1 – Reconnaître les oppressions croisées, L’interdépendance des systèmes d’oppression : race, genre, classe, handicap, sexualité, etc.

    • Le racisme, le sexisme, le capitalisme, le validisme, le colonialisme et l’hétéropatriarcat ne s’additionnent pas : ils se co-produisent.

    • Ils constituent un système d’intersection du pouvoir, qui façonne la place des individus dans la société.

🔸 Patricia Hill Collins, dans Black Feminist Thought (1990), parle de “matrix of domination” pour désigner cet entrelacement structurel des rapports de pouvoir.

2 – Centrer les expériences des personnes marginalisées, et reconnaître les expériences marginalisées comme sources de savoir à plusieurs niveaux.

    • Les personnes en situation d’oppression ne sont pas des objets d’étude, mais des productrices de savoirs politiques. Leurs vécus permettent de comprendre ce que les institutions et les discours dominants invisibilisent.

🔸 bell hooks, Feminist Theory: From Margin to Center (1984) — “The margin is a site of radical possibility.”
🔸 Patricia Hill Collins : “Subjugated knowledges are the key to dismantling domination.”

3 – Refuser les approches uniques qui invisibilisent les vécus complexes.

    • L’intersectionnalité dévoile que les différences (de race, genre, handicap, sexualité, etc.) ne sont pas “naturelles”, mais politiquement construites pour maintenir des rapports de domination.

🔸 Angela Davis, Women, Race and Class (1981) : le genre et la race sont des catégories historiquement produites par le capitalisme et l’esclavage.

4 – L’objectif de transformation sociale. Agir pour une justice sociale inclusive dans les politiques et les pratiques.

    • L’intersectionnalité n’est pas un outil de diversité ou d’inclusion symbolique : elle est une stratégie de justice sociale.

    • Elle cherche à transformer les institutions (droit, santé, justice, éducation, emploi) qui reproduisent les exclusions.

🔸 Sirma Bilge (Intersectionality Undone, 2013) : “Intersectionality has been domesticated into a diversity tool — we must reclaim it as a theory of power.

Références clés

  • Kimberlé Crenshaw – Juriste et professeure à Columbia, elle a introduit le concept en 1989. Article fondateur : Demarginalizing the Intersection of Race and Sex (1989)
  • Patricia Hill Collins – Sociologue, autrice de Black Feminist Thought (1990)
  • Sirma Bilge – Co-autrice avec Collins de Intersectionality (2016)

Le retard dans la reconnaissance du handicap en tant que structure de pouvoir à déconstruire, a produit des angles morts et limité l’efficacité de nombreux mouvements. L’interdépendance des oppressions met au défi les groupes marginalisés de dépasser les cloisonnements et les hiérarchies entre les luttes. Ce sont ces barrières insidieuses du colonialisme qui paralysent l’action collective et la prise de conscience de l’interconnexion des oppressions. Il est suggéré que « ces différents aspects des inégalités sociales ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres ; ils interagissent pour créer des systèmes interdépendants d’oppression et de domination ». (source: Privilege and Intersectionality, Handicap et Justice Climatique: une Intersection Oubliée et mal Comprise)

Voir aussi une définitin plus large de l’Intersectionnalité, de l’intersectionnalité critique, ainsi que des cadres théoriques majeurs qui s’appuient sur des perspectives intersectionnelles pour centrer les personnes les plus marginalisées: DisCrit, Disability Justice… mais aussi Privilège blanc, Blanchité ou Blancheur, Suprématie blanche, Inclusion radicale, Personne n’est jetable (No Body Is Disposable),..

Note: Quels que soient les facteurs sous-jacents, les personnes atteintes d’un traumatisme crânien, par exemple, comptent parmi les plus vulnérables de la société et les plus incarcérées. L’intersectionnalité n’a de sens que si elle inclut toutes les réalités marginalisées : leurs besoins en soins non satisfaits les exposent à une forte incarcération. Les oublier, c’est trahir l’esprit même de l’intersectionnalité. (Huntley J, Federation V. Acquired Brain Injury and Vulnerability to the Criminal Justice System. In : Bartkiowak-Theron & Asquith (eds). Policing Vulnerability, Federation Press, Sydney, 2012).

l’intersectionnalité ne peut rester crédible que si elle s’étend aux réalités neurologiques, psychiques et invalidantes, souvent reléguées hors du champ politique. Or, l’oubli de ces trajectoires — traumatisme crânien, stress post-traumatique complexe, errance thérapeutique — constitue une forme d’épistémicide, c’est-à-dire l’effacement des savoirs issus des corps blessés et de leurs expériences de survie. Comme le souligne Sirma Bilge, une intersectionnalité réellement critique ne décrit pas simplement les croisements d’identités : elle analyse les systèmes qui produisent la marginalité.

En ce sens, l’exemple des trajectoires des personnes vivant avec un traumatisme crânien illustrent parfaitement la violence structurelle médico-judiciaire : leur vulnérabilité n’est pas “naturelle”, elle est produite par des dispositifs de soin, de police et de justice incapables d’accueillir la complexité du trauma. Les exclure de la réflexion intersectionnelle, c’est non seulement trahir l’esprit de Crenshaw, mais aussi reconduire la hiérarchie des vies “valables”, celle-là même que le mouvement No Body Is Disposable refuse.