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Ce texte est issu d’un mémoire soutenu en juin 2025 dans le cadre du diplôme universitaire « Personne En Situation de Handicap : droits fondamentaux et inclusion sociale ». La présente version est en cours de dépôt sur la plateforme HAL-SHS à des fins de diffusion libre et d’accessibilité publique. Il est disponible en téléchargement au format page par page (Pdf (Fr), Pdf (EN)). Il est lié à un travail réflexif. Pour accompagner sa lecture — afin de mieux comprendre certains termes, expressions ou références utilisés —, un glossaire est accessible à cette adresse : https://www.globaldisabilityjustice.org/lexique/.
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I – Introduction
II – L’évolution des mandats internationaux en lien avec le changement climatique et les droits des personnes handicapées
III – Les obstacles à l’inclusion des voix des personnes handicapées dans les politiques de justice climatique
1 – Éduquer sur les violences structurelles ou systémiques
2 – Planifier la décolonisation systémique
3 – Démystifier la « culture de la Suprématie blanche »
4 – Comprendre le modèle médical comme un frein à la transformation sociale
5 – Ne pas occulter l’histoire de la création de l’État carcéral et de l’institutionnalisation
6 – Reconnaître la continuité de la logique eugéniste dans le présent
7 – Atteindre l’égalité épistémique pour parvenir à la justice sociale et climatique
8 – Un exemple de décolonisation des études sur le handicap : la philosophie Ubuntu et Botho
9 – Comprendre la collusion et l’interdépendance entre le handicap et d’autres oppressions
10 – Discrit : un cadre pour repenser l’éducation et les injustices depuis les marges
11 – Articuler l’intersectionnalité critique, l’inclusion radicale et la libération collective
IV – Conclusion
Notes
Mots-clés : abandon organisé; abolition; abolitionnisme; adaptation climatique; black feminism; blakability; changement climatique; colonialité climatique; colonialité de l’être; colonialité pénale; colonialité du pouvoir; colonialité du savoir; compétence culturelle; compétence structurelle; critical disability studies; critical race theory; décolonialité complète; décolonisation; Désinstitutionnalisation; disability justice; DisCrit; écologie de l’abolition; éducation inclusive; État carcéral; eugénisme; gaslighting structurel; handicap; healing justice; holocauste; inclusion libérale; interdépendance; intersectionnalité critique; intersectionnalité de la violence; justice climatique; justice cognitive; justice écologique; justice environnementale; justice épistémique; justice participative; justice transformatrice; krankenmorde; matrice de domination; matrice de la violence; modèle médical; no body is disposable; police douce; précarité; psychologie décoloniale; racial ableism; racisme environnemental; récupération institutionnelle; responsabilité communautaire; soins abolitionnistes; structure sociale; suprématie blanche; tokénisme; traumatisme complexe; validisme structurel; violence institutionnelle; violence structurelle, vulnérabilité structurelle.
La crise climatique contemporaine, loin d’être un simple phénomène environnemental, met en lumière les hiérarchies systémiques et les violences structurelles qui traversent nos sociétés. Parmi les groupes historiquement marginalisés, les personnes handicapées occupent une position particulière, non pas en raison de leurs limitations fonctionnelles, mais à cause de l’organisation des structures sociales, économiques, politiques et épistémiques qui les entourent. Bien que les institutions internationales reconnaissent de plus en plus l’importance d’inclure leurs voix dans les politiques climatiques, ces mandats peinent encore à transformer et à contrer en profondeur les logiques de pouvoir et d’exclusion héritées de siècles d’oppression.
Ce texte s’inscrit dans une perspective critique qui interroge non seulement les omissions des politiques climatiques, mais aussi les fondements idéologiques des sociétés occidentales. Il propose de dépasser les approches libérales de l’inclusion, afin d’explorer les violences systémiques « cachées », enracinées dans la suprématie blanche, le capitalisme, le modèle médical et la persistance des pratiques eugénistes jusqu’à aujourd’hui. De l’institutionnalisation massive aux politiques de contrôle social, en passant par l’effacement constant des savoirs issus de l’expérience du handicap, il s’agit ici de mettre en lumière les continuités historiques de l’exclusion et de la domination. Dans ce contexte, repenser les réponses à la crise climatique exige une déconstruction radicale des modèles actuels de développement, de normalité et de citoyenneté. Ce travail propose une lecture résolument politique du handicap, et plaide pour une transformation sociale permettant l’émergence d’une véritable justice sociale, cognitive et climatique. Si de plus en plus de travaux affirment que « la justice climatique a besoin d’intersectionnalité »(1), cela implique de se recentrer, en premier lieu, sur les connaissances des groupes les plus marginalisés, afin de prendre conscience de l’effacement considérable du handicap, ainsi que de la complexité et de l’immense diversité de ce groupe encore largement incompris et insuffisamment écouté.
Dans une perspective de compréhension globale de la justice climatique et cognitive, il devient crucial de distinguer un cadre basé sur les droits des personnes handicapées, de celui basé sur la justice des personnes handicapées (2) (Disbility Justice, DJ). Ce dernier renvoie à la nécessité de décoloniser les études sur le handicap (3), où « il devient prioritaire d’examiner les façons autochtones de percevoir et de comprendre le handicap. » (4) Créé en 2005, DJ se concentre sur les personnes handicapées les plus discriminées et les plus marginalisées. Elle centre « intentionnellement les voix et le leadership des noirs, des autochtones et des autres personnes de couleur dans la stratégie relative aux droits des personnes handicapées » (5). Les principes de DJ sont enracinés dans l’interdépendance, l’analyse intersectionnelle et une compréhension globale des processus d’oppressions structurelles, du développement capitaliste, ainsi que des liens intrinsèques entre validisme, colonialisme, racisme, classicisme, sexisme, homomisia, transmisia, islamomisie, antisémitisme, grossomisie, sentiments anti-immigrés, et toutes les formes de discrimination et d’aliénation matérielles et culturelles. Ces principes invitent à dépasser une lecture individualisée de la discrimination, pour nous recentrer sur les violences structurelles, à travers une lentille véritablement intersectionnelle. Le handicap étant surreprésenté dans le Sud global, de plus en plus de personnes considèrent ce mouvement comme le début d’un bilan indispensable pour une mobilisation des personnes concernées à l’échelle mondiale, plutôt que nationale. Tout comme l’intersectionnalité, DJ met l’accent sur les voix historiquement marginalisées, afin que personne ne soit « laissé de côté ». Plutôt que d’inclure davantage de personnes handicapées dans des systèmes étatistes et validistes, enracinés dans le colonialisme, l’hétéro-patriarcat suprémaciste blanc et le capitalisme racial, DJ aspire à transformer les relations sociales qui génèrent des oppressions croisées. DJ ne conçoit pas l’accès en terme de diversité, d’équité ou d’inclusion (DEI), mais envisage une pratique de l’accessibilité qui comprenne que des changements structurels ne peuvent survenir uniquement lorsque ces personnes sont impliquées. DJ résiste à l’héritage de l’amnésie collective intentionnelle. Elle considère que, lorsque le problème est systémique, un travail axé sur les droits individuels n’est ni adapté, ni convaincant. DJ a appelé à se décentrer des personnes handicapées pouvant obtenir des droits par le seul recours juridique. Plutôt que d’insister sur l’inaliénabilité des droits individuels, DJ nous demande de réfléchir aux systèmes d’oppressions structurelles. Ce mouvement ne rejette pas les droits de l’Homme et n’affirme pas qu’ils sont mauvais, mais, comme l’explique Sabelo Ndlovu-Gatsheni, ils veulent que cela se radicalise (6).
Comprendre les raisons de la création de ce cadre critique est essentiel, puisqu’il est né « des lacunes du mouvement dominant pour les droits des personnes handicapées » (7), qui donnait la priorité à un seul axe d’oppression, au détriment de la complexité des personnes handicapées qui vivent aux carrefours de plusieurs systèmes d’oppression. Il concerne aussi les personnes blanches marginalisées et exposées à la négligence sociétale, y compris au sein même de la communauté des personnes handicapées. Les théoriciens de ce mouvement se sont joints aux efforts de décolonisation, de désinstitutionnalisation et de justice transformatrice. Adopter ce cadre, c’est prendre conscience des racines de l’oppression. C’est aussi refuser l’attitude libérale qui présente la pauvreté — un problème structurel — comme le résultat d’un échec moral et individuel, « qui incite les individus à nier leur interdépendance les uns avec les autres, ainsi qu’avec l’environnement » (8), et qui ne remet pas en cause les normes « qui contribuent à l’acceptation par la société de la privation de droits, de l’invisibilisation et de l’effacement de communautés marginalisées à plusieurs reprises, et ceci au niveau mondial » (9). Penser en termes de justice suppose de dépasser la seule application des droits, pour interroger les structures sociales, les normes éducatives, et les relations de pouvoir qui organisent l’exclusion.
Le choix d’un contexte climatique est intentionnel. Il permet de révéler l’héritage mondial du colonialisme en mettant en lumière les injustices environnementales qui en découlent. Ce choix souligne la manière dont les politiques d’inclusion issues du Sud global, qui s’approprient la notion de décolonisation, contrastent avec les conceptions libérales dominantes de l’inclusion et de la diversité du Nord global. Ces approches libérales de l’inclusion s’avèrent inadaptées aux contextes historiques et aux réalités territoriales qu’elles prétendent réguler. Le cadre de la justice climatique illustre parfaitement les enjeux de cette distinction que ce texte s’efforce de mettre en évidence. Ce dernier plaide pour la décolonisation du secteur professionnel du handicap comme une étape indispensable à l’amélioration des résultats pour l’ensemble de la société. La mise en œuvre de la décolonisation nécessite un cadre intersectionnel, qui est le cadre le plus adapté pour comprendre et cartographier les multiples formes de discrimination (10). Une analyse intersectionnelle est nécessairement une « position radicalement interdisciplinaire » (11). Elle permet de penser des réalités sociales plus complexes — centrées sur les besoins des personnes les plus marginalisées, pour contrer les analyses unidimensionnelles de l’oppression — et d’identifier les systèmes qui entretiennent les déséquilibres de pouvoir. Elle est suffisamment robuste pour proposer des réponses innovantes et nous permet de nous concentrer sur la manière dont les oppressions structurelles n’affectent pas seulement les groupes marginalisés, criminalisés et minoritaires, mais impactent toute la société. Elle nous aide à comprendre comment ces violences structurelles affaiblissent les fondements même de la justice sociale et climatique.
Dans ce texte, le mot radical est employé dans son sens originel: il provient du latin radix, qui signifie « racine ». Si nous voulons être « radicaux » dans nos désirs de changement, nous devons nous intéresser à la racine des oppressions, comme l’a affirmé Angela Davis : « radical signifie simplement saisir les choses à la racine » (12). Le terme « validisme » est ici compris de la même manière que le mot « handicap », tel qu’il est défini par la CDPH. Les deux notions sont utilisées de manière interchangeable. Une définition plus complexe du validisme — proposée par Talila Lewis (13), Dustin Gibson et d’autres personnes handicapées et racisées — présente l’avantage de comprendre le handicap comme étant étroitement lié aux questions raciales et à l’accès aux ressources. Elle examine son état durable et ses racines, en souligne la nature systémique, et reconnaît l’interdépendance entre les oppressions, jusqu’à son impact sur les personnes non-handicapées. Cette définition, largement citée dans le milieu académique, sera la plus adaptée à cette analyse.
Bien que les personnes handicapées constituent la plus grande minorité au monde et la plus défavorisée, les instances mondiales ont été contraintes au début du XXIᵉ siècle de mettre en place des conventions, des lois et des cadres, afin qu’elles soient enfin considérées comme des sujets « précieux ». Il n’existe actuellement aucun cadre international traitant spécifiquement des liens entre l’action climatique et les droits des personnes handicapées. En raison de la multiplication des catastrophes, une attention croissante s’est portée sur leur résilience. Face aux impacts et aux aléas climatiques, et dans une perspective axée sur les droits des personnes handicapées, les États ont l’obligation de mettre en place des politiques d’adaptation visant à protéger et renforcer cette résilience.
Le droit international impose des normes et des obligations juridiques concernant la manière dont les personnes handicapées doivent être autonomisées, consultées et protégées. L’avancée la plus notable de ces dernières décennies est la CDPH. L’article 11 de cette convention exige des États parties qu’ils assurent « la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque, y compris les conflits armés, les crises humanitaires et les catastrophes naturelles » (14). La CCNUCC, premier traité international adopté en 1992 pour faire face au changement climatique et à ses impacts, ne mentionne pas explicitement les personnes socialement défavorisées ou handicapées. L’Accord de Paris de 2015, qui découle de la CCNUCC, constitue aujourd’hui le principal cadre multilatéral de lutte contre le changement climatique au niveau mondial. Son préambule contient des obligations contraignantes pour les États visant à « respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’Homme »(15), y compris ceux « des personnes handicapées » (16). Ces dernières sont également mentionnées dans ses articles 7 et 12.
La CDPH souligne de plus en plus le rôle important des personnes handicapées dans la participation au renforcement de leur propre résilience et dans la réduction des risques de catastrophe (RRC). Le cadre d’action de Sendai constitue une avancée importante : il est l’un des premiers à tenir compte non seulement des personnes handicapées, mais à considérer que leur inclusion dans la RRC est indispensable à chacune de ses étapes. Dans son préambule, il précise que la RRC doit être orientée vers une prévention des catastrophes « centrée sur les personnes » (17), où les personnes handicapées doivent promouvoir des politiques d’intervention et d’évaluation des risques. Le cadre de Sendai recommande de garantir à l’ensemble de la société « les moyens et la possibilité de participer » (18), ce qui sous-entend « l’autonomisation et une participation inclusive, accessible et non discriminatoire » (19) des personnes impactées de manière disproportionnée par les catastrophes. Les questions relatives aux droits des personnes handicapées sont également inclues dans plusieurs objectifs de développement durable (ODD) (20). Pour sensibiliser à ces ODD, European Disability Forum a publié une brochure affirmant que « les personnes handicapées sont essentielles à la réussite des objectifs de développement durable (21). Le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) considère le changement climatique comme une question de justice et place l’équité des droits au cœur de ses politiques et programmes climatiques. Il appelle à lutter contre les inégalités structurelles, socio-économiques, intergénérationnelles et reconnaît l’importance de consulter les populations vulnérabilisées et les plus marginalisées (22). Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme souligne que les effets du changement climatique sur les droits humains peuvent être aggravés par des discriminations croisées, notamment en lien avec le genre, la race, le handicap ou le statut migratoire (23).
Dans un contexte de changement climatique, où il devient indispensable de renforcer la résilience des groupes exposés à des formes multiples de marginalisation, il est crucial de rendre intelligibles et d’exposer les complexités ainsi que les discriminations croisées. Cela est essentiel pour comprendre les contextes et processus à l’origine de cette marginalisation et de ces inégalités. Dans « chaque nouvelle catastrophe fournissant de nouveaux exemples de personnes handicapées négligées ou marginalisées »(24), Twigg, Kett et Lovell attirent l’attention sur le manque d’intégration du handicap dans la prévention des catastrophes. Chaplin, Twigg et Lowell précisent que ce n’est qu’à travers « un développement inclusif incluant les plus vulnérables et les plus marginalisés de la société »(25), qu’il sera possible de réaliser ces ODD. Il devient primordial d’identifier, à l’aide d’une approche intersectionnelle, « les groupes ou individus exclus ou marginalisés dans chaque contexte afin que personne ne soit laissé pour compte » (26). Une telle approche permet d’ « enrichir la compréhension de la vulnérabilité et du renforcement de la résilience »(27), et de concevoir des politiques et des programmes plus inclusifs. En 2016, le sommet humanitaire mondial a adopté une charte visant à renforcer et systématiser les « politiques, procédures et pratiques existantes en matière d’inclusion des personnes handicapées dans les programmes humanitaires »(28).
L’impact disproportionné du changement climatique sur les personnes handicapées est de plus en plus reconnu (29). Nombre d’entre elles sont exposées à des risques accrus en raison de discriminations croisées (30). Le manque de données fiables à l’échelle mondiale sur ces effets limite la capacité des politiques climatiques à répondre efficacement aux inégalités et à garantir que personne ne soit laissé de côté.
Les chercheurs universitaires abordent rarement les liens entre le handicap et le changement climatique. Les cadres d’analyse dans ce domaine de recherche continuent de les exclure. Bien que des avancées aient été réalisées, des défis subsistent quant à l’intégration effective des droits des personnes handicapées dans les politiques climatiques mondiales. Huit organisations mondiales de personnes handicapées ont adressé une lettre aux États parties de l’Accord de Paris en 2024 (31), dénonçant leur exclusion des négociations climatiques et appelant à la création d’une « constituante » dédiée aux personnes handicapées. Cette demande visait à garantir une participation égale aux discussions et décisions relatives au climat. En 2023, DICARP (32) a révélé que seulement 39 États mentionnaient les personnes handicapées dans leurs contributions déterminées au niveau national (NDC), dans le cadre de l’Accord de Paris.
Considérer les personnes handicapées comme des individus vulnérables, marginalisés et des victimes passives, revient à ignorer les causes politiques et institutionnelles de cette vulnérabilité, et à les exclure des politiques ou programmes dans lesquels elles devraient avoir le droit et la capacité de développer leurs connaissances pour assurer leur propre résilience. En raison d’obstacles structurels, physiques ou financiers, les personnes handicapées peuvent rencontrer des difficultés pour faire valoir leurs droits. La justice climatique nous demande de prêter une plus grande attention à la manière dont les populations sont impactées de manière inégale et disproportionnée (33). L’objectif est d’atténuer ces injustices afin de parvenir à des solutions équitables, réduisant leur marginalisation et leur exclusion. Une approche inclusive et intersectionnelle est aussi cruciale pour garantir que les droits des personnes handicapées soient respectés et protégés dans le contexte du changement climatique. « Pour adopter une approche plus intersectionnelle de l’action climatique, les chercheurs soulignent la nécessité de s’attaquer à la discrimination historique et systémique et d’identifier des acteurs et des tactiques spécifiques pour corriger les injustices de longue date » (34). Jonas Ruškus précise qu’« en adoptant la Convention CDPH, les États s’engagent à réparer les injustices historiques subies par les personnes handicapées dans le monde entier et à mettre fin à la discrimination structurelle et systémique qu’elles subissent en raison de leur handicap, ce qui entraîne leur exclusion des communautés » (35). Les questions de justice sociale et d’inégalités sont étroitement liées à cette violence structurelle. Johan Galtung a défini la violence « comme l’institutionnalisation de l’inégalité des chances et des opportunités dans la vie » (36).
Au-delà de ces avancées normatives, il est crucial d’interroger ces mécanismes structurels qui continuent de marginaliser les personnes handicapées et qui relèvent d’un ordre social profondément inégalitaire. Il en va de la responsabilité collective d’identifier les communautés les plus touchées par la violence structurelle, à travers une analyse quantitative, qualitative et intersectionnelle. Dans un contexte de crise climatique, « les programmes qui ne s’attaquent pas aux causes profondes risquent de renforcer encore davantage les inégalités » (37).
1 – Éduquer sur les violences structurelles ou systémiques
Les travaux de Johan Galtung sur l’interaction entre la violence culturelle, directe et structurelle, nous invitent à nous concentrer sur les racines de la violence structurelle, en évitant de se focaliser uniquement sur l’identification d’auteurs. La violence directe est une violence visible, plus facilement repérable, qui peut susciter des réactions. Notre attention est généralement dirigée vers celle-ci, de part ses formes plus ou moins brutales. La violence structurelle, ou « indirecte », peut être particulièrement difficile à comprendre. En raison de son enracinement profond, la prise de conscience de sa présence est beaucoup plus subtile ; elle est généralement invisible et imperceptible. En raison de sa présence de longue date, cette violence quotidienne peut sembler ordinaire, acceptable, souhaitable, voire naturelle pour les personnes privilégiées qui n’en sont pas impactées. Elle « est silencieuse et peut être considérée comme aussi naturelle que l’air qui nous entoure »(38). Perturber sa nature invisible est d’autant plus nécessaire que ses racines sont profondes. Si aucun effort n’est engagé pour la révéler et la visibiliser, il devient difficile de comprendre à quel point elle est profondément enracinée dans la société.
La production de savoirs critiques est essentielle au démantèlement de cette violence omniprésente qui génère de profondes inégalités. Cette violence est ancrée dans la structure sociale et institutionnalisée. Johan Galtung a formulé le concept de violence structurelle pour désigner les contraintes imposées au potentiel humain par les structures économiques et politiques, telles que l’accès aux soins, aux ressources, à l’éducation et au pouvoir politique. Cette violence institutionnalisée est problématique et dangereuse, car elle conduit souvent à la violence directe et affecte principalement les personnes qui ont peu de pouvoir. Ce sont ces personnes qui vivent ces inégalités structurelles et qui, au risque d’être criminalisées ou incarcérées, ont le plus souvent recours à cette violence directe. Paul Farmer décrit ces violences structurelles comme des « inégalités sociales et économiques qui déterminent qui sera exposé au risque d’agressions et qui en sera protégé »(39). Il note qu’« il y a une énorme différence entre considérer les gens comme les victimes de défauts innés et les considérer comme les victimes de la violence structurelle »(40). Cette violence structurelle, perçue comme « naturelle », est entièrement évitable parce qu’elle est culturellement et socialement construite. Jennifer Sarrett précise que ces violences « ont une longue histoire et sont profondément enracinées dans de nombreuses institutions sociales occidentales modernes »(41). C’est parce que la société n’en a absolument pas conscience que la lutte contre cette violence est difficile. En commençant par en comprendre le fonctionnement, nous pouvons réfléchir à des pratiques pour atténuer ses effets et ne plus continuer à penser qu’elle est inévitable(42).
Alors que l’intelligence émotionnelle, les expériences subjectives et les données qualitatives des personnes handicapées sont constamment individualisées et pathologisées par les discours cliniques, ainsi que par la violence symbolique qu’ils perpétuent, le handicap demeure un prisme central pour analyser les effets concrets des violences structurelles. Il s’agit de se concentrer sur les complexités de cette violence structurelle, et ses mécanismes, plutôt que sur la résistance à celle-ci. Dépasser le mépris souvent réservé à ces vécus subjectifs, et accompagner les groupes historiquement marginalisés dans le développement de leur capacité à exprimer leurs perspectives depuis leur propre positionnalité, représente une étape cruciale. Il est largement établi que les institutions ont contribué à la sous-représentation significative des personnes handicapées dans de nombreux espaces de pouvoir, de décision et de production de savoir. La réduction et la prévention de ces préjudices nécessitent une autre forme de responsabilisation, qui doit devenir une pratique quotidienne, et qui renvoie à une prise de conscience de la dimension systémique de cette violence envers les personnes handicapées. Il devient aussi nécessaire de remettre en cause les pratiques institutionnelles qui ont participé à leur oppression sociale, politique et historique.
Cette violence structurelle détermine, à terme, qui est entendu et qui est ignoré. Ne pas nommer cette violence, ne pas la rendre visible, c’est encourager la violence structurelle envers les personnes handicapées et laisser prospérer les politiques eugénistes qui maintiennent ce statu quo des pratiques discriminatoires. Pour lutter contre cette violence structurelle, il ne suffit « pas d’avoir des politiciens conscients et engagés, il faut avoir une société consciente et engagée »(43). Un argument probant issu des écrits sur l’éthique du climat considère qu’en présence des violences structurelles, comme le racisme ou le validisme, une seule focalisation sur la moralité individuelle est résolument nuisible et inutile. Qualifier certains groupes de « vulnérables », dans les discours climatiques, devient problématique, dès lors que ces discours ne prennent pas en compte les dynamiques sociopolitiques et les héritages historiques qui produisent cette marginalisation. Manisha Anantharaman soutient que « l’environnementalisme performatif transforme le changement climatique, un problème structurel, en un problème moral »(44), en proposant des solutions symboliques, de fortune, aux problèmes structurels(45). Se concentrer de manière excessive sur la résilience peut être problématique, si elle consiste à blâmer l’individu pour ses échecs au lieu de dénoncer les lacunes du système. La résilience ne doit pas être comprise comme une adaptation à cette violence structurelle. Paul Farmer a montré la nécessité de démanteler en premier lieu cette violence structurelle qui engendre ce besoin de résilience. Il est aussi très difficile de parler de cette violence structurelle, car en dehors de ses symptômes, elle reste invisible et silencieuse. Cette invisibilité permet à des gouvernements de paraître bienveillants, de promouvoir l’inclusion, la diversité, l’équité, les droits… pour venir davantage renforcer l’idée que le colonialisme est une histoire lointaine et révolue.
Ce sont les personnes qui en sont les plus impactées, et qui en sont les plus conscientes, qui doivent effectuer ce travail de théorisation sur la violence systémique — institutionnelle, structurelle et interpersonnelle — lorsque ces violences les ont finalement isolées de la société. Elles finissent par comprendre que la discrimination à leur encontre « est si banale qu’elle est invisible, ce qui signifie que les expériences vécues ne sont même pas considérées comme un inconvénient. Elles ne sont tout simplement pas prises en compte »(46). Cette discrimination systémique est si banale qu’elle est « invisible pour l’agresseur, mais douloureusement ressentie pour la victime »(47). La difficulté à reconnaître la violence exercée sur les corps et les esprits qui échappent aux normes dominantes de fonctionnalité, de productivité ou de conformité, révèle la profondeur du validisme structurel. L’impossibilité des communautés à communiquer sur ces injustices est directement liée à ce que Miranda Fricker décrit comme une injustice testimoniale, pour parler des situations où des personnes ne sont pas comprises, ni écoutées, en raison de leur identité et de leur position sociale. Cette injustice testimoniale est fortement liée aux inégalités structurelles et à la déshumanisation. Gayatri Chakravorty Spivak a mis en lumière les difficultés auxquelles les populations subalternes sont confrontées pour parvenir à se faire entendre par les groupes et les discours dominants.
Les discours focalisés uniquement sur la « vulnérabilité » ou des « besoins spéciaux » échouent à remettre en question cet imaginaire colonial collectif qui privilégie les corps et les esprits aux dépens des « autres ». Sa remise en cause nous demande de nous interroger sur ces idées de normes corporelles, qui privilégient les épistémologies des personnes non handicapées, qui s’avèrent plus utiles ou viables, parce qu’elles ne représentent pas un fardeau d’un point de vue économique. Cela signifie d’imaginer des relations saines où chaque personne n’est pas valorisée en fonction de sa capacité à générer une plus-value, mais par ses capacités uniques à contribuer à l’épanouissement de tous. Alexia Arani nous montre ce que les connaissances incarnées et les soins requis que les personnes handicapées peuvent générer, de part leur position unique. Son travail concorde avec l’idée qu’il est nécessaire de nous demander « à quoi pourrait ressembler la libération lorsque la capacité physique n’est plus au centre »(48). Dans cette optique, il devient impératif de comprendre qu’ « au cœur du capitalisme se trouve l’hypothèse que le travail et les corps peuvent être optimisés pour le profit »(49).
Les personnes handicapées ne sont pas encore suffisamment reconnues comme des experts de leur situation. Leur marginalisation s’opère selon des dynamiques systémiques que la majorité des individus, non confrontés à de telles oppressions, ne sauront jamais pleinement appréhender. Les mesures qui ne tiennent pas compte de ces connaissances uniques, pour comprendre comment ces processus — qui sont pour beaucoup incompréhensibles — marginalisent et engendrent des vulnérabilités, seront mal équipés pour atteindre ces groupes concernés, et comment ils résistent à des processus complexes d’effacement et de marginalisation. Talila Lewis, par exemple, évoque ce lien entre l’effacement systémique et les luttes pour la libération(50) (51). Des charges de travail non reconnues, démesurées et invisibles, sont encore trop souvent imposées aux personnes handicapées devenues marginalisées et effacées(52).
Le modèle biomédical a historiquement servi à l’objectivation(53). Dans Understanding Disability From Theory to Practice, Michael Oliver critique la manière dont les modèles dominants du handicap ont bénéficié aux groupes qui détiennent le pouvoir de la production du savoir, et contribué au maintien des structures de pouvoir existantes. Cette dynamique épistémique d’exclusion est liée à ce que Nora Berenstain nomme le gaslighting structurel, « qui vise à obscurcir les liens non accidentels entre les structures d’oppression et les schémas de préjudice qu’elles produisent et autorisent »(54). Elle développe un argumentaire pour valoriser la subjectivité des personnes handicapées, et sortir de ces discours dévalorisant du handicap, qui refusent de considérer les personnes handicapées comme étant aptes à émettre une quelconque opinion sur la manière dont la déficience où le handicap affecte leur propre vie(55). Son travail est utile pour comprendre comment le racisme scientifique et la naturalisation du handicap sont ancrés dans une entreprise historique de gaslighting structurel. Sur les liens entre le gaslighting structurel, les pratiques de normalisation et de naturalisation des inégalités sociales, elle soutient que « la naturalisation est une tactique structurelle de manipulation particulièrement centrale du validisme, une structure dont les racines sont profondément liées à celles du racisme scientifique »(56). Le gaslighting structurel est un outil insidieux de l’oppression structurelle qui, « dans les sociétés fondamentalement structurées par l’oppression »(57), consiste à masquer les origines de l’oppression. Cette forme épistémique d’abus « vise à faciliter d’autres abus en interrompant la capacité de ses cibles à nommer et à résister aux abus »(58) (59). Il « vise à cacher et à séparer conceptuellement les effets des oppressions structurelles des systèmes qui les produisent »(60). Le handicap est l’un des lieux uniques pour évaluer les conséquences et les racines profondes du colonialisme(61), qui se caractérisent sous la forme de violences structurelles. Nous devons valoriser et écouter les voix de celles et ceux qui en sont directement impactées. L’oppression systémique et la violence structurelle sont le quotidien pour ces corps et ces esprits qui ne peuvent trouver le plus souvent de sens autrement que dans la survie. Pour les personnes handicapées, l’injustice environnementale est permanente et les exclut de nombreux espaces physiques(62). Quand ces personnes ne trouvent pas de solution, une écoute active ou un soutien, elles finissent par faire le choix de l’isolement et de la ségrégation pour échapper à ces violences et éviter la retraumatisation. Ces violences structurelles ne peuvent se produire qu’avec la complicité des groupes privilégiés qui ne veulent pas les voir et qui ne veulent pas savoir.
Comprendre la violence structurelle implique nécessairement de reconnaître la continuité historique du colonialisme(63). Loin d’être un phénomène du passé, la colonisation demeure un processus actif dont les formes contemporaines s’expriment aussi bien à travers des violences structurelles invisibilisées qu’à travers des violences interpersonnelles, touchant de manière disproportionnée les personnes racisées et handicapées. Cette violence est profondément liée à l’histoire coloniale envers ces groupes, aux inégalités structurelles, et aux violences institutionnelles historiques. La « relation symbiotique entre le racisme structurel et la violence structurelle existe depuis longtemps et trouve ses origines dans le colonialisme européen »(64). Une prise en compte mondiale croissante des injustices épistémiques envers les personnes handicapées nous demande de modifier les discours envers la déficience, et d’élaborer des stratégies efficaces pour répondre à leurs besoins de manière globale, tout en démantelant les perspectives néfastes de cet héritage de l’ère coloniale. Chris Cunneen et Juan Tauri montrent que le colonialisme de peuplement n’a jamais été passif : il est activement perpétué par des mécanismes de dépossession, d’exclusion sociale et économique, et de privation de droits(65). Ils insistent sur le caractère criminogène du colonialisme, qui génère activement la marginalisation, la dislocation culturelle et les inégalités systémiques(66). Un retour vers le passé nous permet de prendre conscience de la violence coloniale et réfléchir à sa continuité dans le présent. Il est nécessaire d’éclairer son héritage persistant, la violence structurelle qu’il reproduit, et qui maintient la colonialité. Lorenzo Veracini a défini le colonialisme comme un virus résilient, de part sa capacité à s’adapter ou à se transmettre, et qui persiste sous forme de colonialité. Cette persistance se traduit par des violences structurelles qui, aujourd’hui encore, maintiennent les personnes racisées et handicapées dans des positions d’infériorisation et de précarité. Ces violences structurelles exigent que nous comprenions comment ce déséquilibre des pouvoirs limite l’accès à une vie de qualité. Azad et ses collègues proposent de construire des communautés résistantes à ces violences structurelles par une production de savoir ancrée dans les expériences vécues et incarnées(67) — et non par des discours extérieurs et déconnectés. Une approche du handicap, fondée sur le modèle social, nous permet d’agir non plus sur une lecture individuelle du handicap, mais à un niveau structurel et politique, en phase avec les discours sur l’interdépendance et la durabilité du mouvement de la DJ.
Ces dernières années, la littérature établissant les liens inextricables entre le changement climatique et le colonialisme a été abondante. Ces liens explicites ne relèvent plus du seul discours militant, ils sont dorénavant mentionnés dans le dernier rapport du GIEC(68). S’il a « récemment identifié le colonialisme comme l’une des principales causes du changement climatique »(69), ce sujet est encore peu discuté, occulté, et difficile à traiter en occident. Carl Death constate que « dans les imaginaires socio-climatiques occidentaux, les idées décoloniales sont invisibles et les récits libéraux d’optimisme technologique dominent »(70). Le GIEC reconnaît en quoi l’effort de « justice climatique renforce l’importance de prendre en compte l’héritage du colonialisme dans l’élaboration de stratégies d’adaptation régionales et locales »(71). Pour expliquer la répartition inégale des préjudices du changement climatique, et aborder les liens avec les injustices structurelles, Farhana Sultana démontre avec soin la manière dont « la marginalisation, l’effacement et la réduction au silence sont des mécanismes de la colonialité climatique »(72) (73), qui reproduisent sans cesse « les relations de pouvoir hiérarchiques établies pendant le colonialisme actif », et entravent la concrétisation de la justice climatique. Cette colonialité climatique est étroitement imbriquée avec le système extractiviste mondial — un modèle économique hégémonique fondé sur l’exploitation illimitée des ressources naturelles au détriment des écosystèmes et des communautés vulnérabilisées(74).
Ce sont les personnes historiquement exclues, qui détiennent les clés d’une compréhension véritable des violences structurelles, qui doivent nous éduquer et nous éclairer dans tous les projets d’inclusion et d’interdépendance. Petrovitch Njegosh souligne à juste titre que ces exclusions systémiques sont perpétuées par l’absence de décolonisation des structures éducatives et sociales(75). Sabelo Ndlovu-Gatsheni insiste sur le fait que la colonialité opère aujourd’hui comme une forme de domination cognitive. Elle perpétue l’ordre colonial en neutralisant, en extrayant ou en détruisant systématiquement les épistémologies qui défient les fondements idéologiques de l’hégémonie occidentale(76).
Les politiques radicales du handicap offrent une alternative cruciale aux approches traditionnelles des droits. Ces dernières tendent à être plus assimilationnistes que transformatrices, en intégrant les personnes marginalisées sans remettre en cause les structures mêmes de leur exclusion(77). Lorsque de telles oppressions sont profondément enracinées, et les idéologies qui les maintiennent sont normalisées, la décolonisation devient nécessaire(78). Comprise comme un processus permettant de nous recentrer sur les périphéries qui ont été historiquement marginalisées, la décolonisation n’est pas un problème d’inclusion, mais un travail de démantèlement de la suprématie blanche. Elle souligne l’importance de comprendre la différence majeur et la confusion permanente entre les politiques d’inclusion provenant du Sud global, qui s’approprient cette notion de décolonisation, et la compréhension libérale de l’inclusion et de la diversité du Nord global. La décolonisation reste un outil pertinent pour mettre en lumière cette violence structurelle de longue date, pour révéler les structures sous-jacentes de cette violence qui persistent et continuent d’impacter durement les communautés marginalisées.
2 – Planifier la décolonisation systémique
La décolonisation a été historiquement définie comme un processus consistant à démanteler les idéologies coloniales qui sous-tendent le privilège et la supériorité des connaissances eurocentriques. Plutôt que de dénoncer les mécanismes de domination qui persistent, les livres d’histoire nous enseignent que l’époque coloniale a pris fin dans les années 1970. Bien que le terme « décolonisation » signifiait l’acquisition d’une forme d’indépendance et le droit à l’autodétermination des peuples anciennement colonisés, il a trouvé d’autres significations au cours du XXe siècle. Il concerne aussi la reconnaissance historique de l’expérience coloniale et son héritage. « Les mouvements en faveur de la décolonisation cherchent également à aller au-delà du simple appel à davantage d’ « inclusion » »(79) et des « initiatives de diversité qui laissent les structures coloniales intactes »(80) et qui ne refusent pas « les relations de pouvoir inhérentes à la production de connaissances »(81). Le virage décolonial(82) propose un changement d’attitude, et reconnaît la colonialité comme un problème fondamental, comme l’explique Nelson Maldonado-Torres(83). Achile Mbembe affirme que la France a « décolonisé » sans s’auto-décoloniser(84). De son côté, le Haut commissaire par intérim des Nations Unies souligne qu’il est impossible de répondre aux crises mondiales sans s’attaquer sérieusement à l’héritage du colonialisme, et insiste sur la nécessité de déconstruire cette idéologie de la suprématie blanche(85).
La décolonialité vise à se détacher des structures de savoir et de pouvoir dominantes, pour reconstruire une pensée fondée sur la pluralité épistémique. Olivier Mutanga déconstruit les approches eurocentriques des études sur le handicap, qui ignorent le colonialisme et son impact persistant sur la vie des personnes handicapées dans les pays du Sud(86). Il souligne l’importance d’une analyse décoloniale pour imaginer d’autres manières d’exister. Comprendre les origines des attitudes négatives envers les personnes handicapées, et la continuité du colonialisme, est essentiel pour produire des savoirs libérateurs, capables de remettre en question les mécanismes de captivité imposés par la colonialité. Ce travail consiste à imaginer des relations qui s’attaquent aux racines de ces préjudices. Il exige une analyse fine des origines historiques de la violence structurelle et de ses mécanismes de reproduction. Puisque l’eugénisme a façonné des attitudes hostiles envers la différence, il est crucial de produire des connaissances qui valorisent la diversité des capacités. Cela permet de dépasser la norme corporelle, de favoriser l’inclusion éducative, et de faire en sorte que la déficience ne soit plus un vecteur d’exclusion.
Andoh et Nketsiaba détaillent pourquoi le manque de connaissances sur les besoins des étudiants handicapés rend l’accès et l’acceptation du handicap beaucoup plus difficiles, allant même jusqu’à déterminer son inclusion. Les difficultés auxquelles les personnes handicapées sont confrontées sont à la fois liées à l’environnement social et physique des institutions. Ils notent que les accommodements dont peuvent bénéficier les personnes handicapées dépendent encore trop souvent de la bienveillance ou de la compassion de certains individus, que d’une obligeance formelle des institutions(87). En argumentant sur le fait que les analyses décoloniales et les Critical Disability Studies tiennent compte de ces oppressions structurelles, T. Dirth et G. Adams appellent à normaliser le handicap, à le considérer non pas comme un problème individuel à médicaliser, mais comme un haut potentiel perturbateur, disruptif et épistémique(88) (89). Le « modèle médical s’inscrit particulièrement bien dans l’ère contemporaine de l’individualisme néolibéral »(90). Ces manières d’être individualistes « constituent les normes par défaut de la science psychologique hégémonique »(91). N. Erevelles et A. Minear décrivent « le handicap comme l’incarnation même de la perturbation de la normativité qui est, à son tour, le symbole d’un individualisme efficace et rentable et de l’appropriation économique des profits produits au sein des sociétés capitalistes »(92).
Le mot décolonisation effraie celles et ceux qui bénéficient du statu quo colonial. Or, s’il est un groupe qui comprend les séquelles du colonialisme, qui aurait tout à gagner d’un processus de décolonisation, qui est régulièrement réduit au silence et contraint de remettre en question les épistémologies dominantes, c’est bien celui des personnes handicapées. Tuck et Yang rappellent que la décolonisation n’est pas une simple stratégie d’inclusion, mais un processus fondamentalement dérangeant : il ne s’agit pas simplement « d’un « et », mais plutôt d’un « ailleurs » pour la production de connaissances et l’imagination. »(93). Comme Nirmala Erevelles, nous devons considérer les études sur le handicap comme une remise en cause constante des normes établies — comme un voyage épistémique permanent. Décoloniser, c’est rompre avec une colonialité qui a produit un déséquilibre des pouvoirs et des structures d’oppression, reléguant certaines communautés et leurs savoirs au rang d’inférieurs. La pandémie a révélé « comment l’héritage de l’esclavage et les fondements des théories eugénistes continuent d’influencer le droit et la société »(94). Elle a mis en lumière les lacunes persistantes en matière de droits des personnes handicapées(95), soulignant l’urgence d’un changement en profondeur. Une décolonisation véritable doit permettre de mettre fin à la violence structurelle, qui conduit à l’abandon systémique des plus vulnérables.
En 2011, Nelson Maldonado-Torres nous invitait à examiner les « après-vies » de la colonisation et sa logique d’« adaptation constante », soulignant que la décolonisation reste, au XXIᵉ siècle, largement inachevée. Ann E. Lopez ajoute que « la colonisation européenne a laissé des traces dans tous les aspects de nos vies : comportements, attitudes, abus… »(96). Elle définit la décolonisation comme le processus de suppression de l’empreinte de la suprématie blanche. Arto de Ploeg rappelle l’importance de relier le mot « décolonisation » à son origine géographique, et aux aspirations qu’il portait(97). Pour comprendre le présent, éliminer les structures coloniales et leurs prolongements contemporains, il faut d’abord reconnaître les racines historiques de ces idéologies. La décolonisation implique de reconnaître les injustices passées et présentes, et d’accepter que « le passé n’est pas le passé, comme les privilégiés choisissent de le croire, mais le fondement même des privilèges ou dévalorisations actuels »(98). Linda Tuhiwai Smith, Catherine Walsh et Walter Mignolo voient dans les épistémologies autochtones un moyen d’échapper à cette colonialité. Leurs visions de la différence reposent sur « une conscience spirituelle inclusive, quelles que soient les capacités »(99). Linda Tuhiwai Smith souligne que de nombreux programmes intégrant des éléments autochtones sont perçus comme innovants sur la scène internationale(100). Decolonizing Methodologies montre ainsi comment ces savoirs ouvrent à d’autres formes d’imagination et de visions du monde, là où l’Occident reste souvent limité et dépourvu.
« Parce que le colonialisme a été relégué à tort dans des catégories historiques »(101), il est souvent difficile de faire comprendre que nous vivons encore dans un paradigme colonial. Le lien entre les préjudices historiques et les dynamiques persistantes qu’ils reproduisent découle pourtant logiquement de cet héritage. De la même manière, une société qui ne dispose pas des outils pour nommer, reconnaître et comprendre les racines profondes du validisme, ne pourra jamais devenir véritablement inclusive. « Nous devons comprendre et pratiquer une accessibilité qui nous rapproche de la justice, et pas seulement de l’inclusion ou de la diversité »(102) (103). Cela suppose d’aborder la colonialité dans ses liens étroits avec les inégalités systémiques, et les rapports de pouvoir et d’exclusion qu’elle perpétue. Un véritable processus de décolonisation n’est possible qu’avec la participation de celles et ceux qui subissent cet héritage persistant de la colonisation. La décolonisation n’est rien d’autre que le démantèlement du monde créé par le colonialisme. Pour corriger les inégalités structurelles, il faut recentrer les savoirs et les récits des peuples colonisés, comprendre comment leurs expériences, leurs critiques et leurs visions sont façonnées par l’histoire coloniale. Sans tenir compte de leurs récits, sans décolonisation, il ne sera pas possible d’imaginer d’autres types de relations. Un système colonial « inclusif », enraciné dans ces normes et ces idéologies de la suprématie blanche, reste un système colonial. Il va lui-même à l’encontre de la diversité et de l’inclusion.
Le système de « civilisation » dans lequel nous vivons, est fondé sur la colonialité, qui survit au colonialisme. Il se caractérise par un déséquilibre des pouvoirs, un processus d’altérité — femme/homme, handicapé/non handicapé, Sud/Nord, etc. Cet héritage du colonialisme, qui prive certaines personnes de leur droits tout en accordant plus de valeurs à d’autres, est toujours présent. Si nous ne parvenons pas à nommer et reconnaître ce paradigme colonial, dans lequel nous vivons, nous serons très mal équipés pour le démanteler. Cette nouvelle forme de colonisation n’est pas moins dangereuse que la première, elle est « presque toujours inconsciente et presque toujours ignorée »(104). Le simple fait de vivre « dans un hétéro-patriarcat capitaliste, éco-meurtrier, colonialiste, validiste et suprémaciste blanc »(105), nous expose à des violences qui découlent de ce déséquilibre des pouvoirs. Marina Bell précise que « pour certains d’entre nous, il s’agit d’accepter le fait que nous avons bénéficié de privilèges non mérités au détriment des autres »(106), afin de comprendre pourquoi « nous vivons dans une société qui fait violence à tout le monde »(107).
La France et l’Angleterre figurent parmi les Empires ayant joué un rôle majeur dans l’instauration et la perpétuation de la colonialité(108). Les études sur la colonialité visent à reconnaître les structures coloniales qui restent en place, même après l’indépendance. Cet héritage s’accompagne d’une déshumanisation persistante et d’un effacement des épistémologies de celles et ceux que l’on appelait les « autres ». Comme le rappelle Gayatri Chakravorty Spivak(109), ces populations ont été déshumanisées car elles ne correspondaient pas aux normes valorisées et désirées de la modernité. La décolonialité permet de contrer cette dynamique de la colonialité qui maintient cette stratification sociale et raciale, en se recentrant sur les voix des personnes qui subissent l’impact actuel du colonialisme, pour « rendre leur humanité à des sujets et à des groupes qui en avaient été dépouillés, et ainsi rendre le monde véritablement humain »(110).
Une des stratégies décoloniales consiste à se détacher de la compréhension hégémonique et dominante du handicap, et de considérer les analyses des CDS qui tiennent compte des intersections du handicap avec d’autres identités. Sans cette compréhension de l’intersectionnalité critique, qui nécessite de mettre la DJ au premier plan, la décolonialité est incomplète. Xuan Thuy Nguyen et al. encouragent à envisager l’in/capacité comme une praxis à la fois décoloniale et épistémique. Pour eux, la décolonialité est un moyen de créer un espace radical permettant de contester les conceptions dominantes du handicap dans les pays du Sud(111). Ils plaident pour un recentrage sur les personnes les plus marginalisées tout en revendiquant une justice épistémique globale, fondée sur une réelle égalité de production de savoirs entre le Sud et le Nord global. La colonialité du pouvoir, définie par Anibal Quijano, est une continuité coloniale et historique. Ce n’est pas un événement d’un passé qui aurait pris fin, mais un processus structurel et continu qui nécessite l’examen de ces mécanismes de déshumanisation, une dénonciation constante de la colonialité, et une compréhension profonde de la décolonialité. Pour les nombreuses personnes qui prétendent lutter contre toutes les formes d’injustice, l’utilisation du terme « décolonisation » est aussi une excuse, comme nous le voyons par la suite, pour ne pas s’attaquer à la cause profonde de la colonisation : « l’élimination de la mentalité de la suprématie blanche »(112).
3 – Démystifier la « culture de la suprématie blanche »
La compréhension erronée de la suprématie blanche — constamment décrite comme étant constituée de groupes marginaux et violents, et non comme le système politique sur lequel est fondé l’occident depuis les 500 dernières années — est toujours présente. Le terme « suprématie blanche » ne nous permet pas de comprendre l’étendue de la violence globale et quotidienne endurée par les populations handicapées, noires et autochtones. L’utilisation de l’expression « culture de la suprématie blanche » est préférable, si nous voulons comprendre l’ampleur de l’institutionnalisation obsédante et continue de cette violence de la blancheur, plutôt que de n’y penser seulement lorsque nous parlons de groupes suprémacistes blancs, violents et marginaux.
Chacun des théoriciens de la DJ « ont démontré pourquoi les discussions sur la suprématie blanche et l’oppression des personnes handicapées doivent être simultanées, car ces systèmes se renforcent et s’imbriquent les uns dans les autres »(113). Samuel Z. Shelton rappelle pourquoi « il est impossible de détruire la suprématie blanche sans faire progresser de manière significative la DJ, et vice versa. » Leroy F. Moore précise que « la suprématie des personnes valides et sanistes est coconstitutive de la suprématie blanche. Ensemble, elles créent des lieux inaccessibles et racisés »(114).
Étudier les quinze caractéristiques de la culture de la suprématie blanche, exposées par le docteur Tema Okun(115), est fondamental pour admettre que cette culture est normalisée et omniprésente dans notre quotidien — dans les institutions, dans les mouvements sociaux, dans nos relations personnelles. Une fois normalisée, elle devient invisible, difficile à identifier. Cette culture est tellement valorisée qu’elle a une incidence sur nos comportements, sur nos façons d’agir et de réfléchir. Son démantèlement exige avant tout une prise de conscience de son omniprésence — dans toutes nos relations — et de l’impossibilité de la nommer. Les personnes qui souhaitent agir en faveur des droits des personnes handicapées, doivent comprendre comment cette oppression envers les personnes handicapées est profondément liée à cette « culture de la suprématie blanche ». On ne peut pas non plus démanteler cette culture en y participant. Joel Michael Reynolds précise que « la suprématie blanche est toujours une forme de suprématie des personnes valides »(116). Les personnes qui veulent déraciner cette culture doivent comprendre que ce travail est le plus souvent confié aux personnes racisées et/ou handicapées. Le démantèlement de cette culture — compris comme un processus de décolonisation — nécessite des conversations courageuses pour changer les mentalités. Linda Tuhiwai Smith et Frantz Fanon ont précisé que ce travail de décolonisation — qui consiste à nous débarrasser de ces modèles culturels dominants et nuisibles — est toujours un processus violent, et inévitablement impopulaire.
La reconnaissance des caractéristiques de cette culture — longtemps invisibilisées et normalisées — est essentielle pour la perturber et créer des espaces réellement inclusifs. Le travail consiste d’abord à apprendre à les identifier : tant que nous ne pouvons pas les nommer, nous ne pouvons pas les déconstruire. Le démantèlement de cette culture commence par la reconnaissance de son existence, de la présence constante de cette violence, de sa standardisation, et de la manière dont les privilèges de la suprématie blanche et les inégalités associées perdurent. Linda Steele évoque les limites de la CDPH et du droit international, qui « ne nous fournissent pas à eux seuls les outils nécessaires pour provoquer le type de changement structurel »(117) qu’elle appelle de ses vœux dans son travail sur la déjudiciarisation des personnes handicapées. Elle considère le cadre de la DJ plus convaincant, car il met l’accent sur « l’importance de remettre en question l’oppression et les privilèges imbriqués, notamment la suprématie blanche, l’hétéro-patriarcat, le colonialisme, le capitalisme et d’autres institutions violentes »(118). Nous devons impérativement comprendre pourquoi l’histoire de l’oppression des personnes handicapées et celle de la suprématie des personnes valides « sont inextricablement liées, toutes deux forgées dans le creuset de la conquête coloniale et de la domination capitaliste »(119). L’absence systémique de toute volonté de démanteler cette suprématie blanche, combinée à une incompréhension intergénérationnelle du colonialisme comme l’une des causes majeures de la crise climatique, révèle une ignorance encore très répandue. Le colonialisme a pourtant « redéfini et repositionné le handicap comme une condition chargée de signifiants et de messages autour de notions de corps colonisés idéaux construits autour d’une conscience du corps, ouvrant la voie à des récits contemporains de normativité »(120).
Pour comprendre les racines du dérèglement climatique, « il est nécessaire de le considérer comme le symptôme d’un ordre social injuste fondé sur le colonialisme, le capitalisme, l’extractivisme, la négligence politique et l’oppression de nombreuses communautés marginalisées »(121). Il faut également interroger le rôle du modèle médical dans la perpétuation de la suprématie blanche, ainsi que dans la hiérarchisation et la normalisation des corps au sein d’institutions héritées du colonialisme. Négliger cet héritage empêche de saisir le handicap comme une question politique, liée aux rapports de pouvoir et aux mécanismes d’oppression(122).
4 – Comprendre le modèle médical comme un frein à la transformation sociale
Les personnes handicapées ont longtemps été ignorées, négligées, et continuent de souffrir d’un manque de représentation et de considération. Aujourd’hui encore, leurs perspectives et leurs voix restent absentes. Le modèle médical suggère que « la société n’est pas considérée comme ayant la responsabilité d’accepter les personnes handicapées »(123), et qu’elles « ne contribuent pas à la société »(124). Le terme « handicap » peut ainsi être compris comme l’incapacité de la société à intégrer la diversité physique et mentale dans son tissu social. Le manque de compréhension et de sensibilisation autour de ce terme alimente un système de déresponsabilisation, tout en masquant et naturalisant les inégalités. Cette interprétation erronée peut nous faire croire que les inégalités sociales proviennent de déficiences individuelles, plutôt que du maintien d’inégalités structurelles. Les sciences eugénistes, influencées par ce modèle, ont même affirmé que la criminalité et les inégalités sociales prenaient racine dans l’utérus. Bien que reconnu comme étant discriminatoire, ce modèle continue de légitimer les abus et de maintenir la ségrégation.
La CDPH note que la confusion persistante entre les termes « handicap » et « déficience » limite la compréhension d’un modèle de handicap fondé sur les droits humains(125). « C’est la société qui handicape, limite, ou opprime les personnes handicapées en les excluant des institutions et des arrangements sociaux dominants »(126). Si les personnes adhérant au modèle médical ne saisissent pas les implications d’une approche fondée sur les droits, c’est parce que cette conception « fait de la validité/capacité la norme sociale »(127). Cette compréhension « alimente une norme validiste »(128) incompatible avec la CDPH. Le modèle médical repose sur l’idée que les corps handicapés sont imparfaits, justifiant ainsi l’institutionnalisation(129). Il nie la construction sociale du handicap, ignore les oppressions institutionnelles et structurelles, et adopte une lecture individualiste. Dépourvu d’analyses critiques, il déresponsabilise en renforçant le pouvoir médical par une approche ahistorique. Cette vision réduit le handicap à une expérience monolithique(130), sans lien avec la violence structurelle ou toute autre forme d’oppression telle que la suprématie blanche, le capitalisme ou le néolibéralisme. Un aspect profondément problématique de ce modèle est qu’il individualise des problèmes sociétaux, faisant peser la responsabilité collective de ces violences structurelles, systémiques et intergénérationnelles sur les personnes handicapées. Dans le contexte des pensionnats autochtones au Canada — marqués par le retrait intergénérationnel et cyclique des enfants et une dépossession coloniale plus large(131) — cette individualisation masque « ces injustices historiques et continues dans la déviance et la pathologie du corps »(132). Linda Steele appelle à « résister aux approches de réparation exclusivement individualisées», incapables de saisir les préjudices structurels, historiques et intergénérationnels(133) ou d’apporter les réponses systémiques nécessaires à leur transformation.
Les difficultés à s’intégrer dans la société ne doivent pas être imputées aux personnes affaiblies par le handicap. Elles ne doivent pas porter la responsabilité d’un système social qui, en érigeant des barrières, les a longtemps ignorées, isolées et exclues. Le mouvement des Critical Disability Studies (CDS) évite ces visions binaires et simplistes du modèle médical occidental. Son objectif est de déplacer le regard porté sur le handicap — conçu par ce modèle comme un « autre » marginalisé — vers les oppressions structurelles et systémiques qu’il produit. Les CDS permettent ainsi de « mettre en lumière les résidus du colonialisme »(134). Campbell Fiona Kumari souligne que ce champ d’études nous invite à déplacer notre attention du handicap vers les dynamiques d’oppression perpétuées par les personnes dites « normales » et « valides »(135).
Les politiques d’inclusion sociale doivent aller au-delà de la simple accessibilité pour devenir véritablement transformatrices. Elles doivent sensibiliser et éduquer sur les récits historiques construits et la violence qu’ils continuent de reproduire envers les personnes handicapées. Il en va de la responsabilité de toutes les disciplines de sensibiliser sur cette oppression construite par le modèle médical, une oppression qui n’est pas seulement historique, mais qui se prolonge dans le monde contemporain. Le modèle médical exige que nous nous alignions sur des normes corporelles qui à leur tour créent des espaces inaccessibles. Lorsque ces politiques d’exclusion ne sont plus supportables, des politiques d’inclusion libérales — qui rejettent la remise en cause du problème initial — sont mises en œuvre et reprochent ensuite aux personnes handicapées d’être responsables de ne pas pouvoir s’adapter, ce qui au final rajoute une nouvelle couche de violence et d’exclusion. Rosemarie Garland-Thomson rappelle que l’un des rôles fondamentaux des CDS est de démontrer pourquoi le handicap, et la diversité qu’il incarne, doit être pleinement intégré à la société, notamment par des arguments anti-eugénistes(136). La question de savoir « qui et quoi est inclus et exclu est au cœur des CDS »(137). Pour Patty Berne, l’aspect le plus cruel de l’eugénisme est qu’il force sans cesse les personnes handicapées à prouver leur droit à exister(138). Le modèle médical a construit le handicap comme une pathologie, valorisant la guérison plutôt que les soins culturellement adaptés et l’attention requis, tout en imposant un travail épistémique constant aux personnes concernées pour contrer les préjugés — dégoût, mépris et pitié libérale — et la violence épistémique qu’il génère. Cette dernière, enracinée dans le colonialisme et l’eurocentrisme, ne relève pas seulement de l’idéologie, mais s’incarne dans des préjudices matériels liés à cette construction de l’« autre »(139). L’effacement constant des personnes handicapées révèle la distinction entre les vies « valorisées » et celles « dévalorisées ». Cette normalisation et la naturalisation de cette violence envers ces personnes rendues vulnérables ne fait que reproduire des vies sans importance et potentiellement jetables.
La hiérarchisation des capacités physiques, cognitives, intellectuelles, comportementales et les inégalités de traitement qui y sont associées sont normalisées, tolérées et perçues comme naturelles en Occident. Le concept de handicap — introduit par le colonialisme(140), et encore utilisé pour tracer les limites de l’inclusion, de la ségrégation, de l’incarcération et de l’accessibilité — faisait partie de ces technologies qui assimilaient de manière obsessionnelle la différence à l’infériorité. Il constitue une constante depuis les premières rencontres coloniales(141). Dr John Gilroy soutient que, selon les peuples autochtones, la notion de handicap a été historiquement mobilisée pour contrôler, institutionnaliser, opprimer et criminaliser ces communautés(142). Ce concept ne reflète d’ailleurs pas leur propre compréhension de la différence. Dr Scott Avery affirme que les pratiques contemporaines d’exclusion et de ségrégation sont typiquement occidentales et coloniales(143), et souligne que les communautés des Premières Nations possèdent de fortes traditions d’inclusion et d’acceptation de la diversité(144) (145). La société occidentale s’est historiquement opposée à toute politique susceptible de soutenir la diversité(146). Colin Barnes note d’ailleurs que des preuves attestent d’un préjugé persistant à l’encontre des personnes handicapées en Occident, bien avant l’émergence du capitalisme(147).
Les discours des État-nations — qui ont classifié les personnes, rationalisé et institutionnalisé la violence et la déshumanisation — sont encore nécessaires pour imposer, normaliser et justifier des hiérarchies de capacité et de valeur entre groupes et communautés. Cette déshumanisation sert encore à justifier et faire accepter la domination et les désavantages envers certains individus comme étant naturels. Paty Berne, Laura I. Appleman et Liat Ben-Moshe rappellent que l’incarcération, l’institutionnalisation et les politiques eugénistes envers les personnes handicapées et racisées étaient au cœur du « projet colonial massif d’expansion de l’Europe occidentale »(148) (149). Daniels-Mayes nous invite à comprendre pourquoi le concept colonial du handicap est l’incarnation d’un « processus de colonisation en cours »(150). Les contextes coloniaux ont marginalisé et stigmatisé les personnes handicapées et les autochtones ; leur subjugation était essentielle à tout projet colonial. La catégorie de handicap n’a pas été seulement construite par le modèle médical pour classifier les capacités de production, elle a aussi servi à différencier et soumettre les « autres » au pouvoir impérial. Stephanie Dawn Kennedy a relevé les intersections entre modernité, handicap, travail, esclavage, et le rôle central du handicap dans la valorisation et la dévalorisation des corps au sein des échanges coloniaux(151). Elle précise que « les concepts de monstruosité, de race, de handicap et d’esclavagisme étaient inextricablement liés pendant la période coloniale »(152). Thicknesse et Long ont ainsi associé la prétendue déviance des Africains à un handicap intellectuel, les décrivant comme une espèce humaine différente(153). David Mitchell et Sharon Snyder ont noté les liens étroits entre colonisation et validisme(154) : « les personnes handicapées sont intimement liées à ce complexe » colonial(155).
Pour comprendre les injustices historiques subies par les personnes handicapées, et leur prolongement dans le monde moderne, il est essentiel, comme l’explique le paragraphe suivant, de reconnaître que « la carcéralité est profondément liée à l’expérience du handicap »(156).
5 – Ne pas occulter l’histoire de la création de l’État carcéral et de l’institutionnalisation
L’incarcération, la vie en institution, en hôpital psychiatrique et les traitements les plus violents ont longtemps été une réalité pour les personnes handicapées(157). Dès le XVIIIe siècle, la responsabilité collective à leur égard a été progressivement transférée vers les institutions, conduisant à l’enfermement d’un nombre croissant d’« aliénés », un phénomène qui s’intensifie au milieu du XIXe siècle. Ce confinement et cette « exclusion spatiale nécessaire pour apaiser l’appréhension de l’inconnu […] ont jeté les bases de notre propre État carcéral moderne »(158). Laura I. Appleman ajoute que les sociétés modernes se sont peu à peu habituées à l’effacement et à l’incarcération de cette population, jusqu’à en faire un modèle mondial. Elle affirme que « la longue traîne de l’eugénisme explique encore nos politiques d’incarcération du XXIe siècle »(159). Vivianne Saleh-Hanna développe une lecture de la colonialité pénale(160) pour expliquer « l’émergence des prisons en Afrique comme une facette intégrante du colonialisme »(161). Cette colonialité pénale entretient des divisions et des stigmatisations, en maintenant les populations pauvres dans une peur mutuelle(162).
Pour comprendre le lien entre la création de l’État carcéral moderne et le handicap, l’exemple des État-Unis — une colonie de peuplement de colons blancs européens — est emblématique. On y observe que « la première incarcération de masse moderne ne concernait pas les délinquants criminels, mais les handicapés »(163) Laura I. Appleman précise qu’ « Au début du XXe siècle, le nombre de personnes incarcérées pour handicap mental, physique ou social dépassait de loin le nombre de personnes incarcérées pour crime »(164). Ces idées persistent : les « héritages coloniaux se répercutent fortement dans les pratiques des agences punitives et dans les processus de criminalisation des populations subalternes »(165). Laura I. Appleman montre que l’enfermement des personnes handicapées — ou de celles jugées inadaptées au système politique — était perçu comme nécessaire à l’émergence des États-nations en Europe(166).
Les conséquences des pratiques eugénistes, punitives et discriminatoires du début du XXe siècle, à l’égard de la différence, se manifestent encore aujourd’hui, dans les relations quotidiennes, dans tous les espaces. Les travaux de Linda Steele et Liat Ben-Moshe figurent parmi les rares contributions académiques explorant les liens entre le handicap, la désinstitutionnalisation et l’abolition des prisons. Laura I. Appleman et Liat Ben-Moshe rejettent la tendance à « sous-estimer les interconnexions entre la construction coloniale de la race et du handicap » et « le rôle central que l’histoire de l’institutionnalisation des personnes qualifiées de handicapées […] a joué dans la création de l’État carcéral »(167). Leurs recherches montrent que le démantèlement des prisons exige une DJ attentive aux dynamiques du colonialisme, du capitalisme racial et du validisme — qui sont les fondements mêmes de l’État carcéral(168).
Si ce mémoire vise à rendre visibles les populations les plus marginalisées et criminalisées, ainsi que leurs difficultés persistantes à accéder à leurs droits fondamentaux, le paragraphe suivant s’attache à identifier les politiques ayant renforcé ou maintenu ce statu quo des violences structurelles. Il interroge également les facteurs qui ont permis que tant de personnes handicapées aient pu être exterminées il y a moins d’un siècle. Est-ce que ce passé est terminé ? Est-il encore présent ? Ces méthodes d’exécution ont-elles vraiment disparu ?
6 – Reconnaître la continuité de la logique eugéniste dans le présent
Les personnes handicapées ont été les cibles de l’eugénisme parce qu’elles représentaient une « « menace sérieuse pour l’avenir de la société », de la race et de la civilisation elle-même »(169). Le terme « eugénisme » est un mot que l’on entend rarement, alors que nous sommes immergés dans son héritage. Fiona Kuari Campbell décrit « l’eugénisme moderne de « plus insidieux et plus secret » et vise à contraindre les individus à se contrôler ou à se gérer eux-mêmes dans le cadre de systèmes et de présupposés validistes »(170). La stérilisation(171), l’institutionnalisation, l’incarcération,… nous montrent que l’eugénisme est toujours présent. Certains parlent de ce passé eugéniste comme un événement qui n’a jamais pris fin. Livneh suggère que cette compréhension de l’origine de ces attitudes négatives, et des nombreux préjugés, est fondamentale pour aider de nombreux professionnels dans la gestion des sentiments des personnes handicapées, tout en travaillant à changer les attitudes de la société(172). Cette compréhension doit constituer une base de production de savoirs, pour rendre ces dynamiques intelligibles et œuvrer à leur transformation.
L’eugénisme a renforcé les politiques d’exclusion, continue d’infliger des préjudices, et perpétue ces idéologies d’altérité et d’infériorité dans les sociétés contemporaines. Levi précise que ses formes actuelles incluent l’empêchement des « personnes handicapées de se reproduire ou de naître »(173), leur isolement, leur exclusion, leur internement et leur placement en institution — qui, dans les cas extrêmes, conduisent à leur meurtre(174). L’éducation spécialisée est critiquée pour ses fondements eugénistes: elle institutionnalise la séparation des élèves handicapés, normalise la violence structurelle et perpétue les inégalités d’accès aux opportunités d’épanouissement. Kliewer et Drake montrent que les « professions de contrôle »(175), telles que les « programmes d’éducation spéciale ségréguée »(176), trouvent leur origine dans la science eugéniste, qui postule que « la différence doit être stigmatisée, contenue et éliminée de la communauté »(177). Ces préoccupations ont historiquement justifié la ségrégation. Selon la CDPH, ces institutions ne devraient pas exister, ni être envisagées comme un choix. Michael Robertson et al. précisent que le validisme structurel ou institutionnalisé des personnes handicapées se manifeste dans l’incapacité de la société à répondre à leurs besoins les plus fondamentaux(178).
Esme Cleall nous invite à nous recentrer sur les angoisses d’appartenance et les politiques de race, tout au long du XXe siècle, pour comprendre cette montée de l’eugénisme et l’impact qu’il a eu sur les personnes à la fois handicapées et racisées(179). Cet eugénisme a servi à justifier les ambitions expansionnistes « par l’attribution d’une infériorité physique et intellectuelle à celles et ceux considérés comme « autres » »(180). Georgia van Toorn et Karen Soldatic précisent que, « pour assurer l’avenir des colonies, de la nation et de l’empire »(181), les personnes handicapées, pauvres, racisées, noires et autochtones nécessitaient des « contrôles démographiques eugénistes »(182) pour renforcer « les inégalités liées à la classe, au handicap, à la race, à l’ethnicité et à l’indigénéité »(183).
Marius Turda, historien de l’eugénisme et de la race, rappelle que les personnes handicapées, « considérées comme représentant une humanité différente et moins capable, ont été institutionnalisées dans des « écoles spéciales », et des « colonies », puis soumises à des programmes éducatifs spécifiques ». Il souligne l’immense responsabilité des psychologues dans la mise en place des politiques eugénistes. Le modèle médical, l’exclusion, l’endoctrinement et les attitudes eugénistes qu’il a engendré, ont installé un cycle de dépendance dont il est très difficile de se libérer. Le modèle médical a aussi contribué « au manque de soutien communautaire »(184). Marius Turda insiste sur le fait que cet endoctrinement est profondément enraciné dans la société. Il plaide pour une reconnaissance publique des torts passés, et une sensibilisation appropriée de la société, « afin que nous puissions prévenir les mauvais traitements dans le présent »(185). Il appelle également à un engagement dans le « développement de nouvelles façons de penser et de traiter chaque personne avec dignité et respect, à égalité avec les autres »(186). Là encore, une séparation artificielle entre le passé et le présent, qui exonère nos systèmes de toute forme de responsabilité, qui efface et ignore l’histoire, n’est pas une voie vers la décolonisation.
Un exemple d’élimination récent des personnes handicapées, et l’un des plus marquant de l’histoire du handicap, est le projet d’extermination de Krankenmorde, il y a moins d’un siècle(187). Ce programme d’euthanasie, sous le régime nazi, conduira à l’élimination de 300 000 personnes et à la stérilisation de 400 000 autres. En France, sous l’Occupation, 40 000 personnes sont mortes dans les hôpitaux psychiatriques(188). Michael Robertson et al. précisent que pour parvenir aux objectifs du Krankemorde(189), la mise en œuvre préalable de violences structurelles — médicales, sociales, économiques et éducatives — a été déterminante(190). Si la prise en compte de cette extermination des personnes handicapées est très récente, les historiens continuent de débattre sur les liens complexes entre l’holocauste et le rôle central du Krankenmorde(191). David Mitchell et Sharon Snyder insistent sur le rôle central du handicap « dans tout effort visant à comprendre la nature et les mécanismes de l’Holocauste nazi »(192). Les processus d’extermination, pratiqués dans les camps de la mort, ont d’abord été testés et expérimentés sur les personnes handicapées. Cet « acte extrême de validisme », rarement qualifié de génocide, n’a été pleinement intégré à la conscience historique que récemment. David Mitchell et Sharon Snyder expliquent cette prise de conscience tardive, jusqu’à récemment, du fait de l’absence d’un modèle social du handicap, qui « a laissé cette population embourbée dans des modèles de pathos et de tragédie développés pendant l’ère de l’eugénisme »(193). Cette incapacité persistante à reconnaître la valeur de ces vies explique aussi pourquoi les violences subies par les personnes handicapées sont longtemps restées à la marge du récit historique. Contrairement à l’indignation généralisée envers les persécutions du régime nazi et ses alliés d’Europe, le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées affirme(194) que la responsabilité des pratiques eugénistes nazies du meurtre d’environ 300 000 personnes handicapées et « l’importance du mouvement eugéniste et son impact sur la façon dont les sociétés continuent de rejeter la valeur de la vie des personnes handicapées sont longtemps restées confinées dans les cercles du handicap »(195). Le rapport conclut que « l’hégémonie du validisme dans la société a perpétué l’idée selon laquelle vivre avec un handicap n’est pas une vie qui vaut la peine d’être vécue »(196), ce qui limite l’inclusion et les opportunités de ces personnes à participer à la société. Cela contribue à maintenir la compréhension du handicap à travers une lentille médicale, qui considère ces personnes comme nécessitant une guérison pour pouvoir participer à une société qui continue à privilégier un type de corps et d’esprit qui aurait une « utilité sociale ».
Pour comprendre le lien entre les différents sites institutionnels, Chris Chapman, Alison Carey et Liat Ben-Moshe analysent les transformations survenues avec l’avènement du capitalisme industriel et ses exigences croissantes en matière de main-d’œuvre. Des programmes ont été attribués aux populations considérées comme inaptes au travail. Ces dispositifs reposaient sur des formes de détention et d’isolement institutionnel, souvent dans des conditions inhumaines, destinées à illustrer l’abjection et la honte associées à la dépendance(197). L’interdépendance y était perçue non pas comme une forme de solidarité, mais comme une marque de faiblesse. Ces conditions ignobles servaient de mise en garde et dissuadaient toute déviation du modèle productiviste dominant. La pauvreté et l’incapacité de travailler étaient comprises comme une douleur. Ces conditions étaient suffisamment ignobles pour que le travail salarié soit le plus attrayant possible. La tâche revenait aux professionnels de l’éducation, de la psychologie et des soins, de « trier » les populations valides et non valides. Michel Foucault écrivait en 1988: « Avant d’avoir le sens médical qu’on lui donne, ou du moins qu’on aime lui supposer, l’enfermement était exigé par quelque chose de bien différent de tout souci de guérir les malades. Ce qui l’a rendu nécessaire, c’est un impératif de travail »(198).
Lorsque ces inégalités historiques sont profondément enracinées et maintenues par une culture institutionnelle, nous devons nous demander comment « l’appareil du handicap », et la façon dont il a été utilisé pendant des siècles, continue d’entretenir des attitudes validistes et des préjugés persistants. Pour reconnaître l’omniprésence de ces structures et des systèmes oppressifs au sein de la société, nous devons en comprendre ses racines historiques, identifier les antécédents de ces violences, et leur continuité dans le présent. Beaucoup reconnaissent que la fin de l’incarcération disproportionnée des personnes handicapées et racisées nécessite l’élimination du validisme et de toute forme de subordination et de stigmatisation autour du handicap. Liat Ben-Moshe nous demande d’aborder la question du handicap, et de son incarcération, d’un point de vue intersectionnel(199). Jess Whatcott détaille pourquoi de nombreux abolitionnistes considèrent que « la détention est un eugénisme »(200). Angela Davis nous rappelle que « les pratiques carcérales sont si profondément ancrées dans l’histoire du handicap qu’il est effectivement impossible de comprendre l’incarcération sans s’intéresser également à l’enfermement des personnes handicapées »(201). Dans cette lignée, Ruth Wilson Gilmore a analysé le rôle du validisme dans le maintien de l’État carcéral, en développant l’idée que la marginalisation et l’incapacité politique des personnes handicapées, constitue l’un de ses objectifs fondamentaux(202). Parce que les personnes handicapées racisées, noires et autochtones, sont incarcérées de manière disproportionnée, il est impératif d’intégrer la question raciale dans toute analyse du handicap. Cela suppose de reconnaître que la suprématie blanche et le validisme sont des systèmes d’oppression si étroitement liés qu’ils ne peuvent être analysés séparément(203). « Partout dans le monde, des groupes marginalisés souffrent de surincarcération racialisée en raison du colonialisme »(204).
Un déracinement collectif des idéologies eugénistes et une transformation en profondeur de nos structures sociales s’imposent comme des conditions nécessaires à l’atteinte de la justice sociale. Dans une optique de justice climatique, il est tout aussi essentiel d’interroger la manière dont ces héritages eugénistes façonnent nos orientations politiques et nos choix stratégiques face au changement climatique. En raison de la continuité de ces violences historiques, « des appels à la responsabilité et à des réparations en réponse aux injustices commises contre les personnes handicapées commencent à se faire plus entendre »(205). Le cas de la France, leader en matière de ségrégation en Europe(206), souligne l’urgence de revisiter son passé eugéniste et les institutions qui en sont issues, afin de penser un changement systémique et forger de nouveaux cadres analytiques. Il ne sera pas possible de réaliser une véritable justice sociale sans intégrer une compréhension critique de ce passé, et sans reconnaître la manière dont de nombreux espaces continuent d’exclure et de marginaliser les voix « précieuses » des personnes handicapées, en les maintenant dans des sphères séparées. Il faut également abolir les institutions prétendument dédiées à la justice sociale qui, en réalité, contribuent à la disparition des populations marginalisées. Résister à l’eugénisme, c’est remettre en question ces pratiques eugénistes, qui visent à effacer les personnes handicapées, en s’opposant à la logique « selon laquelle les handicapés et les fous sont destinés à disparaître »(207). Les premières classes spécialisées pour les enfants qualifiés de « handicapés », mises en place à la fin du XIXe siècle, en lien direct avec l’essor du mouvement eugéniste, témoignent de cette logique d’exclusion: « le programme d’enseignement spécial séparé est donc né de la science de l’eugénisme et était en fin de compte un programme de contrôle »(208).
Il devient alors impératif de remettre en question les croyances persistantes qui considèrent le handicap comme un problème individuel isolé. Les personnes handicapées, longtemps objectivées par les institutions, doivent être pleinement reconnues comme des actrices à part entière. Elles doivent être habilitées et encouragées à intervenir dans les processus de prévention, de réparation et de transformation des violences systémiques qu’elles subissent. Repenser et redéfinir la justice à partir de leurs voix et de leurs expériences, représente non seulement un impératif éthique, mais une opportunité de transformation pour l’ensemble de la société.
7 – Atteindre l’égalité épistémique pour parvenir à la justice sociale et climatique
Le handicap est longtemps resté un aspect ignoré de la justice sociale, il est encore assimilé à un état médical, et mis à l’écart par les théoriciens critiques et les militants sociaux. En tant que « sujets de recherche » et participantes à la recherche, les personnes handicapées ont été si longtemps exclues, que leurs perspectives et leurs besoins sont encore très largement ignorés, dans de nombreux espaces. Leur « moindre productivité » ne peut plus justifier la remise en question de leur production de connaissance. Reprenant les principes de la théorie de la justice sociale de Nancy Fraser, tout en notant l’oubli d’y avoir intégré la dimension du handicap, Teodor Mladenov démontre qu’une société ne peut être considérée comme juste, seulement lorsqu’elle peut garantir à tous ses membres une « parité de participation »(209). Il insiste sur la nécessité de recentrer le handicap au cœur des débats sur la justice sociale, appelant à le considérer non comme une problématique périphérique, mais comme un axe central d’analyse et d’action(210). Il précise que « la catégorie de handicap est un instrument majeur utilisé par l’État capitaliste pour réguler l’offre de travail dans l’intérêt de l’accumulation du capital »(211). Cette idée de « parité de participation » est essentielle pour un groupe historiquement invisibilisé. Elle constitue un fondement à partir duquel il devient possible de construire une justice sociale véritablement inclusive et culturellement pertinente. Le préambule de la CDPH rappelle d’ailleurs la nécessité de reconnaître les contributions des personnes handicapées à leurs communautés, tout en affirmant qu’elles sont également capables de faire progresser l’ensemble de la société. Un modèle fondé sur les droits des personnes handicapées doit affirmer le principe contre-hégémonique qui porte l’idée que les personnes handicapées ont la possibilité de contribuer à la production d’un savoir unique dans le système épistémique. Cela implique une remise en question des cadres épistémiques dominants sur lesquels la société repose, et qui « ne peuvent être maintenus que par les groupes dont les membres individuels disposent de ce pouvoir »(212).
Nirmala Erevelles souligne le rôle fondamental que jouent les personnes handicapées dans le travail épistémique « sur le terrain », « dans la vie réelle », « dans l’activisme incarné » et « dans l’érudition ». Elle insiste sur l’importance cruciale du travail intersectionnel, en veillant à rendre visible le labeur épistémique nécessaire pour que le handicap ne soit ni effacé, ni subsumé sous d’autres catégories, mais compris dans toute sa complexité intersectionnelle(213). De même, Robel Afeworki Abay défend la nécessité impérieuse d’aborder le validisme structurel à partir d’une perspective intersectionnelle(214), et de tenir compte de l’interdépendance de cette oppression avec d’autres discriminations structurelles comme le racisme et le sexisme. Dans le contexte actuel, marqué par une montée des préoccupations relatives à l’effacement des savoirs issus des populations les plus exposées à la marginalisation, il devient essentiel de s’interroger sur les mécanismes de production du savoir. Lutter contre la discrimination intersectionnelle dans la fabrication hégémonique des connaissances s’avère fondamental pour dénoncer et déconstruire la violence épistémique(215).
Dès 2006, Christopher Bell soulignait l’absence d’analyse intersectionnelle des « White Disability Studies », et l’effacement épistémique des communautés multi-marginalisées qu’elles engendraient dans leur tendance « à blanchir l’histoire, l’ontologie et la phénoménologie du handicap »(216). Il nous montrait l’importance de ne pas suivre les perspectives dominantes et revisiter le passé. L’accent mis sur une seule oppression, comme le handicap, marginalise certaines communautés qui doivent lutter pour surmonter des violations de droit, au sein même du mouvement pour les droits des personnes handicapées. Aborder le handicap, sans tenir compte de ces dimensions croisées, ne permet pas de rendre compte de la complexité, de la diversité, de l’étendue de la violence vécue par ces personnes et leur résistance quotidienne contre les systèmes de domination qui cherchent à les effacer. Cette stratégie « axée sur un seul problème, et fondée sur les droits, « s’attaque aux symptômes de l’inégalité, mais pas à sa racine » »(217). Le gaslighting, normalisé par le modèle médical, masque l’interdépendance entre les multiples oppressions, et nous empêche de comprendre pourquoi « la suprématie blanche, la culture du viol et la reproduction des hiérarchies capitalistes dans l’organisation prospèrent toutes grâce au validisme »(218). Ces dynamiques démontrent que « la suprématie blanche, le colonialisme, le validisme et le capitalisme » sont intimement liés(219). Les travaux des féministes noires sur le handicap(220) ont joué un rôle central dans la mise en lumière du fait que « le validisme sous-tend, dépend et réifie toutes les autres oppressions »(221). Ils nous aident aussi à comprendre que « la décolonisation reconnaît l’interdépendance des groupes opprimés par le colonialisme »(222). Enfin, il est crucial de distinguer les perspectives relationnelles — communautaires ou spirituelles, sur le handicap — portées par de nombreuses communautés du Sud global(223), des cadres libéraux dominants du Nord global, souvent inadéquats pour penser l’interdépendance, car « façonnés par l’héritage colonial »(224) et ancrés dans « le modèle médical du handicap, qui met l’accent sur les déficiences individuelles »(225).
La DJ insiste sur l’importance du leadership des personnes handicapées les plus concernées dans les débats sur la justice sociale, afin que leur expertise guide les actions à mener. Elle nous pousse à comprendre, à travers une lentille intersectionnelle, que les personnes situées à l’intersection de multiples identités, subissent de manière disproportionnée les effets des inégalités structurelles — et non de façon uniforme. Elle souligne les limites des approches à axe unique dans les situations sociales complexes. Le Conseil de l’Europe reconnaît que « la discrimination intersectionnelle est l’un des principaux problèmes qui ne sont toujours pas résolus dans le monde »(226). Des principes clés des théories des Subaltern Studies et de l’intersectionnalité ont émergé pour garantir que les questions sur l’effacement soient posées de manière permanente, en identifiant systématiquement les groupes absents des espaces discursifs. Nous devons résister et ne pas nous habituer à l’absence de ces voix qui ne sont pas souvent entendues. Elles alimentent des pratiques et des systèmes qui les excluent sans même s’en rendre compte. L’acceptation réelle de la diversité humaine — et les moyens concrets pour y parvenir — est un aspect fondamental de la justice sociale. Les débats sur la justice climatique et sociale ne peuvent aboutir sans prendre en compte la complexité de cette diversité, dans toutes ses dimensions(227).
« Au cœur de la décolonisation se trouve, entre autres, la question de la justice épistémologique »(228). Ngũgĩ wa Thiong’o et Frantz Fanon ont montré comment le colonialisme a façonné la persistance des injustices systémiques, notamment envers les personnes handicapées(229). Le projet décolonial vise à reconnaître et valoriser les subjectivités et les savoirs longtemps ignorés. Miranda Fricker a défini l’injustice épistémique comme « la dévalorisation ou l’exclusion systématique de certaines voix et de certains systèmes de connaissances »(230). Les solutions qui ne s’attaquent pas aux causes profondes de cet héritage continu des inégalités, sont garantes du maintien et de la normalisation de ces injustices. Le thème central des discussions contemporaines sur la justice épistémique, et l’égalité dans la production de connaissance, exigent de démanteler les violences culturelles et structurelles, pour surmonter cette oppression épistémique. Les personnes handicapées ont la capacité de révéler ces violences invisibles, si leurs ontologies et leurs épistémologies cessaient d’être objectivées et dévalorisées. Sans comprendre comment ces violences ciblent certaines populations, leur éradication est impossible. Si nous ne comprenons pas comment la production de connaissances est impactée par la colonialité de l’être, du savoir et du pouvoir, ni comment les institutions coloniales travaillent constamment à dissimuler ces violences, alors nous serons mal équipés pour examiner comment ces préjudices systémiques se reproduisent. La justice épistémique, en tant qu’outil critique, vise à libérer la raison elle-même de la colonialité (231). Elle nous pousse à reconnaître notre dépendance aux cadres épistémiques dominants. Dans cette perspective, la justice climatique doit reconnaître la colonialité climatique comme un enjeu politique majeur, exigeant une décolonisation des savoirs. Il ne s’agit pas d’un simple défi technique, mais d’un problème profondément enraciné dans les inégalités structurelles.
Ce rappel de l’histoire du handicap, et une approche structurelle de cette oppression, peuvent constituer une base essentielle pour s’engager dans la justice transformatrice, qui comprend la violence comme une « responsabilité collective »(232). Parce que l’analyse structurelle de cette oppression est très difficile et très mal comprise, pour les personnes qui n’en sont pas impactées, il est urgent d’admettre comment la résistance des personnes handicapées fonctionne comme un outil pour contrer ces oppressions structurelles. Cette théorie incarnée — ou l’amour décolonial(233) — peut nous aider à rendre concrète la décolonialité et la libération(234). La justice transformatrice n’est donc pas envisageable sans replacer les personnes handicapées au centre des réflexions et des actions. L’invisibilisation du validisme, y compris dans les milieux dits « progressistes », alimente un cycle de violences continues(235). Angela Davis et al. dénoncent la dépendance des milieux anti-violence dominants aux sanctions punitives(236), qui renforcent le système carcéral au lieu de le remettre en cause. Cette addiction à la justice punitive rend la détection des racines de la violence difficile. Adrienne Maree Brown nous invite à imaginer des formes de responsabilisation mutuelle dépassant cette logique punitive : « Le jugement et la punition instantanés sont des pratiques de pouvoir sur les autres. C’est ce que font ceux qui détiennent le pouvoir »(237). « L’abolition consiste à donner aux gens ce dont ils ont besoin au lieu de les punir pour ce qu’ils n’ont pas »(238).
Sans être mentionné de manière explicite, les croisements de pouvoir traversent toutes les relations — des pratiques institutionnelles aux gestes individuels(239) (240). Ces « catégorisations sociales, souvent combinées, […] servent de fondement à l’inclusion et à l’exclusion. »(241) Hong, Duggan et Ferguson ont montré que « l’ascension du libéralisme, en tant que politique et épistémologie, est liée à l’incorporation de la différence minoritaire »(242). Ces dynamiques de pouvoir et d’exclusion nous invitent à repenser nos cadres d’analyse, notamment à travers des approches intersectionnelles, abolitionnistes et décoloniales, qui proposent d’autres manières d’appréhender la différence — comme le font les philosophies Ubuntu et Botho dans les études du handicap du Sud global.
8 – Un exemple de décolonisation des études sur le handicap : la philosophie Ubuntu et Botho
La vie de plus de 75% de la population du monde majoritaire est encore marquée par le colonialisme et l’eugénisme occidental(243). Des spécialistes du handicap comme Helen Meekosha, Shaun Grech et Karen Soldatic, ont mentionné la violence du Nord global, et défendu l’importance d’une approche transnationale pour reconnaître que la prépondérance du handicap dans le Sud global « est fermement lié à l’impérialisme du Nord, à des siècles de colonisation et de mondialisation »(244). Si le handicap est une construction occidentale(245), l’ironie historique est que les perspectives et les voix de la majorité mondiale marginalisée, qui en sont les plus impactées, sont encore largement négligées. Bien que définies comme arriérées par les préjugés eurocentriques dominants, leurs perspectives, souvent méconnues, peuvent combler les « lacunes » des théories occidentales. La décolonisation des études sur le handicap nous invite à dépasser les épistémologies occidentales. Shakespeare et Cornell ont fait valoir(246) la nécessité de tenir compte du point de vue et des ressources des sociétés postcoloniales, en soulignant l’impact durable des rapports de pouvoir mondiaux. Intégrer ces perspectives permet de contrer les dynamiques coloniales persistantes et de construire des stratégies mieux adaptées aux réalités du Nord et du Sud global. Prendre en compte les expériences du monde majoritaire marginalisé dans nos réflexions quotidiennes est essentiel pour comprendre les effets continus du colonialisme et les implications des fondements eurocentriques du handicap. Une telle approche aide à remettre en question les normes imposées par la colonialité, le modèle médical occidental et le néolibéralisme. Il nous importe de comprendre la résilience et les stratégies de survie que les populations autochtones ont développées pour faire face au colonialisme, comment elles sont parvenues à composer avec ces étiquettes de handicap, pour nous opposer à cette compréhension coloniale de la différence.
Les philosophies Ubuntu et Botho, ancrées dans des valeurs de compassion, de respect et de soin envers les plus marginalisés, contrastent fortement avec les approches éducatives occidentales fondées sur l’individualisme, la compétition et l’autonomie individuelle. Le modèle médical dominant du handicap, malgré certaines avancées, reste inadéquat face aux réalités des populations du Sud. La CIF, qui combine les perspectives sociales et médicales du handicap, échoue à intégrer les contextes socioculturels spécifiques. Olivier Mutanga explique pourquoi l’absence d’approches intersectionnelles et décoloniales du handicap limite la compréhension des effets persistants du colonialisme sur les personnes handicapées en Afrique subsaharienne. Il explique l’intérêt de la philosophie Ubuntu, originaire de cette région, en offrant un cadre puissant pour répondre aux désavantages intersectionnels, notamment dans l’enseignement supérieur. Cette philosophie valorise la responsabilité collective, l’interdépendance et l’inclusion sociale. Elle offre un socle stratégique pour soutenir les personnes handicapées dans les contextes du Nord et du Sud global.
Concernant l’université, Olivier T. Gore insiste sur l’importance d’un environnement où les étudiants peuvent parler librement de leur handicap, une condition nécessaire à un soutien adéquat. La philosophie Ubuntu invite à transformer les structures éducatives pour les rendre accessibles, à créer des espaces de sécurité, et à reconnaître la contribution essentielle des étudiants handicapés à la qualité de l’enseignement. Elle encourage un comportement éthique et solidaire dans le monde universitaire, un comportement qui nécessite de soutenir en priorité les personnes handicapées. Ce principe encourage les responsables et enseignants universitaires à pratiquer un des principes de la philosophie Ubuntu : l’existence à travers les autres.
« Le colonialisme a profondément influencé la perception du handicap en Afrique, avec des conséquences importantes pour les personnes handicapées »(247). Olivier T. Gore observe que les modèles médicaux et sociaux du handicap n’ont pas amélioré la vie des étudiants handicapés. Il montre comment la philosophie Ubuntu permet de révéler les désavantages intersectionnels qui affectent les étudiants et appelle à un soutien et à une attention suffisants pour que leurs besoins soient pris en compte. Cette approche permet aux enseignants et administrateurs universitaires de comprendre leur responsabilité dans la lutte contre les multiples formes d’exclusions qui touchent les étudiants handicapés(248). De Oliveira établit le même constat dans ses recherches sur les expériences d’étudiants handicapés d’une faculté de médecine au Brésil(249). Andoh et Nketsiaba rappellent que l’éducation est essentielle pour permettre aux personnes handicapées de surmonter les inégalités et contribuer à transformer la société(250). Pour Rankopo et Diraditsile, la philosophie Botho est une philosophie fondamentale de la culture africaine. Elle a permis d’assurer la capacité des membres à rendre des comptes les uns envers les autres. Ils insistent également sur l’importance de sensibiliser la société aux désavantages structurels qui marginalisent encore davantage les personnes handicapées(251).
Si la philosophie Ubuntu permet de concevoir le handicap au prisme de la relation, de la dignité partagée et de la communauté, elle ouvre également la voie à une compréhension et une interrogation plus large sur les mécanismes de co-construction des oppressions. C’est à cette analyse des dynamiques croisées de pouvoir et de domination, pour éviter toute les formes d’essentialisation, et les compréhensions rigides de l’« autre », que s’attache le paragraphe suivant.
9 – Comprendre la collusion et l’interdépendance entre le handicap et d’autres oppressions
Comme l’affirment de nombreux universitaires, le validisme n’est pas un système d’oppression isolé, ni une oppression « de plus », mais une structure fondatrice des hiérarchies sociales modernes. Étroitement lié au racisme, au sexisme, au colonialisme, etc., il a été un outil de hiérarchisation coloniale et raciale. Les corps racialisés ont été historiquement déshumanisés par leur animalisation et leur pathologisation. Au cœur même du capitalisme, de l’eugénisme et de l’État-nation moderne, il éclaire les dynamiques d’exclusion et la valorisation de certains corps. Le retard dans sa reconnaissance en tant que structure de pouvoir à déconstruire, a produit des angles morts et limité l’efficacité de nombreux mouvements. L’interdépendance des oppressions met au défi les groupes marginalisés de dépasser les cloisonnements et les hiérarchies entre les luttes. Ce sont ces barrières insidieuses du colonialisme qui paralysent l’action collective et la prise de conscience de l’interconnexion des oppressions. Il est suggéré que « ces différents aspects des inégalités sociales ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres ; ils interagissent pour créer des systèmes interdépendants d’oppression et de domination »(252).
L’intersectionnalité désigne la manière dont ces systèmes se croisent pour créer et façonner des structures sociales complexes. Le refus de reconnaître cette interdépendance est aujourd’hui de plus en plus perçu comme une forme de violence sociale. Le féminisme intersectionnel reconnaît les liens entre les inégalités de genre et d’autres formes d’oppression, telles que le validisme ou le racisme, affirmant « la nécessité de s’attaquer à ces systèmes de discriminations croisées »(253). Nirmala Erevelles a souligné que « l’omission du handicap comme catégorie essentielle dans les discussions sur l’intersectionnalité a des conséquences désastreuses, voire mortelles, pour les personnes handicapées de couleur, prises au piège de la violence de multiples différences »(254). Cette omission est également préoccupante dans les débats sur le changement climatique, où les désavantages intersectionnels sont souvent ignorés. Au sein de l’Union Européenne, les victimes de ces désavantages ne peuvent toujours pas bénéficier de protection, en violation flagrante de l’article 6 de la CDPH. Bien que la notion d’intersectionnalité gagne en reconnaissance, le manque de données sur les discriminations croisées reste un obstacle majeur à l’échelle européenne(255).
En 2013, Kaijser et Kronsell reconnaissent la sous-représentation à tous les niveaux de certains groupes dans les prises de décision concernant les questions climatiques. Elles plaident pour une approche sociale et politique du changement climatique, en intégrant des perspectives intersectionnelles capables de prendre en compte les structures sociales, les représentations symboliques et les constructions identitaires, afin d’éviter les « pièges de l’essentialisation »(256) et favoriser « la solidarité et l’action au-delà des catégories sociales »(257). Elles considèrent qu’une approche intersectionnelle du changement climatique doit avoir pour mission centrale de reconnaître l’interdépendance entre « l’amélioration des conditions de vie des groupes marginalisés et la durabilité environnementale »(258). Elles s’appuient notamment sur une définition reconnue de l’intersectionnalité : « l’interaction entre le genre, la race et d’autres catégories de différences dans les vies individuelles, les pratiques sociales, les arrangements institutionnels et les idéologies culturelles, ainsi que les conséquences de ces interactions en termes de pouvoir »(259).
Les schémas de pouvoir sont façonnés par les politiques et les stratégies climatiques. Une perspective intersectionnelle ne doit pas seulement permettre d’analyser les effets différenciés du changement climatique sur les populations qualifiées ou rendues « vulnérables », mais aussi interroger les normes implicites et les présupposés considérés comme « allant de soi », qui contribuent à la (re)production des hiérarchies sociales et des rapports de pouvoir — notamment à travers les mécanismes institutionnels. L’absence d’une approche intersectionnelle dans l’élaboration des politiques climatiques risque d’engendrer de nouvelles dynamiques de pouvoir, voire d’aggraver les inégalités existantes et les violences structurelles. Cela pourrait marginaliser davantage encore les individus et groupes déjà privés de pouvoir décisionnel. Pourtant, cette dimension reste encore largement sous-étudiée(260).
L’intersectionnalité possède une histoire riche et ancienne, enracinée dans les luttes de libération des femmes noires et autochtones — depuis le célèbre discours de Sojourner Truth en 1851 jusqu’à la déclaration du Combahee River Collective en 1977(261). Les féministes noires ont du effectuer ce travail exigeant, qui consistait à théoriser l’oppression depuis de multiples ancrages : le genre, la classe sociale, la race, la sexualité, le handicap… Kimberley Crenshaw, à qui l’on attribue l’invention du terme « intersectionnalité », a souligné les tensions croissantes au sein des mouvements sociaux fondés sur des politiques identitaires uniques. Ces approches ignorent encore les différences au sein même des groupes marginalisés. Certains groupes marginalisés ne comprennent toujours pas le handicap comme une construction sociale et l’interprètent encore à travers des notions hégémoniques de normalité, le réduisant à une réalité uniquement biologique, dénuée de dimensions politique, sociale, ou historique.
Crenshaw a montré, dès 1991, que les approches axées sur une seule identité bénéficient en priorité à celles et ceux qui sont les plus privilégiés au sein même des groupes opprimés(262). Un cadre intersectionnel vise à montrer que les oppressions ne sont pas simplement additives, elles interagissent de manière unique selon les contextes. Ce cadre est précieux pour visibiliser des facteurs pertinents, dans un contexte spécifique parfois très complexe, dans lequel une personne évolue. Il cherche à comprendre quelles sont les identités qui sont mis en avant et quelles sont celles qui sont invisibilisées et absentes, dans le contexte étudié. Cela suppose une lecture fine des structures de pouvoir en jeu. Un des grands défis de l’intersectionnalité consiste à rendre ces dynamiques de pouvoir visibles(263), afin d’en révéler les mécanismes d’effacement et d’oppression à l’égard des groupes minorisés. En exposant ces logiques systémiques, l’intersectionnalité fournit des outils pour identifier, contester et transformer les rapports de pouvoir. Elle rejette les approches binaires de l’oppression, préférant des méthodes d’analyse complexes, capables de dévoiler les formes invisibles de privilèges et les croisements d’oppressions — qu’ils soient historiques ou contemporains. Ce cadre peut, par exemple, servir à analyser et identifier les inégalités systémiques qui touchent de manière spécifique certaines communautés, les rendant plus vulnérables aux aléas climatiques. Pour concevoir des politiques inclusives, prévenir les catastrophes, et garantir que toutes les voix soient entendues, les responsables doivent reconnaître les facteurs structurels qui accentuent la vulnérabilité de certains groupes, en raison de leur position dans les hiérarchies sociales. L’invisibilisation des personnes handicapées dans les discours sur la justice climatique ne relève pas simplement d’un oubli, mais d’un long processus politique ancré dans des normes sociales dominantes. Comprendre la portée de ces impacts sur les groupes marginalisés, requiert une attention particulière sur ces systèmes de pouvoir qui ont été construits, maintenus, et perpétués sur de très longues périodes.
L’intersectionnalité est un outil analytique essentiel pour comprendre les inégalités sociales et lutter contrer l’effacement épistémique du handicap. Comme d’autres catégories sociales, le handicap subit des préjugés qui s’efforcent d’exclure la différence et de marginaliser les individus concernés. Les noms utilisés pour nommer les personnes porteuses de certaines formes de déficiences, ont une influence négative sur les personnes ciblées et les éloignent de la société. L’altérité est une attitude négative qui nie l’humanité d’autres personnes qui sont souvent dépourvues de dignité, dévalorisées, et discréditées par les normes corporelles qui respectent un développement « typique ». Une approche intersectionnelle nous demande de nous recentrer sur ces personnes qui sont les plus effacées, et qui sont contraintes de vivre aux marges les plus extrêmes de la société. L’intersectionnalité nous demande d’éviter les généralités ou toute forme de simplification qui présenterait une position située, et les savoirs générés, « comme un aspect universel »(264). La spécificité de ces savoirs incarnés découle d’une position unique au sein de la société, d’un contexte ou d’un lieu spécifique, et « peuvent s’avérer précieux pour aborder les questions liées au changement climatique »(265). Ils nécessitent de « remettre en question les prétentions universelles à la production de savoir »(266).
C’est dans cette perspective de valorisation des savoirs « de communautés largement marginalisées, traditionnellement absentes de la recherche »(267), et de remise en question des cadres normatifs dominants, que la théorie DisCrit(268) s’avère particulièrement pertinente. En articulant les critiques du racisme et du validisme, elle permet d’interroger en profondeur les mécanismes systémiques d’exclusion présents dans les institutions éducatives, et de mettre en lumière les expériences souvent invisibilisées des élèves à la fois handicapés et racisés. Ce sont ces mêmes élèves « qui ont été poussés à l’extérieur de l’effort éducatif par le discours et les pratiques de classes spéciales séparées »(269).
10 – Discrit : un cadre pour repenser l’éducation et les injustices depuis les marges
Le cadre de la justice climatique offre une grille de lecture essentielle pour comprendre comment les inégalités sociales, économiques et environnementales se croisent et se renforcent mutuellement, en particulier pour les personnes affectées par des désavantages intersectionnels liés à la race, au genre, au handicap, etc. Annamma, Connor et Ferri interrogent en profondeur les logiques systémiques d’exclusion au sein des politiques éducatives prétendument inclusives. Ils démontrent comment le handicap et la race sont coconstruits dans des contextes de pouvoir, en révélant l’effacement constant des voix subalternes dans les discours dominants sur l’inclusion. Transposé dans le contexte italien, ce cadre théorique est repris et adapté par Valentina Migliarini et al., qui mettent en lumière les mécanismes similaires de marginalisation dans les politiques éducatives, en y intégrant les spécificités du système scolaire et des dynamiques migratoires locales, en lien avec le changement climatique.
En mobilisant ces travaux dans une perspective de justice climatique, ce mémoire propose de déplacer le regard sur l’éducation inclusive, non plus comme une finalité consensuelle, mais comme un terrain de luttes où se rejouent des rapports de pouvoir profondément ancrés, trop souvent invisibilisés dans les récits institutionnels dominants. Les sept principes de DisCrit ont l’avantage de révéler « comment les communautés marginalisées résistent de diverses manières à la suprématie blanche. […] Le travail ancré dans DisCrit s’engage à reconnaître les valeurs et les dons de ces communautés »(270). DisCrit admet que « les actions de décolonisation sont une forme d’activisme »(271). Les chercheurs mobilisant la théorie DisCrit reconnaissent les élèves marginalisés comme des sujets épistémiques à part entière, porteurs de savoirs issus de leurs expériences vécues. Leur position en marge des structures dominantes leur confère une capacité critique à identifier les formes d’oppression intersectionnelles — qu’elles soient systémiques ou interpersonnelles — et à concevoir des réponses transformatrices pour y mettre un terme.
En articulant les apports des Disability Studies (DS), les connaissances du modèle social du handicap et l’analyse intersectionnelle de la Critical Race Theory (CRT), DisCrit — né de la contraction entre les DS et la CRT — permet d’analyser comment les normes sociales se construisent à travers l’imbrication du racisme et du validisme(272). Selon ce cadre, ces deux systèmes d’oppression fonctionnent de manière conjointe : le racisme vient légitimer et renforcer les logiques validistes, tandis que le validisme soutient et consolide les structures racistes. Ce cadre a été mobilisé pour analyser et déconstruire les inégalités structurelles au sein du système éducatif, en mettant en lumière la manière dont les formes d’oppression s’entrecroisent de façon singulière pour marginaliser les élèves situés en dehors des normes de la blancheur et des capacités. L’articulation de DisCrit avec les Critical Disability Studies (CDS) offre un cadre pertinent pour interroger l’héritage mondial du colonialisme(273) et ses effets persistants sur les dynamiques politiques, culturelles et éducatives contemporaines. Valentina Migliarini et al. soulignent qu’il est essentiel d’aborder de manière ouverte l’histoire du colonialisme et sa continuité, en se recentrant sur les discours, les expériences et les voix des populations historiquement marginalisées(274). S’engager dans une « approche transnationale et intersectionnelle de l’éducation inclusive »(275) est essentiel pour « apprendre auprès d’enseignants […] résilients, ingénieux et créatifs dans des pays où ils sont confrontés à de telles réalités depuis longtemps »(276). Ce sont des lieux « remplis d’enseignants capables d’exploiter les fonds de connaissances existants des élèves »(277) pour faire face à l’héritage et aux pratiques actuelles du colonialisme, de l’altéricide et du capitalisme racial. Dans de nombreux contextes, les savoirs mobilisés restent largement ancrés dans une supposée neutralité, façonnée par des perspectives eurocentrées et validistes. Cette neutralité apparente – comme l’illustre la doctrine française du racisme « daltonien »(278), enracinée dans un déni incessant de faire un travail critique de justice sociale — sert à invisibiliser les rapports de pouvoir, notamment le racisme systémique, l’anti-noirceur, et l’histoire de la déshumanisation des corps noirs et bruns(279). Les chercheurs de Discrit se recentrent plutôt sur les contextes socio-historiques dans leur analyse sur le handicap(280).
Les personnes handicapées sont encore perçues, à tort, comme faisant partie d’un groupe homogène dans les études dominantes, souvent caractérisées par leur absence de critiques intersectionnelles. Une approche du handicap dite « universelle » ignore la multitude d’identités qui peuvent se croiser avec le handicap. Les conséquences sont souvent dramatiques, exacerbant les risques de discriminations, de marginalisation et d’effacement. L’intersectionnalité est l’alliée incontournable des CDS, en ce qu’elle permet d’explorer comment l’imbrication des identités produit des expériences de discrimination singulières. Discrit offre la possibilité de réfléchir à ces perspectives intersectionnelles de l’éducation inclusive(281). En intégrant ces approches, les enseignants cessent de voir les élèves de couleur marginalisés comme des problèmes à « gérer », pour « les considérer comme des ressources inestimables »(282), et des acteurs essentiels dans la construction d’une communauté éducative juste et émancipatrice. Dans les débats sur la justice sociale et les risques liés aux catastrophes climatiques, ce cadre théorique est fondamental, car il met en lumière les intersections entre le validisme et le racisme structurel. L’ouragan Katrina, en 2005, en constitue un exemple particulièrement révélateur : les communautés les plus durement touchées étaient majoritairement afro-américaines, pauvres, et incluaient de nombreuses personnes handicapées. Ces populations ont été exclues des dispositifs d’évacuation et de reconstruction, révélant un racisme et validisme institutionnels profond. DisCrit aide à comprendre cette exclusion, non pas comme étant accidentelle, mais comme le produit d’un système inégalitaire et normatif qui valorise certaines vies. Ces événements soulignent la nécessité d’une approche intersectionnelle pour comprendre et combattre ces oppressions croisées.
L’intersection entre le handicap et la race ne constitue pas uniquement un cadre descriptif des oppressions croisées ; elle représente une stratégie politique et analytique majeure. Comme l’explique Talila Lewis, c’est l’intersection « la plus dangereuse que l’histoire ait connue »(283). Il s’agit de la reconnaître comme un lieu stratégique d’analyse et d’action. Elle cristallise des formes extrêmes et systémiques de marginalisation. En ce sens, penser cette intersection n’est pas une simple opération théorique, mais un levier stratégique pour la justice sociale. La reconnaissance de l’interdépendance des oppressions, à la lumière des événements climatiques, nous amène à mobiliser des perspectives permettant d’articuler l’intersectionnalité, l’inclusion radicale, avec les dynamiques de guérison et de libération collective.
11 – Articuler l’intersectionnalité critique, l’inclusion radicale et la libération collective
Ces approches intersectionnelles nous permettent d’explorer la justice de guérison (Healing Justice, HJ)(284), née des luttes de survie et de résistance des communautés noires, autochtones, queer et handicapées. Elle est apparue en 2005, en réponse aux violences systémiques qui laissent des marques profondes, tant sur les corps que sur les esprits. En s’appuyant sur les savoirs des féministes intersectionnelles et sur l’idée d’inclusion radicale, cette approche valorise les expériences marginalisées comme sources de transformation, de libération et de durabilité communautaire(285). Elle rend visibles les traumatismes souvent ignorés que vivent les personnes handicapées, et invite à ne plus les considérer comme des problèmes individuels à résoudre, mais comme des réalités qui exigent des réponses collectives. HJ recentre ainsi les pratiques de soin, de repos, de spiritualité et d’ancrage communautaire au cœur des luttes sociales, avec pour principe fondamental de ne laisser personne « de côté ».
Cette perspective constitue une réponse critique aux environnements traditionnels, marqués par l’urgence, l’épuisement et l’obsession de la performance. Les mouvements de justice ne peuvent être durables que s’ils prennent soin de celles et ceux qui les portent. Inspirée des savoirs ancestraux, des pratiques de santé communautaire et des traditions de guérison alternatives, la justice de guérison vise à réparer les corps et les liens, à décoloniser les pratiques de soin, et à garantir une inclusion véritable des personnes les plus impactées. Elle affirme que la guérison est éminemment politique : la libération passe par le soin, l’écoute, la mémoire, et la réparation des blessures laissées par les oppressions systémiques. Ce mouvement reconnaît que les cultures de surmenage et le manque de soutien communautaire affectent de manière disproportionnée les personnes handicapées(286). Il s’oppose aux siècles d’austérité en matière de soins, hérités des systèmes oppressifs — notamment les institutions eugénistes, médicales et psychiatriques. La justice de guérison propose des réponses collectives et réparatrices face à ce qu’elle identifie comme un complexe carcéral industriel, englobant police, surveillance, enfermement, psychiatrisation forcée et pathologisation des corps et des esprits marginalisés — en particulier ceux des personnes noires, autochtones, trans, pauvres et/ou handicapées. Il s’agit d’un mouvement à la fois politique et spirituel, qui reconnaît que le corps, l’esprit et la communauté sont à la fois des lieux de résistance et des cibles de violence.
ACCHO, un modèle de soins géré par les communautés aborigènes, constitue un autre exemple puissant de résilience contre les inégalités d’accès aux soins. Il contraste avec l’approche occidentale « individualiste, segmentée et centrée sur la personne »(287). ACCHO « considère la santé et le bien-être de l’individu comme faisant partie d’un contexte plus large de bien-être social, émotionnel et culturel de l’ensemble de la communauté. »(288) Cet exemple offre « un aperçu de la manière dont les groupes tribaux ont survécu à la colonisation et continuent de lutter pour leur souveraineté »(289). La relationnalité est au cœur de la recherche autochtone. Elle s’oppose directement à l’idée d’objectivité(290) (291).
Les travaux d’Acker-Verney et ses collègues s’inscrivent dans cette critique plus large du modèle médical, qui tend à pathologiser les individus plutôt qu’à reconnaître les constructions sociales du handicap. En adoptant une approche intersectionnelle, elles plaident aussi pour une transformation des politiques et des pratiques afin de mieux inclure et représenter les personnes handicapées dans les initiatives de développement(292). Les savoirs autochtones considèrent les différences comme indispensables au bien-être communautaire et individuel.
« Nos mouvements eux-mêmes doivent être guérisseurs, sinon ils n’ont aucun sens » —Cara Page(293)
Ce mémoire a analysé la contribution de l’histoire coloniale à la violence structurelle et comment les efforts de décolonisation peuvent visibiliser ces problèmes dans divers contextes. Une solidarité envers les groupes multi-marginalisés implique non seulement la reconnaissance des oppressions systémiques auxquelles ils font face, mais aussi comment accueillir leurs réactions face à cette violence. La réalisation de la justice sociale et environnementale est entravée par ces schémas d’exclusion sociale persistants qui nécessitent un changement épistémique pour contrer les préjugés envers ces populations. Nous devons nous concentrer sur les structures plutôt que sur les actions individuelles. Le démantèlement de ces structures de pouvoir nécessite une approche intersectionnelle pour en comprendre les causes profondes. La décolonisation suppose le démantèlement de ces structures et les idéologies coloniales qui maintiennent ces inégalités systémiques. Dans le champ du handicap, elle engage une réflexion critique sur la manière dont les expériences des personnes handicapées — en particulier celles issues de communautés les plus marginalisées — ont été façonnées par l’histoire coloniale et les logiques de domination qui en découlent. L’éducation, la sensibilisation, la responsabilisation(294) envers ces violences structurelles et l’autonomisation des communautés les plus impactées, pour leur permettre de participer aux processus décisionnels, sont des outils puissants pour transformer les structures qui les perpétuent. En ne prenant pas conscience des préjudices engendrés par cette violence, et comment nous y contribuons de manière indirecte, nous serons incapables de générer des transformations.
L’enjeu n’est pas simplement de s’adapter au climat, mais de réparer et transformer les structures sociales profondément inégalitaires. La justice climatique doit créer de l’espace et tenir compte des voix qui sont les plus susceptibles de mettre en lumière ces relations de pouvoir qui génèrent ces crises. Nous devons repenser en profondeur la manière dont les inégalités se reproduisent dans la production de connaissance sur le changement climatique, en mettant l’accent sur l’expertise des populations les plus impactées qui sont encore les moins habilitées à modifier et à façonner sa trajectoire. L’objectif du projet décolonial est d’identifier les structures contemporaines et historiques qui perpétuent et maintiennent les oppressions, en tenant compte des connaissances incarnées qui peuvent provoquer un véritable changement durable et en profondeur. Se recentrer sur des coalitions qui soient représentatives de toute la diversité des personnes handicapées, dans les solutions, est la stratégie la plus prometteuse si nous voulons parvenir à la justice climatique. Bien que les principes de la CDPH constituent une avancée considérable pour tenir les parties responsables des impacts induits par les aléas climatiques, leur pleine intégration dans le droit français est encore largement absente. Ils ne peuvent constituer « à eux seuls un mécanisme suffisant pour modifier les causes de la violence structurelle et de la marginalisation »(295).
Cette analyse rejoint de nombreux travaux qui s’intéressent à la relation entre les CDS et la décolonisation, et qui adhèrent à la nécessite d’inclure les perspectives du Sud global, pour comprendre l’impact mondial et durable des fondements eurocentriques du handicap. Ils y voient une condition nécessaire pour remédier aux injustices systémiques, déconstruire ces cadres normatifs eurocentrés et faire émerger des pratiques inclusives ancrées dans la justice sociale(296).
Si ce mémoire plaide pour une approche décoloniale du handicap, il est impossible de ne pas étendre cette exigence critique à la discipline elle-même. La criminologie, dans ses formes les plus institutionnelles, tend à verrouiller la possibilité de penser « la justice comme possible au-delà des limites et des oppressions de la suprématie blanche, de l’hétéropatriarcat et du colonialisme »(297). En refusant aux étudiant.e.s la possibilité de concevoir des alternatives aux logiques punitives et dominantes, elle contribue à entretenir un ordre du savoir profondément inégalitaire. Il est urgent d’ouvrir des brèches dans ces cadres, pour rendre possible une pensée de la justice réellement émancipatrice.
(1) – Michael Mikulewicz, Marina Angela Caretta, Farhana Sultana and Neil J. W. Crawford, Intersectionality & Climate Justice: A call for synergy in climate change scholarship
(2) – Sins Invalid, 10 Principles of Disability Justice
(3) – Nicole Ineese-Nash, Le handicap comme concept colonial : le discours manquant de la culture dans les conceptualisations des enfants autochtones handicapé·es, 2021, consulté le 20 juin 2021.
La décolonisation du handicap nécessite une compréhension des contextes culturels et historiques spécifiques, et appelle à une approche qui valorise les savoirs et les expériences des personnes handicapées dans ces sociétés. « La décolonisation du handicap nécessite à la fois une conscience aigüe des processus coloniaux qui contribuent et causent le handicap (Hollinsworth, 2013), ainsi qu’une tentative délibérée de retirer ces structures de nos organisations sociales (Tuck et Yang, 2012) »
(4) – Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha, Care Work, Dreaming Disability Justice, Arsenal Pulp Press, 2018, page 24.
(5) – Natalie M. Chin, Centering Disability Justice, 2021, page 1.
(6) – Sabelo Ndlovu-Gatsheni, “A Resurgence of Decolonisation: We Need to do African Studies with Africans”—An Interview with Sabelo Ndlovu-Gatsheni, Part 1, Antipode Online, 2022.
(7) – Shayda Kafai, Crip Kinship : The Disability Justice & Art Activism of Sins Invalid, Arsenal Pulp Press, 2021, page 20.
(8) – Gurminder K. Bhambra, Global Social Theory
(9) – Natalie M. Chin, Centering Disability Justice, 2021, page 54.
(10) – Samantha Cooms, Olav Muurlink and Sharlene Leroy-Dyer, Intersectional theory and disadvantage : a tool for decolonisation, 2022.
(11) – Anna Kaijser and Annica Kronsell, Climate change through the lens of intersectionality, 2013, page 7.
(12) – Angela Davis, Women Culture Politics, Vintage USA edition, 1990, page 22.
(13) – Talila A. Lewis, Ableism 2020 : An Updated Definition.
« Un système d’attribution de valeur au corps et à l’esprit des personnes basé sur des idées de normalité, de productivité, de désirabilité, d’intelligence, d’excellence et de forme physique construites par la société. Ces idées construites sont profondément ancrées dans l’eugénisme, l’anti-noirceur, la misogynie, le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme. Cette oppression systémique conduit la société à déterminer la valeur des gens en fonction de leur culture, de leur âge, de leur langue, de leur apparence, de leur religion, de leur lieu de naissance ou de vie, de leur « santé/bien-être » et/ou de leur capacité à se reproduire, à « exceller » et à « se comporter » de manière satisfaisante. Il n’est pas nécessaire d’être handicapé pour être victime de validisme. »
(14) – CDPH, Article 11.
(16) – Ibid.
(17) – United Nations , Cadre d’action de Sendai pour la Réduction des Risques de Catastrophe 2015 – 2030, article 19 d).
(18) – Ibid.
(19) – Ibid.
(20) – Nations Unies, Les 17 objectifs, consulté le 22 mai 2025.
(21) – European Disability Forum, Persons with disabilities are fondamental to success of the sustainable development goals !
(22) – Programme des Nations unies pour le développement, Le changement climatique est une question de justice – voici pourquoi 2023
(24) – John Twigg, Maria Kett and Emma Lovel, Disability inclusion and disaster risk reduction, page 2.
(25) – Daniel Chaplin, John Twigg and Emma Lovell, Intersectional approaches to vulnerability reduction and resilience-building, page 20.
(26) – Ibid. page 21
(27) – Ibid. page 14
(29) – Nations Unies, A/HRC/44/30 : Étude analytique sur la promotion et la protection des droits des personnes handicapées dans le contexte des changements climatiques – Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 2020.
(30) – Ibid.
(31) – Human Rights Center, Antonio Papisca, Global disability movement asks to be included in climate negotiations, 2024, consulté le 10 mai 2025
(33) – Farhana Sultana, Critical climate justice, 2022.
(34) – Kaitlin F. Strange, Mar Satorras and Hug March, Intersectional climate action: the role of community-based organisations in urban climate justice, consulté le 4 mars 2025.
(36) – Julia Paulson and Leon Tikly, Reconceptualising Violence in International and Comparative Education: Revisiting Galtung’s Framework, 2022, page 5.
(37) – Daniel Chaplin, John Twigg and Emma Lovell, Intersectional approaches to vulnerability reduction and resilience-building, page 16.
(38) – Johan Galtung, Violence, Peace, and Peace Research, 1969, page 173.
(39) – Kathleen Ho, Structural violence as a human rights violation, 2007, page 9.
(42) – Susan Opotow, Social Injustice, 2007.
(43) – Karol Chrobak, Structural Violence, 2022, p 184.
(44) – Farhana Sultana, Confronting Climate Coloniality, Routledge Edition, 2025, page 16.
(45) – Ibid.page 16.
(46) – Tonette S. Rocco, From Disability Studies to Critical Race Theory: Working Towards Critical Disability Theory, 2005.
(47) – Ibid.
(48) – Alexian Arini, Abolitionist Care: Crip of Color Worldmaking in the U.S.-Mexico Borderlands, 2022, page 8.
(49) – Dr Cathy Pratt, There is No Place Called Inclusion.
(50) – Talila Lewis, Fighting for Free[dom] & the Expense of Erasure, 2016.
(51) – Sami Schalk, Black Disability Politics, Duke University Press, 2022, page 148.
« les systèmes d’oppression sont « conçus pour épuiser ceux qui les combattent… mentalement, physiquement, émotionnellement, économiquement, spirituellement, politiquement, et de toute autre manière imaginable ; ils sont donc très efficaces en ce sens. »
(52) – Jan Grue, The CRPD and the economic model of disability: undue burdens and invisible work, 2022.
“l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre réussie du cadre des droits de l’homme est que les États parties continuent de s’appuyer sur un modèle médical solide où le handicap est compris comme un problème individuel plutôt que comme un problème structurel et sociétal.”
(53) – Stefan Timmermans, Rene Almeling, Objectification, standardization, and commodification in health care: A conceptual readjustment, 2009.
(54) – Nora Berenstein, Structural gaslighting, 2020, page 5.
(55) – Ibid., page 50. “les individus, les institutions, les systèmes politiques et les groupes sociaux se livrent à un gaslighting structurel, qu’ils le veuillent ou non, lorsqu’ils invoquent des idéologies oppressives, font disparaître ou occultent les causes et les mécanismes réels de l’oppression et les actes d’oppression conceptuellement graves des structures qui les produisent”
(56) – Ibid., page 31.
(57) – Ibid., page 3.
(58) – Ibid., page 1.
(59) – Ibid., page 8. “la fonction de dissimulation ou de mystification des relations sociales objectives est le but ultime du gaslighting structurel”
(60) – Ibid., page 8.
(61) – Robel Afeworki Abay and Karen Soldatic, Intersectional Colonialities, Embodied colonial violence and practices of resistance at the axis of disability, race, indigeneity, class and gender, Routledge Edition, 2024, page 2.
(62) – David Abbott and Sue Porter, Environmental hazard and disabled people: from vulnerable to expert to interconnected, 2013.
(64) – Frontiers in Public Health, Racism and Structural Violence: Interconnected Threats to Health Equity, 2022.
(65) – Chris Cunneen and Juan Tauri, Indigenous Criminology, The Policy Press, 2016, page 5.
(66) – Ibid., page 57.
(67) – Urmitapa Dutta, Abdul Kalam Azad, Manjuwara Mullah, Kazi Sharowar Hussain and Wadi Parveez, From rhetorical « inclusion » toward decolonial futures : Building communities of resistance against structural violence, 2021, Page 357.
(68) – IPCC, Summary for Policymakers, 2022
(69) – Farhana Sultana, Confronting Climate Coloniality, Routledge Edition, 2025, page 1.
(70) – Tara Nair van Ryneveld and Mine Islar, Coloniality as a Barrier to Climate Action: Hierarchies of Power in a Coal-Based Economy, 2022, page 962.
(71) – IPCC, Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability, 2022, page 2713.
(72) – Farhana Sultana, Confronting Climate Coloniality, Routledge Edition, 2025, page 210.
(73) – « Comprendre la colonialité climatique signifie montrer comment les héritages de la violence impériale perdurent insidieusement, non seulement en exacerbant les dégradations environnementales, mais aussi en multipliant les catastrophes climatiques subies par des populations marginalisées de par le monde, qui sont rendues disproportionnellement vulnérables et jetables dans ce processus. » (Confronting Climate Coloniality ; Farhana Sultana)
(74) – Susanne Normann, “Time is our worst enemy:” Lived experiences and intercultural relations in the making of green aluminum, 2021, page 166.
(75) – Valentina Migliarini and Brent C. Elder, The Future of inclusive education, Intersectional Perspectives, 2022, Palgrave Macmillan, page 29.
(76) – Tara Nair van Ryneveld and Mine Islar, Coloniality as a Barrier to Climate Action: Hierarchies of Power in a Coal-Based Economy, page 962, 2022.
(77) – A.J. Withers, Liat Ben-Moshe, Lydia X. Z. Brown, Loree Erickson, Rachel da Silva Gorman, Talila A. Lewis, Lateef McLeod and Mia Mingus, Radical Disability Politics, Routledge Handbook of Radical Politics, 2019, page 179.
(78) – S. Abdelnour, What Decolonizing Is Not, 2022.
“la décolonisation implique des actions qui (1) centrent le privilège épistémique et les aspirations politiques des peuples colonisés et assujettis ; (2) identifient, démantèlent et transforment les systèmes et structures coloniaux marginalisants ; (3) font progresser et atteignent les objectifs de libération, de réparation et d’égalité radicale.”
(79) – Muminah Arshad, Rachel Dada, Cathy Elliott , Iweta Kalinowska, Mehreen Khan, Robert Lipiński, Varun Vassanth, Jotepreet Bhandal, Monica de Quinto Schneider, Ines Georgis and Fiona Shilston, Diversity or decolonization? Searching for the tools to dismantle the ‘master’s house’, 2021, page 3.
(80) – Ibid.
(81) – Ibid.
(82) – Nelson Maldonado-Torres, On the coloniality of being, page 262.
« Le tournant décolonial consiste à rendre visible l’invisible et à analyser les mécanismes qui produisent une telle invisibilité ou une telle visibilité déformée à la lumière d’un large stock d’idées qui doivent nécessairement inclure les réflexions critiques des personnes « invisibles » elles-mêmes. En effet, il faut reconnaître leur production intellectuelle comme une pensée – et non seulement comme une culture ou une idéologie. »
(83) – Ibid., page 243. « La colonialité survit au colonialisme. Elle est maintenue vivante dans les livres, dans les critères de performance académique, dans les modèles culturels, dans le sens commun, dans l’image de soi et des peuples, dans les aspirations de soi-même, et tant d’autres aspects de notre expérience moderne. D’une certaine manière, en tant que sujets modernes, nous respirons la colonialité tout le temps et tous les jours. »
(84) – Achille Mbembe, Out of the Dark Night : Essays on Decolonization, Columbia University Press, 2021, page 4.
(86) – Olivier Mutanga, Ubuntu Philosophy and Disability in Sub-Saharan Africa, Routledge Editions, 2024, page i.
(87) – Ibid. page 56.
(88) – Thomas P. Dirth and Glenn A. Adams, Decolonial Theory and Disability Studies: On the Modernity/Coloniality of Ability, 2019.
(89) – Ibid. Leur analyse sur le modèle médical révèle que « l’injustice plus large du handicap réside dans le validisme de la vie quotidienne : c’est-à-dire les technologies et les idéologies qui institutionnalisent les façons d’être individualistes néolibérales les (re)présentant comme des valeurs naturelles » vers lesquelles chacun devrait aspirer.
(90) – Ibid.
(91) – Readsura Decolonial Editorial Collective, Decoloniality as a social issue for psychological study, 2022, page 5.
(92) – Nirmala Erevelles and Andrea Minear, Unspeakable Offensive : Untangling Race and Disability in Discourses of Intersectionality, 2010.
(93) – Vivetha Thambinathan and Elizabeth Anne Kinsella, Decolonizing Methodologies in Qualitative Research: Creating Spaces for Transformative Praxis, 2021.
(94) – Natalie M. Chin, Centering Disability Justice, 2021, page 51.
(95) – Ibid., page 1.
(96) – Ann E. Lopez, Decolonizing Educational Leadership, Exploring Alternative Approaches to Leading Schools, Palgrave Edition, 2020, page 85.
(97) – Decolonial Europe Day, Decolonising Europe Booklet 2023, page 10.
(98) – Vivianne Saleh-Hanna, Colonial Systems of control, University of Ottawa Press, 2008, page 15.
(99) – John Ward, Indigenous Disability Studies, Routledge Edition, 2025, page 71. « Le terme handicap est sans doute un terme général fondé sur une construction coloniale qui ne correspond pas aux points de vue traditionnels de nombreux peuples autochtones, car il vient d’une perspective axée sur le déficit. » (Kevin P. Morgan)
(100) – Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies, Research and Indigenous peoples, 1999, page 160.
(101) – Vivianne Saleh-Hanna, Colonial Systems of control, University of Ottawa Press, 2008, page 34.
(102) – Natalie M. Chin, Centering Disability Justice, 2021, page 54.
(103) – Simon Dawes and Marc Lenormand, Neoliberalism in Context, palgrave macmillan Editions, 2020, page 181. « l’inclusion significative ne mérite la désignation d’« inclusion » que si le handicap est davantage reconnu comme offrant des valeurs de vie alternatives qui ne se contentent pas de réifier les concepts dominants de normalité. »
(104) – Sunil Bhatia and Kumar Ravil Priya, Coloniality and Psychology: From Silencing to Re-Centering Marginalized Voices in Postcolonial Times, page 4, consulté le 22 avril 2022.
(105) – Marina Bell, Abolition as a project of personal transformation, 2022, §20.
(106) – Ibid.
(107) – Ibid.
(108) – Rikke Andreassen, Catrin Lundström, Suvi Keskinen, Shirley Anne Tate, The Routledge International Handbook of new critical race and whitness studies. Routledge Edition, page 400.
(109) – Zahra Ali et Sonia Dayan-Herzbrun, Pluriversalisme décolonial, Tumultes, 2017. « La pensée moderne européenne, doublée du monopole économique de ses puissances impérialistes, s’est exercée en construisant des altérités radicales, refusant à la limite de reconnaître comme humains celles et ceux qui étaient simplement différents ». (Gayatri Chakravorty Spivak)
(110) – Ibid.
(111) – Xuan Thuy Nguyen, Shilpaa Anand, Alexis Padilla, Thinking with Decolonial Disability Studies: Invitation to the Special Themed Issue, 2024.
(112) – Agnes Binagwaho, Brianna Ngarambe, Kedest Mathewos, Eliminating the White Supremacy Mindset from Global Health Education, 2022.
(113) – Samuel Z. Shelton, Disability Justice, White Supremacy, and Harm Reduction Pedagogy: Enacting Anti-Racist Crip Teaching, 2020, page 7.
(114) – Christopher Reimer, « I would make a home for them » : On Crip Interdependence and Abolition Ecology, 2021, page 3.
(115) – Tema Okun, White supremacy culture, 1999.
(116) – Joel Michael Reynolds, Disability and White Supremacy, 2022, p 60-61.
(117) – Linda Steele, Disability, Criminal Justice and Law Reconsidering Court Diversion, 2020, Routledge edition, page 21.
(118) – Ibid., page 21.
(119) – Sins Invalid, Skin, Tooth, and Bone – The Basis of Movement is Our People: A Disability Justice Primer, 2017, page 57.
(120) – Karen Soldatic and Shaun Grech, Disability and Colonialism, (Dis)encounters and anxious intersectionalities, Routledge Edition 2016, page 10.
(121) – Áine Kelly-Costello, Pratima Gurung and Raven Cretney, 2024, Disability and climate justice : From marginalization to leadership.
(122) – Linda Steele, Disability, Criminal Justice and Law Reconsidering Court Diversion, 2020, Routledge edition, page 80.
(123) – Claire Spivakovsky, Linda Steele and Peneloe Weller, The legacies of institutionalisation, Disability, Law and Policy in the‘Deinstitutionalised’ Community, Hart Publishing, 2020, page 244.
(125) – Rosemary Kayess, The CRPD and Segregation. A framework to transformation, 2024, §4, 7 et 16.
(126) – Ibid., §4.
(127) – Ibid., Résumé.
(128) – Ibid. §7.
(129) – Stephanie Jenkins, Constructing Ableism, 2021, page 5.
(130) – Angela Frederick & Dara Shifrer, Race and Disability: From Analogy to Intersectionality, 2019.
(131) – Linda Steele, Disability, Criminal Justice and Law Reconsidering Court Diversion, 2020, Routledge edition, page 134.
(132) – Ibid., page 134.
(133) – Ibid., page 207.
(134) – Valentina Migliarini and Brent C. Elder, The Future of Inclusive Education, Intersectional Perspectives, palgrave macmilan, 2023, page 10.
(135) – Dan Goodley, Dis/entangling Critical Disability Studies, 2013, page 88.
(136) – Rosemarie Garland-Thomson, Eugenic World Building and Disability : The Strange World of Kazuo shiguro’s Never Let Me Go, 2015, page 141.
(137) – Katie Ellis, Rosemarie Garland-Thomson, Mike Kent and Rachel Robertson, Manifesto for the future of critical disability studies, Routledge Edition, 2019, page 13.
(138) – Shayda Kafai, Crip Kinship : The Disability Justice & Art Activism of Sins Invalid, Arsenal Pulp Press, 2021, page 84.
(139) – Farhana Sultana, Confronting Climate Coloniality, Routledge Edition, 2025, page 8.
(141) – Chris Cunneen, Antje Deckert, Amanda Porter, Juan Tauri, Robert Webb, The Routledge Handbook on Decolonizing Justice, Routledge Edition, 2023, page 271.
(142) – John Gilroy, Margaretha Uttjek, Lavonna Lovern and John Ward, Indigenous people with disability: intersectionality of identity from the experience of Indigenous people in Australia, Sweden, Canada, and USA, 2021.
(143) – Claire Spivakovsky, Linda Steele and Peneloe Weller, The legacies of institutionalisation, Disability, Law and Policy in the ‘Deinstitutionalised’ Community, Hart Publishing, 2020, page 6.
(144) – Ibid., page 51.
(145) – Scott Avery, Culture is Inclusion: A narrative of Aboriginal and Torres Strait Islander people with disability, FPDN Australia, Sydney 2018.
(146) – Len Barton, Disability and society, Emerging Issues and Insights, Routledge Edition, 1996, page 52.
(147) – Ibid., page 51.
(148) – Sins Invalid, Skin, Tooth, and Bone – The Basis of Movement is Our People: A Disability Justice Primer, 2016, page 18.
(149) – Chris Cunneen, Antje Deckert, Amanda Porter, Juan Tauri, Robert Webb, The Routledge Handbook on Decolonizing Justice, Routledge Edition, 2023, page 271.
(151) – Karen Soldatic and Shaun Grech, Disability and Colonialism, (Dis)encounters and anxious intersectionalities, Routledge Edition 2016, page 17.
(152) – Stephanie Dawn Kennedy, ‘Remember in the Body’ : Disability and Slavery in England and the Caribbean, 1500-1834, 2015, page iii.
(153) – Ibid., page 266.
(154) – Emily J. Hutcheon and Bonnie La sheicz, Tracing and troubling continuities between ableism and colonialism in Canada, 2018, page 10.
(155) – Chris Cunneen, Antje Deckert, Amanda Porter, Juan Tauri, Robert Webb, The Routledge Handbook on Decolonizing Justice, Routledge Edition, 2023, page 271.
(156) – Ibid. page 271.
(157) – Shayda Kafai, Crip Kinship : The Disability Justice & Art Activism of Sins Invalid, Arsenal Pulp Press, 2021, page 19. « nos corps-esprits handicapés sont conscients de la longue histoire de l’eugénisme, du racisme scientifique, du colonialisme et de la productivité capitaliste qui nous qualifie de jetables. »
(158) – Laura I Appleman, Deviancy, dependency, and disability: the forgotten history of eugenics and mass incarceration, page 442.
(159) – Ibid., page 420.
(160) – La notion de colonialité pénale développée par Viviane Saleh-Hanna s’inscrit dans une analyse critique des systèmes de justice pénale hérités de la colonisation. Dans son ouvrage Colonial Systems of Control, elle explore comment les modèles pénaux européens imposés en Afrique, notamment au Nigeria, étaient non seulement inadaptés aux structures sociales et juridiques locales, mais contribuaient également à la marginalisation et à l’injustice envers les populations africaines. La colonialité pénale, selon Saleh-Hanna, désigne l’imposition de systèmes de justice pénale étrangers aux réalités culturelles et sociales des peuples colonisés, entraînant des formes de domination, d’injustice et de souffrance qui perdurent au-delà de la période coloniale.
(161) – Vivianne Saleh-Hanna, Colonial system of control, University of Ottawa Press, 2008, page XXIII.
(162) – Ibid., page 31.
(163) – Laura I Appleman, Deviancy, dependency, and disability: the forgotten history of eugenics and mass incarceration, page 443.
(164) – Ibid., page 442.
(165) – Ana Aliverti, Henrique carvalho, Anastasia Chamberlen and Máximo Sozzo, Decolonizing the criminal question : Colonial legacies, Contemporary Problems, Oxford Edition, 2023, page 201.
(166) – Laura I Appleman, Deviancy, dependency, and disability: the forgotten history of eugenics and mass incarceration, page 442.
(167) – Chris Cunneen, Antje Deckert, Amanda Porter, Juan Tauri, Robert Webb, The Routledge Handbook on Decolonizing Justice, Routledge Edition, 2023, page 271.
(168) – Sheila Wildeman, Critical Pathways to Disability Decarceration: Reading Liat Ben-Moshe and Linda Steele, 2023, page 4.
(169) – Jess Whatcott, Menace to the future, A Disability and Queer History of Carceral Eugenics, Duke University Press, 2024, Chapter 0, page 20.
(172) – Olivier Mutanga, Ubuntu Philosophy and Disability in Sub-Saharan Africa, Routledge Editions, 2024, page 78.
(173) – Michael Robertson et al., First into the dark : The Nazi Persecution of the Disabled, UTS ePRESS, 2019, Chapter 8, page 189.
(174) – Ibid., page 189.
(175) – Christopher Kliewer and Stephen Drake, Disability, Eugenics and the Current Ideology of Segregation: A modern moral tale, 2010.
(176) – Ibid.
(177) – Ibid.
(178) – Michael Robertson, First into the dark : The Nazi Persecution of the Disabled, UTS ePRESS, 2019, chapitre 7, page 159.
(179) – Esma Cleall, Global history of disability, 1700-2015, Routledge Edition, 2023, page 11.
(180) – Ibid., page 12.
(181) – Georgia van Toorn and Karen Soldatic, Disablism, racism and the spectre of eugenics in digital welfare, 2024.
(182) – Ibid.
(183) – Ibid.
(184) – Jeanne Hayes, Elizabeth Lisa M Hannold, The road to empowerment: a historical perspective on the medicalization of disability.
(185) – Marius Turda, Confronting the Legacy of Eugenics in Psychology.
(186) – Ibid.
(187) – Michael Robertson et al., First into the dark : The Nazi Persecution of the Disabled, UTS ePRESS, 2019, Chapter 7, page 163
(188) – Isabelle von Bueltzingsloewen, Starvation in French Asylums during the German Occupation, 2021.
(189) – Michael Robertson et al., First into the dark : The Nazi Persecution of the Disabled, UTS ePRESS, 2019, Chapter 7, page 163.
(190) – Ibid, Chapter 7, page 163.
(191) – Ibid., page 162.
(192) – David Mitchell and Sharon Snyder, The Eugenic Atlantic : race, disability, and the making of an international Eugenic science, 1800-1945, 2010.
(193) – Ibid.
(194) – United Nations, Rights of persons with disabilities, A/HRC/43/41.
(195) – Ibid., page 4.
(196) – Ibid. page 17.
(197) – Liat Ben-Moshe, Chris Chapman, & Alison Carey, Disability Incarcerated, Imprisonment and Disability in the United States and Canada, palgrave milgrane, 2014, page 6.
(198) – Ibid., page 7.
(199) – Liat Ben-Moshe, Alternatives to (Disability) Incarceration. Abstract. “penser à l’incarcération dans une variété de lieux où les corps et les esprits handicapés et/ou non normatifs sont enfermés, tels que les hôpitaux psychiatriques, les institutions résidentielles pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles et développementales, et les prisons.”
(200) – Jess Whatcott, Menace to the future, A Disability and Queer History of Carceral Eugenics, Duke University Press, 2024, Chapter 0, page 2.
(201) – Tess Sheldon, Entangling Liberty and Equality: Critical Disability Studies, Law and Resisting Psychiatric Detention, note 3, page 268.
(202) – Autumn Miller, Against Productivity & Liberal Pity: A Case Study in Prison Abolition & Disability Justice, 2023.
(203) – Liat Ben-Moshe, Decarcerating Disability, Deinstitutionalization and Prison Abolition, University of Minnesota Press, 2020, « Race is coded in disability, and vice versa. » – page 40.
(205) – Liat Ben-Moshe and Linda Steele, Introduction to the Symposium – Decarcerating Disability, Criminal Justice and Law: New Writing on Disability, Abolition and the Limits of Rights, page 3.
(206) – Eurofund, Paths towards independent living and social inclusion in Europe, 2024, page 60.
(207) – Jess Whatcott, Menace to the future, A Disability and Queer History of Carceral Eugenics, Duke University Press, 2024, Chapter 4, page 145
(208) – Christopher Kliewer and Stephen Drake, Disability, Eugenics and the Current Ideology of Segregation: A modern moral tale, 2010.
(209) – Mladenov Teodor, Disability and social justice, 2016.
(210) – Ibid.
(211) – Ibid.
(212) – Rajeev Bhargava, Pour en finir avec l’injustice épistémique du colonialisme, 2013, §8.
(213) – Nirmala Erevelles and Marina Morrow, Intersectionality : Introduction, 2023, page 494.
(214) – Robel Afeworki Abay and Karen Soldatic, Intersectional Colonialities, Embodied colonial violence and practices of resistance at the axis of disability, race, indigeneity, class and gender, Routledge Edition, 2024, page 26.
(215) – Ibid., page 26.
(216) – Nirmala Erevelles and Marina Morrow, Intersectionality : Introduction, 2023, page 485.
(217) – Natalie M. Chin, Centering Disability Justice, page 22.
(218) – A.J. Withers et al., Radical Disability Politics, 2019, page 184.
(219) – Ibid. page 185.
(221) – A.J. Withers et al., Radical Disability Politics, 2019, page 185.
(222) – Université York, Stratégie de décolonisation, d’équité, de diversité et d’inclusion.
(224) – Ibid.
(225) – Ibid.
(226) – Conseil de l’Europe, Intersectionality.
(227) – Lexi Giizhigokwe Nahwagiizhic, Neurodiversity from an Indigenous perspective, Indigenous Disability Studies, Routledge Edition, 2025, page 94.
(228) – Robel Afeworki Abay and Karen Soldatic, Intersectional Colonialities, Routledge Edition, 2024, page 11.
(230) – Miranda Fricker, Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing, Oxford University Press, 2007.
(231) – Sabelo Ndlovu-Gatsheni, Epistemic Freedom In Africa, Routledge Edition, 2018, page 3.
(232) – Linda Steele, Disability, Criminal Justice and Law Reconsidering Court Diversion, 2020, Routledge edition, page 205.
(233) – Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, Investigating decoloniality, « Etre décolonial exige un amour décolonial pour celles et ceux qui ont été opprimé.e.s.. Un amour radical qui soit ouvert à leur volonté de vivre et de lutter pour leur libération… »
(234) – Jesica Siham Fernández, Abolition Psychology: Principles for a decolonial liberation psychology hacia El Mundo Zurdo, Annual Review of Critical Psychology, 202, page1.
(235) – Katie Tastrom, National Lawyers Guild, (texte paru sur une ancienne version de leur site). « L’intersectionnalité et l’inclusion radicale nous demandent d’examiner notre propre responsabilité dans nos comportements validistes en résistant de manière stratégique aux discours et aux idéologies validistes omniprésents qui présentent ces personnes comme méritant une attention uniquement lorsque les conséquences débilitantes des traumatismes deviennent apparents. »
(236) – Angela Y. Davis, Gina Dent, Erica R. Meiners and Beth E. Richie, Abolition. Feminism. Now, Haymarket Books, 2022, page 10.
(237) – Adrienne Maree Brown, We Will Not Cancel Us, and other dreams of transformative justice, AK Press, page 23.
(238) – Katie Tastrom, A People’s Guide to Abolition and Disability Justice, PM Press, 2024, page 153.
(239) – Anna Kaijser and Annica Kronsell, Climate change through the lens of intersectionality, 2013, page 4.
(240) – Chris Chapman and A.J. Withers, A violent history of benevolence interlocking oppression in the moral economies of social working, University of Toronto Press, 2019, page 372.
Chris Chapman et A.J. Withers nous enseignent que dans un contexte professionnel du travail social : « rejeter le récit de sa propre innocence nous invite chacun à considérer nos implications dans les préjudices interpersonnels et les oppressions systémiques interdépendantes […] même avec de “bonnes” intentions, même si nous nous considérons comme de “bonnes” personnes, nous pouvons néanmoins causer du tort et participer à la violence structurelle, et nous devons nous efforcer d’en assumer la responsabilité ».
(241) – Ibid.
(242) – Liat Ben-Moshe, Decarcerating Disability, Deinstitutionalization and Prison Abolition, University of Minnesota Press, 2020, page 118.
(243) – Valentina Migliarini and Brent C. Elder, The Future of inclusive education, Intersectional Perspectives, 2022, Palgrave Macmillan, page 13.
(244) – Helen Meekosha, Contextualizing disability: developing southern/global theory, 2008.
(245) – Áine Kelly-Costello, Pratima Gurung and Raven Cretney, 2024, Disability and climate justice : From marginalization to leadership.
(246) – Olivier Mutanga, Ubuntu philosophy and disabilities in sub-saharan Africa, Routledge Edition, 2024, page 4.
(247) – Olivier Mutanga, Ubuntu philosophy and disabilities in sub-saharan Africa, Routledge Edition, 2024, page 5.
(248) – Ibid., Chapitre 3.
(249) – Ibib., page 57.
(250) – Ibid., Chapitre 4.
(251) – Ibid., Chapitre 5.
(252) – Rider University, Privilege and Intersectionality.
(253) – Brenda Russell, Debra Oswald MaryKate Cotter, What makes a liberal feminist? Identifying predictors of heterosexual women and men’s liberal feminist ideology, page 2.
(254) – Nirmala Erevelles, Disability and difference in global contexts, Enabling a Transformative Body Politics, palgrave milgram, 2011, page 22.
(256) – Anna Kaijser and Annica Kronsell, Climate change through the lens of intersectionality, 2013.
(257) – Ibid.
(258) – Ibid.
(259) – Ibid.
(260) – Nahuel Arenas-García, Unpacking the Linkages Between structural violence and climate crisis, 2024.
(261) – Catherine Jampel, Intersections of disability justice, racial justice and environmental justice, 2018, page 2.
(262) – Kimberley Crenshaw, Mapping the margins: Intersectionality, identity politics, and violence against women of color, 1991.
(263) – Sue Nichols and Garth Stahl, Intersectionality in higher education research: a systematic literature review, 2019.
(264) -Anna Kaijser and Annica Kronsell, Climate change through the lens of intersectionality, 2013.
(265) – Ibid.
(266) – Ibid.
(267) – Valentina Migliarini, The Future of Inclusive Education, Intersectional Perspectives, palgrave macmilan, 2023, page 12.
(268) – David J. Connor, Beth A. Ferri, SubiniA. Annamma, Discrit, Disability Studies and Critical Race Theory in Education, Teachers College Press, 2016.
(269) – Valentina Migliarini, The Future of Inclusive Education, Intersectional Perspectives, palgrave macmilan, 2023, page 94.
(270) – Ibid., page 12.
(271) – Ibid., page 60.
(272) – Ibid., page 109. « Les chercheurs de DisCrit se concentrent sur l’incarnation et le positionnement des étudiants de couleur étiquetés comme handicapés pour souligner à quel point le racisme et le validisme sont interdépendants. »
(273) – Ibid., page xi.
(274) – Ibid., page 57.
(275) – Ibid., page 16.
(276) – Ibid., page 53.
(277) – Ibid.
(278) – Iseult Mc Neulty, Denial of Denial: Color-Blind Racism and Academic Silencing in France, 2021.
(279) – Valentina Migliarini and Brent C. Elder, The Future of Inclusive Education, Intersectional Perspectives, palgrave macmilan, 2023, page 94.
(280) – Ibid., page 10.
(281) – Ibid., page 106. « les enseignants semblent manquer de référence à un cadre intersectionnel, tel que DisCrit, qui pourrait les aider à formuler une approche différente de l’éducation inclusive qui créerait des salles de classe fonctionnelles et écologiques. »
(282) – Ibid., page 111.
(283) – Lydia X. Z. Brown, There is No Abolition or Liberation without Disability Justice, 2024, page 3.
(284) – Cara Page & Erica Woodland, Healing Justice Lineages, Dreaming at the croossroads of liberation, collective care, and safety, North Atlantic Books, 2023.
(285) – Sharon Doetsch-Kidder and Kalia Harris, Healing Justice as Intersectional Feminist Praxis : Well-being Practices for Inclusion and Liberation. « L’intersectionnalité est une pratique d’inclusion radicale qui centre les personnes marginalisées au sein des communautés opprimées […] et nécessite l’intégration de la guérison dans les mouvements de libération », page 3.
(286) – Ibid., page 6. « Piepzna-Samarasinha (2016) situe la justice de guérison telle qu’elle est développée par les personnes queer et trans de couleur, et en particulier « la brillance des femmes noires et brunes handicapées, en réponse à tout ce qui manque dans les espaces biomédicaux occidentaux traditionnels et « alternatifs » blancs/cis/handicapés en termes de compréhension de la manière dont le colonialisme, le capacitisme, le vol culturel et la putophobie affectent les systèmes de guérison. »
(287) – Samantha Cooms, Olav Muurlink and Sharlene Leroy-Dyer, Intersectional theory and disadvantage : a tool for decolonisation, 2022, page 7.
(288) – Ibid., page 7.
(289) – Ibid., page 9.
(290) – Ibid., page 9.
(291) – Ibid., page 9. La recherche décoloniale est « valide et fiable » seulement lorsqu’elle est « conçue par ou avec les peuples des Premières Nations, de manière à permettre l’exploration des expériences vécues intersectionnelles des peuples des Premières Nations en Australie et à privilégier la multiplicité des façons de savoir, d’être et de faire entre et au sein des groupes nationaux. »
(292) – Susan M Manning, Pamela Jonhson, and Julianna Acker-Verney, Uneasy intersections: critical understandings of gender and disability in global development, 2016.
(293) – Sharon Doetsch-Kidder and Kalia Harris, Healing Justice as Intersectional Feminist Praxis : Well-being Practices for Inclusion and Liberation, page 2.
(294) – Nirmala Erevelles, Thinking with Disability Studies, 2014. La responsabilisation est un travail très long et trop souvent négligé, « rêver d’études critiques sur le handicap, c’est rêver de responsabilité ».
(297) – Viviane Saleh-Hanna, Jason M. Williams, and Michael J. Coyle, Abolish criminology, Routledge Edition, 2024, page 36.