L’abolition repose sur plusieurs principes fondamentaux :
- Écouter les survivant·es de violences et répondre à leurs besoins réels, hors des logiques punitives.
- Ancrer les pratiques de sécurité dans le soutien, la liberté et l’interdépendance, plutôt que dans le contrôle.
- Refuser les outils du maître : la justice ne peut émerger des structures d’injustice.
- Reconnaître l’intersectionnalité de la violence [1], et organiser en conséquence.
- S’engager durablement dans la construction de mondes libérés de la violence structurelle.
L’abolition est entendue non pas comme une simple suppression d’institutions oppressives, mais comme une pratique politique et communautaire radicale, fondée sur les principes du féminisme noir et des mouvements anti-violence. Comme le rappellent Mariame Kaba, Andrea Ritchie et Beth E. Richie dans No More Police, A Case For Abolition, le féminisme abolitionniste est né de la nécessité de construire des alternatives à la violence étatique et interpersonnelle, en plaçant au centre les besoins et les voix des personnes les plus touchées.
L’abolition privilégie la responsabilisation plutôt que la punition.
Nous cherchons à construire des mouvements qui non seulement mettent fin à la violence, mais qui créent une société fondée sur la liberté radicale, la responsabilité mutuelle et la passion. (Incite!)
Faire progresser notre compréhesion collective au-delà du « méchant » policier, vers une compréhension de la violence structurelle, est essentiel à la construction d’une politique abolitionniste fondée sur l’empathie et la communauté (J. Briond).
L’abolition refuse les politiques qui construisent le traumatisme des personnes criminalisées comme une pathologie psychologique individuelle qui engendre des « infractions pénales » et les rend vulnérables à de nouveaux préjudices. Les États-nations exposent intentionnellement certaines communautés à la précarité, à la violence, à la privation et/ou construisent des catégories qui invitent à une répétition sans fin de l’assujettissement, de la criminalisation, de la pathologisation (T. Lewis).
Les abolitionnistes considèrent la sécurité comme un ensemble de ressources, de relations, de compétences et d’outils pouvant être développés, diffusés et déployés pour prévenir, interrompre et guérir les préjudices. Nous souhaitons multiplier les outils qui renforcent la sécurité du plus grand nombre ; nous débarrasser des outils qui ne nous servent pas vraiment, comme le maintien de l’ordre et les sanctions ; et saper la peur qui sous-tend les politiques de sécurité. (No More Police, A Case for Abolition)
« Les relations sont notre ressource la plus précieuse.» — Elliott Fukui
Les États-nations vivent de la déshumanisation qu’ils produisent, exploitent, institutionnalisent et normalisent. L’abolition exige la fin de la déshumanisation (S.M. Rodriguez) et consiste à imaginer une constellation de stratégies et d’institutions alternatives, dans le but ultime de supprimer le système pénitentiaire, la police et les systèmes hiérarchiques d’inégalité perpétués par le régime capitaliste mondial et systémique.
Charmaine Chua a bien insisté sur ce point, en expliquant que « la pratique abolitionniste […] oriente les mouvements vers des transformations significatives qui s’attaquent aux structures sous-jacentes qui causent du tort aux personnes, plutôt qu’à leurs symptômes. » (Abolition Is a Constant Struggle: Five Lessons from Minneapolis)
De nombreux abolitionnistes se méfient de l’idée de simplement abolir un système sans commencer à repenser ce qui peut le remplacer (Genealogies of Resistance to Incarceration, P. 217). Dans de nombreux exemples, parce que de nombreux mouvements ne reconnaissent pas la suprématie blanche et la colonialité comme des systèmes actifs, ces mécanismes étatiques ne sont même plus nécessaires, car les militant.es incarnent l’État dans leurs actions et leurs interactions, en ne modifiant pas la hiérarchie des structures dans lesquelles sont placées les populations marginalisées (The Tension Between Abolition and Reform). Beaucoup de personnes issues de ces milieux dits « progressistes » ne cherchent même pas à déconstruire les privilèges hérités de la suprématie blanche, en refusant systématiquement de reconnaître cet héritage. Elles mobilisent un langage du changement tout en perpétuant les hiérarchies épistémiques [2], culturelles et sociales qu’elles prétendent combattre, y compris au sein des luttes écologistes, antiracistes, féministes, queer… ou dans ces nombreux espaces du mouvement des droits des personnes handicapées qui ne voient pas que le handicap n’élimine pas le privilège blanc. Ces espaces perpétuent aussi la violence latérale. [3] [4] [5]
L’abolition, dans cette perspective, est une invitation à imaginer et à bâtir des systèmes de soin, de justice et de sécurité fondés sur la dignité, la solidarité et la transformation collective—et non sur la punition, la surveillance ou l’exclusion. Le féminisme noir est une politique qui s’attaque à la source de nos problèmes et des préjudices, soulage les souffrances et éradique la violence. Le féminisme noir nous demande de créer de nouvelles formes de responsabilité, de gouvernance et de socialité qui créent le monde que nous voulons.
Comme le soutient Talila A. Lewis, spécialiste de la justice des personnes handicapées, l’abolition « doit tenir compte de l’interaction du handicap et du capacitisme avec les systèmes carcéraux et médicaux… et s’engager à abolir tous les espaces où les personnes marginalisées disparaissent ».(Kaepernick)
Aider les gens à se défaire de l’idée que la police a été créée pour assurer la sécurité publique, ou qu’elle assure notre sécurité aujourd’hui, est un aspect central du travail abolitionniste […] À quoi pourrait ressembler une véritable sécurité publique si elle ne reposait pas sur la nécessité pour la police de maintenir des rapports de pouvoir racialisés, genrés et capacitistes, mais s’articulait plutôt autour d’idées telles que l’épanouissement, l’épanouissement et le bien-être ? (No More Police, A Case for Abolition)
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Notes
[1] L’intersectionnalité de la violences désigne la manière dont les différentes formes de violence (raciale, sexiste, validiste, coloniale, économique, etc.) s’entrecroisent, se renforcent et se reproduisent mutuellement, plutôt que d’agir séparément. Voir aussi Matrice de la violence ou Matrice de la domination.
[3] La violence latérale désigne des comportements préjudiciables, tels que la moquerie, la diffamation, les coups bas, l’intimidation ou, à l’extrême, la violence physique, entre membres d’un groupe ou d’une communauté opprimés. C’est pour cette raison qu’on l’appelle souvent « colonialisme intériorisé ». On la retrouve dans les communautés minoritaires du monde entier, où le contrôle des ressources et le pouvoir décisionnel appartiennent presque exclusivement à la culture dominante. (source : Healing Fundation) Sans une prise en compte de nos habitudes individuelles et interpersonnelles d’oppression intériorisée et d’agression latérale, la véritable liberté est impossible. (Sami Schalk ; Black Disability Politics) Voir aussi Violence latérale
[4] Nombre de femmes blanches et cisgenres survivantes ont eu beaucoup de mal à percevoir la suprématie blanche ou leur privilège blanc comme une contrainte. Principalement parce qu’elles avaient été si victimisées, il leur était difficile de percevoir le pouvoir structurel qu’elles détenaient en étant blanches. Pour y parvenir, elles avaient besoin d’éducation et d’échanges. Elles avaient besoin d’un niveau de guérison qui leur permettrait d’appréhender cette complexité émotionnellement, puis d’agir en conséquence. Sans cela, une personne peut connaître une profonde guérison personnelle, tout en continuant à perpétuer des comportements oppressifs et à maintenir des systèmes néfastes au détriment des autres. Ce n’est pas cela la guérison (The Politics of Trauma. Somatics, Healing, and Social Justice, p. 62). C’est le cycle de la violence : celles et ceux qui ont été blessés par la violence, au lieu de se donner les moyens de guérir, s’approprient, comme l’a dit Audre Lorde, les outils du maître et deviennent celles et ceux qui nuisent.
[5] La hiérarchie au sein du monde du handicap et entre les différents types de handicaps (visibles et invisibles) est très difficile à démanteler. Une approche holistique tend à aborder la globalité du corps et de l’esprit et ne se concentre pas principalement sur le handicap physique, contrairement aux études dominantes sur le handicap et au militantisme pour les personnes handicapées. (Sami Schalk) Le leadership des personnes noires handicapées doit aussi aider au développement une compréhension approfondie des liens et des manifestations du capacitisme et du racisme.
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