceptions de la santé et de la guérison qui nécessitent de réfléchir à un autre type de douleur et de souffrance qui n’est pas couvert par la rubrique actuelle mais auquel nous, au XXIe siècle, devons néanmoins prêter attention… Lire la suite sur Global Disability Justice.

– La neurodiversité d’un point de vue autochtone. Honorer les enseignements des sept grands-pères de Lexi Giizhigokwe Nahwegiizhic

Imaginez notre société comme un puzzle géant. Chaque personne est représentée comme une pièce de puzzle individuelle. Il n’y a pas deux pièces identiques ; Leur combinaison de taille, de forme, de couleur et de motif est unique. Certaines pièces ont la même forme mais pas la même taille. D’autres pièces ont les mêmes couleurs mais utilisent les couleurs dans un design différent. Même avec leurs différences, chaque détail est essentiel et aucune pièce du puzzle n’est plus importante qu’une autre. Lorsqu’elle est correctement disposée, une belle image est peinte sur la surface, racontant une histoire avec les attributs collectifs de chaque pièce. Lire sur Global Disability Justice. Lire la suite sur Global Disability Justice.

– Passif-agressif : résistance maorie et maintien de la psychiatrie coloniale à Aotearoa, NZ de Bruce M. Z. Cohen

Extrait : Cet article propose une discussion comparative sur l’empiétement de l’impérialisme psychiatrique dans le Sud global en considérant la persistance de la psychiatrie occidentale dans une partie colonisée du Nord global. Alors que la population Autochtone d’Aotearoa en « Nouvelle-Zélande » était considérée comme mentalement saine avant les années 1950, les statistiques actuelles montrent que les Maoris sont beaucoup plus susceptibles de souffrir d’une « maladie mentale » et d’être admis dans un hôpital psychiatrique que les groupes de colons. Une revue de la littérature met en évidence les variables socio-économiques et les problèmes d’« acculturation » comme étant essentiels pour comprendre la différence dans les taux de prévalence. Cependant, en utilisant un « modèle critique », influencé par les écrits sur la psychiatrie coloniale et la race, cette discussion démontre qu’une crise de l’hégémonie coloniale entre les années 1960 et 1980 a conduit à un besoin accru de la psychiatrie coloniale pour pathologiser une population maorie politiquement consciente. En tant que premier article universitaire à tenter une déconstruction aussi critique de la pratique psychiatrique à Aotearoa en Nouvelle-Zélande, il est recommandé que les recherches futures soient réorientées vers une focalisation sur l’institution psychiatrique et l’institution de psychiatrie en tant que site de la colonisation, de pouvoir et de contrôle social. Lire la suite sur Global Disability Justice.

– Penser la santé mentale et la spiritualité à partir du cadre de référence des systèmes de connaissances Autochtones via DSQRetour ligne automatique
Extrait : Alors que le Nord mondial se concentre davantage sur la guérison du corps individuel, les perspectives du Sud identifient l’individu comme se trouvant dans un système sociopolitique collectif spirituel qui soutient son bien-être et sa pleine participation à ses communautés. Par conséquent, l’expérience du handicap au sein des communautés autochtones africaines est vécue dans un système social spirituel collectif qui doit être reconnu et inclus dans un large discours sur le handicap. Une vision autochtone du monde en Afrique positionne l’espace communautaire et ses relations holistiques comme un espace de guérison, un espace de connexion équilibrée et un système de soutien pour les personnes handicapées. Cette compréhension encourage la collaboration qui éclaire divers plans et interventions en matière de santé et indique un résultat plus durable.

La liste est trop longue, ce sera tout pour cette fois.

Notes

[1Les Autochtones de L’Ile de la Tortue, ou « Amérindiens », ont connu le pire génocide sur leur propre sol : plus de 90 millions de morts. le projet The Killing Times publié par The Guardian documente les massacres de peuples Autochtones, basé sur les recherches de Lyndall Ryan. Le numéro du magazine Funambulist édité par Zoé Samudzi, se penche sur les génocides coloniaux et les politiques de l’oubli (Decolonize Genocide). (source : www.alanalentin.net #understandingRace)

[2Harriet Trubman Collective et des collectifs de personnes handicapées Noires et Sourdes sont des bâtisseurs communautaires, des militants, des rêveurs, des amoureux qui luttent pour l’inclusion radicale et la libération collective : Patricia Berne, Kylie Brooks, Carter néal, Patrick Cokley, Candace Coleman, Dustin Gibson, Timotheus Gordon, Jr., Keri Gray, Christopher DeAngelo Huff, Cyree Jarelle Johnson, Lorrell D. Kilpatrick, Carolyn Lazard, Talila A. Lewis, Leroy F. Moore, Jr., Vilissa Thompson, Alexis Toliver, Heather Watkins.

[3De nombreux handicaps sont invisibles et beaucoup ne révèlent pas leur handicap en raison de la forte stigmatisation sociale (Reinholz et Ridgway, 2021). Il est important de ne pas supposer une « expérience handicapée » unique, mais de respecter et de centrer les voix authentiques des personnes handicapées. Le handicap est un phénomène complexe et les personnes handicapées sont des individus aux identités multiples plutôt que des membres d’un groupe « homogène ».

[5Pour comprendre ce qu’est le capacitisme/validisme et comment il se croise avec d’autres systèmes, et la façon la plus simple d’encourager les gens à le conceptualiser est de le penser en termes de type de classement et de catégorisation des corps et des esprits comme étant soit normatifs et désirables, soit déviants et jetables. Ce classement et la catégorisation du corps et de l’esprit (les corps et les esprits ne sont pas séparés, mais connectés) est un processus qui est intrinsèquement raciste, un processus anti-noir et un processus intrinsèquement capitaliste. La manière de déterminer qui a de la valeur et qui est jetable est basé sur des conceptions capitalistes de la productivité/propriété, de sorte qu’un corps-esprit capable de produire est un corps-esprit qui a de la valeur pour l’Etat quand les autres sont jetables. L’exploitation de ce système de capacitisme déshumanise systématiquement les handicapés, les fous et les neurodivergents. Talila Lewis affirme que lorsque les NoirEs comprendrons aussi que le capacitisme/validisme est une forme pure d’anti-noirceur, alors nous serons tous-tEs libres.

[6La précarité de la population excédentaire est due à ce que Ruth Wilson Gilmore appelle « l’abandon organisé », la manipulation délibérée et la dépossession disproportionnée des ressources des communautés Noires, Brunes, Autochtones, handicapées et pauvres, les rendant plus vulnérables aux problèmes de santé. Pour véritablement défier le capitalisme et visibiliser ces dichotomies coloniales, il est nécessaire que nos projets politiques se recentrent sur les populations « excédentaires » ou « jetables ». La vulnérabilité des personnes excédentaires est construite par les opérations de l’État capitaliste et la précarité de cette même population est due à ce que Ruth Wilson Gilmore appelle « l’abandon organisé ».

 

[7L’ignorance des Blancs crée une « amnésie collective » qui est le fondement des systèmes éducatifs dans les sociétés à dominante blanche, mais aussi des musées, des monuments et des cérémonies nationales. C’est à travers ces institutions qu’un oubli collectif est mis en œuvre et qu’une mémoire se façonne sur les fondements de l’ignorance structurelle. La blancheur fonctionne comme un site qui est censé posséder des « connaissances absolues » sur celles et ceux qui sont considérés comme « autres ». Cette « connaissance » sert de site de ce que Charles Mills a inventé comme l’épistémologie de l’ignorance. Selon ce concept, les Blancs sont délibérément ignorants. En d’autres termes, ils décident d’éviter les informations qui montrent que leurs croyances sont en fait fausses. C’est comme s’ils signaient collectivement un contrat social pour éviter la connaissance, en particulier lorsqu’il s’agit de questions liées à la race.

[8cette incapacité à comparer deux choses simples est un pure produit de la suprématie blanche (et ses privilèges).

[9La décolonisation signifie démanteler les systèmes d’oppression, et non ajouter des personnes de couleur comme décor. Le tokenisme donne à celles et ceux qui sont au pouvoir l’apparence d’être non-racistes et même des champions de la diversité parce qu’ils recrutent et utilisent la POC (People Of Color) comme des accessoires racialisés.

[10Cheryl Harris (La blancheur comme une maudite propriété), théoricienne critique de la race et juriste, soutient que dans un système capitaliste racial, la blancheur et la propriété partagent plusieurs prémisses fondamentales ; le premier étant le droit d’exclure (Harris, 1993). Tout comme les droits de propriété, la blancheur s’accompagne de nombreux avantages intangibles, tant privés que publics, qui sont ratifiés par la loi et jugés légitimes par les régimes de pouvoir en place. Comme l’explique Harris (1993, p. 1714) : « Après l’abolition de la ségrégation légalisée, la blancheur en tant que propriété a évolué vers une forme plus moderne grâce à la ratification par la loi des attentes bien établies du privilège relatif des Blancs comme base légitime et naturelle. »

[11L’abolition nous demande de relier l’esclavage transatlantique à l’emprisonnement actuel et notre système judiciaire actuel. La tâche consistant à s’attaquer aux préjudices à la racine, en dehors des mécanismes de l’État. Les prisons sont arrivées en Afrique pour saper la justice africaine traditionnelle, pour réprimer la lutte pour l’indépendance, faciliter l’exploitation économique et consolider la suprématie blanche. Les perspectives décoloniales exigent que nous rejetions les prisons, en comprenant leur rôle dans « la continuité et la reproduction des mécanismes coloniaux de punition » et le contrôle social.

[12L’idée selon laquelle un citoyen doit être « productif » est un mythe capacitiste qui définit les personnes handicapées comme « improductives » (Baynton, 2001)

[13Celles et ceux qui se trouvent au bas de l’échelle de la productivité économique ont été médicalisés et pathologisés pour justifier le manque de soutiens sociaux universellement disponibles. Le capitalisme a défini la « santé » elle-même comme la capacité à se soumettre au travail. (Healt Communism)

[14Le capacitisme/validisme est lié au modèle médical du handicap, en se concentrant sur ce qui ne va pas chez ces personnes et sur la manière de les traiter (Reinholz et Ridgway, 2021 ; Gin et al., 2022). Le capacitisme adhère au « modèle médical » selon lequel les personnes/femmes sont définies par leur handicap et où l’accent est mis sur l’écart de l’individu par rapport à la « norme », plutôt que de reconnaître l’individualité et les ensembles d’expériences spécifiques de chacun. Le problème du modèle médical et de son homogénéité est le manque de reconnaissance de l’individualité de chaque personne et la façon dont on nous encourage à définir les gens en fonction de leur handicap plutôt que de voir la personne en premier lieu.

[15Le Projet d’histoires de guérison abolitionniste (HHP) est un projet qui comprend que jusqu’à ce que nous déracinions ces idéologies suprémacistes, elles continueront à changer de forme afin que le capacitisme demeure. Le problème ne vient pas des nombreuses façons différentes dont la vie se présente, mais de l’hypothèse selon laquelle toute vie doit se conformer à une norme particulière pour avoir de la valeur. Les épidémies ou pandémies sont des moments où nous voyons les systèmes que nous avons créés et ceux que nous avons négligés, et soulignent comment nous ne savons pas prendre soin les unEs des autres. MICTimeLine est une chronologie qui montre comment ces modèles ont existé depuis la colonisation et cette histoire de la COVID-19 est la continuation même de ce qui a commencé il y a plus de cinq cents ans.

[16La justice environnementale se doit de répond à une iniquité fondamentale : les préjudices environnementaux ne sont pas également réparti. La violence structurelle et environnementale entraîne un handicap généralisé parmi les communautés Brunes, Noires et pauvres. La justice environnementale doit reconnaître la façon dont les perturbations climatiques exacerbent les schémas d’égalité structurelle préexistants et intensifie les effets du racisme, du classisme, du colonialisme et de l’inégalité entre les sexes. Les féministes françaises ont été les premières à inventer le terme d’écoféminisme, reliant les questions d’oppression de genre au phénomène de domination des hommes sur la nature. Mais le terme décrit essentiellement « un nouveau nom pour une sagesse ancienne ». L’écoféminisme imite et recycle la sagesse africaine ancienne […] Les théories écoféministes s’inspirent beaucoup des ontologies et des épistémologies Autochtones africaines, dont les principes fondamentaux recoupent ceux de la politique verte. (Sylvia Tamale ; Decolonization & Afro-feminism)

[17Le capacitisme est une forme d’oppression structurelle. Cela signifie qu’elle est souvent invisible, en particulier pour les personnes qui n’en sont pas victimes. Le capacitisme/validisme affecte tout, des attitudes culturelles comme la honte, la stigmatisation et la peur, les obstacles institutionnels, la participation à la vie quotidienne… Le capacitisme systémique est aussi très présent dans des espaces qui sont censés être sûrs et progressistes. « Moins vous pensez à votre oppression, plus votre tolérance à son égard grandit. » – Assata Shakur. Pour les personnes qui ont survécu à la violence systémique, un paradigme occidental de la psychiatrie à lui seul peut naturaliser davantage l’oppression en pathologisant la détresse au niveau individuel. C’est pourquoi Martin-Baró (1989) définit la santé mentale comme communautaire, relationnelle, historique et liée à la justice sociale. (DGS)

[18Ce modèle social du handicap (basé sur les droits de l’homme) n’a toujours pas été intégré dans la législation française, ni dans la réglementation nationale, pas plus qu’il n’en n’est devenu partie intégrante de la conscience politique et professionnelle de ce milieu, alors que tous les autres pays européens ont transité vers ce modèle. Ce modèle social nécessite de « responsabiliser les français.Es », les héritiers du marketing des « Lumières », avec la cognition nocive, l’arrogance civilisationnelle persistante et pathologique qui va avec, un pays souffrant d’illuminations occidentales… Bon courage à vous !

[19BlackHouse Kollective (BHK) n’est pas une université ni même une pluri-versité, mais, pour paraphraser une expression de l’enseignant, philosophe et ancien de Soweto, Sibusiso « Général » Nxumalo, un vortex de possibilités décoloniales. BHK est un site de décolonialité combative, dont certaines des activités décoloniales transdisciplinaires ont émergé dans le cadre du projet de décolonisation de l’université. L’UNISA a fourni un soutien crucial à certaines des activités décoloniales transdisciplinaires qui ont émergé de la BHK. Impossible de parler de décolonialité sans citer ce collectif décolonial, un foyer idéologique pour la pensée radicale Noire.

 

[20La théorie anticoloniale met l’accent sur la colonialité comme un processus historique et continu et un ensemble de relations sociales de pouvoir, au centre de l’opération de construction de la différence pour la fonction de l’hégémonie coloniale (Simmons et Dei, 2012). Une réflexion déshistoricisée sur le capacitisme et le « traitement » de la « différence » produit ensuite une action – ou plutôt une inaction – qui ne remet pas en question les processus, les projets et les systèmes historiques qui créent et perpétuent l’oppression. Cette approche crée un espace d’analyse de la relation réciproque entre la construction de l’Autre (la logique de l’orientalisme) et la suppression de l’Autre. Pour que l’Autre soit confiné et retiré du « public », il doit être construit comme inférieur en juxtaposition à un non-Autre (Said, 1993).

[21« Rien sur nous sans nous » est un slogan mondial en faveur des droits des personnes handicapées créé par des groupes sud-africains de défense des droits des personnes handicapées dans les années 1980.

[22Le Kindred Southern Healing Justice Collective a défini le cadre de la Justice de Guérison (HJ) en 2005-2006 « pour que les mouvements s’attaquent aux préjudices et aux traumatismes collectifs » et pour « construire des réponses dirigées par la communauté et les survivants, enracinées dans les traditions de résilience du Sud pour soutenir notre bien-être émotionnel/physique/spirituel/psychique et environnemental. La justice de guérison naît de l’expérience vécue par ceux qui opèrent dans les interstices du travail du mouvement. Cela commence par une compréhension de la santé comme étant liée à l’oppression, y compris aux traumatismes historiques, et à la communauté.

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